Alejandro Jodorowsky
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Re: Alejandro Jodorowsky
Santa Sangre vient de sortir en Bluray chez Wild Side. Antoine Royer a écrit la critique du film et a testé le Bluray
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Re: Alejandro Jodorowsky
Fando et Lis (1968)
Deux jeunes gens partent à la recherche d'une cité mythique, Tar, où tous leurs voeux seraient exaucés. Mais sur leur chemin, ils ne rencontrent que corruption et folie...
Entre La danza de la realidad (qui fut ma première porte d'entrée dans le Jodo-cinéma (par comparaison au Jodo-BD) et auquel je consacrais un topic) et Fando et Lis, j'ai pu lire de nombreuses interviews du bonhomme ainsi que des pans entiers de sa propre vie relatés ici et là. L'ensemble forme un kaléïdoscope riche où tout s'entrecroise et permet de dégager du sens, des interprétations, des idées, une conception du cinéma et plus largement de la vie. Pendant longtemps, j'attendais un déclic et il semble que la sortie de la Danza ait redonné envie à Wild Side de rééditer les films de Jodorowski en DVD, voire en sortir un en blu-ray (Santa Sangre chroniqué d'ailleurs sur Classik comme les autres films du bonhomme). Ce coup-ci entre lectures et visionnages, je ne pouvais que me jeter sans plus tarder sur ces nouvelles éditions, bien décidé à ne plus louper le coche. Et oh joie, oh bonheur, Fando et Lis est fourni en bonus de La montagne sacrée sur le second disque. Joie ! Byzance ! Noël !
Pour un premier film, deux choses frappent en premier lieu. On est en 1968, le cinéaste a bientôt 40 ans, n'a jamais fait de cinéma excepté un premier court (la cravate) et déjà une science du cadrage et de la composition des plans est parfaitement visible. En admirateur du surréalisme ayant lui-même appris beaucoup de choses auprès du Mime Marceau, Jodorowski a déjà une culture et des idées et il entend parfaitement les mettre au service de son cinéma. En second lieu, l'oeuvre étonne par sa noirceur et sa cruauté terrible. Il y a du Bergman dans ce premier film, mais un Bergman déjà avec un pied dans une autre dimension. En effet outre la trajectoire dépeinte de jeunes naïfs non perclus de quelques défauts qui ne fait que les dévorer plus (Fando est terriblement égoïste et égocentrique, Lis est paresseuse et repliée sur elle-même) quand ce n'est pas le monde qui se jette littéralement sur eux, Jodorowsky signale en plus ouvertement que cette trajectoire est vide de sens et donc inutile.
Cela déjà un plan l'indique étangement (spoiler warning).
J'avoue que cette fois je ne me suis pas trop foulé, les captures proviennent de la chronique sur le site.
Un film dur donc, le tout dans un noir et blanc rêche, à couper au couteau. Dès le départ les personnages doivent surmonter des traumatismes irréparables qui ne leur laisse d'ailleurs que peu de chance
Deux jeunes gens partent à la recherche d'une cité mythique, Tar, où tous leurs voeux seraient exaucés. Mais sur leur chemin, ils ne rencontrent que corruption et folie...
Entre La danza de la realidad (qui fut ma première porte d'entrée dans le Jodo-cinéma (par comparaison au Jodo-BD) et auquel je consacrais un topic) et Fando et Lis, j'ai pu lire de nombreuses interviews du bonhomme ainsi que des pans entiers de sa propre vie relatés ici et là. L'ensemble forme un kaléïdoscope riche où tout s'entrecroise et permet de dégager du sens, des interprétations, des idées, une conception du cinéma et plus largement de la vie. Pendant longtemps, j'attendais un déclic et il semble que la sortie de la Danza ait redonné envie à Wild Side de rééditer les films de Jodorowski en DVD, voire en sortir un en blu-ray (Santa Sangre chroniqué d'ailleurs sur Classik comme les autres films du bonhomme). Ce coup-ci entre lectures et visionnages, je ne pouvais que me jeter sans plus tarder sur ces nouvelles éditions, bien décidé à ne plus louper le coche. Et oh joie, oh bonheur, Fando et Lis est fourni en bonus de La montagne sacrée sur le second disque. Joie ! Byzance ! Noël !
Pour un premier film, deux choses frappent en premier lieu. On est en 1968, le cinéaste a bientôt 40 ans, n'a jamais fait de cinéma excepté un premier court (la cravate) et déjà une science du cadrage et de la composition des plans est parfaitement visible. En admirateur du surréalisme ayant lui-même appris beaucoup de choses auprès du Mime Marceau, Jodorowski a déjà une culture et des idées et il entend parfaitement les mettre au service de son cinéma. En second lieu, l'oeuvre étonne par sa noirceur et sa cruauté terrible. Il y a du Bergman dans ce premier film, mais un Bergman déjà avec un pied dans une autre dimension. En effet outre la trajectoire dépeinte de jeunes naïfs non perclus de quelques défauts qui ne fait que les dévorer plus (Fando est terriblement égoïste et égocentrique, Lis est paresseuse et repliée sur elle-même) quand ce n'est pas le monde qui se jette littéralement sur eux, Jodorowsky signale en plus ouvertement que cette trajectoire est vide de sens et donc inutile.
Cela déjà un plan l'indique étangement (spoiler warning).
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J'avoue que cette fois je ne me suis pas trop foulé, les captures proviennent de la chronique sur le site.
Un film dur donc, le tout dans un noir et blanc rêche, à couper au couteau. Dès le départ les personnages doivent surmonter des traumatismes irréparables qui ne leur laisse d'ailleurs que peu de chance
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Re: Alejandro Jodorowsky
Demi-Lune a écrit :Santa Sangre (1989)
On va enfoncer des portes ouvertes : c'est barré. Ça ne ressemble à pas grand-chose de connu. Reste à voir si ça vous botte. Personnellement, je n'ai pas spécialement accroché. C'est un film qu'on ne peut sans doute pas balayer comme ça, du revers de la main, car il est de ces quelques OFNI proposant une expérience "autre", fragile mais résolument anticonformiste (encore que, paraît-il, c'est le Jodo le plus accessible...). L'audace et l'inventivité sont donc à saluer mais l'univers construit m'a paru d'une désespérante sordidité. Aussi bien dans l'imagerie que dans le fond. Le goût prononcé de Jodorowsky pour le baroque se traduit, à mon sens, par une œuvre surchargée, à l'exubérance indigeste, voire même vulgaire, et d'une fascination pour le grotesque qu'en fonction de sa sensibilité, on trouvera poétique ou impénétrable (au mieux). J'imagine que les amateurs de l'artiste ont largement de quoi se satisfaire avec ce film dont on sent qu'il est très personnel. Pour ma part, j'ai simplement trouvé l'imaginaire sinistre, à la mystique incompréhensible (tout ce regard envoûté pour la cruauté, le sang, la mort, le traumatisme, etc). C'est un film sur lequel il est finalement difficile d'écrire parce que son foisonnement procède d'un profond hétéroclisme. Ainsi, on peut être intrigué ou interpellé par certaines idées visuelles du film (les funérailles de l'éléphant, les bras du fils qui recréent la mère) sans pour autant être embarqué. On pense lointainement à du Burton dans la foire aux freaks, mais un Burton qui aurait troqué son visuel gothique contre un surréalisme pétaradant de couleurs. C'est un peu aussi du Argento à maracas, c'est très bizarre.
Pareil ; au point d'avoir fini le film en accéléré au bout d'une heure et quart d'ennui. Un univers pas du tout fait pour moi et puis pas convaincu non plus par la mise en scène qui ne m'a procuré aucune émotion.
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Re: Alejandro Jodorowsky
Pas vu celui-ci mais La montagne sacrée avait constitué pour un moi un calvaire sans nom. Une succession d'images insupportablement prétentieuses et faussement iconoclastes. Bref, un surréalisme totalement gerbant.
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Re: Alejandro Jodorowsky
Putain ça donne envie.Père Jules a écrit :Pas vu celui-ci mais La montagne sacrée avait constitué pour un moi un calvaire sans nom. Une succession d'images insupportablement prétentieuses et faussement iconoclastes. Bref, un surréalisme totalement gerbant.
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Re: Alejandro Jodorowsky
Demi-Lune a écrit :Putain ça donne envie.Père Jules a écrit :Pas vu celui-ci mais La montagne sacrée avait constitué pour un moi un calvaire sans nom. Une succession d'images insupportablement prétentieuses et faussement iconoclastes. Bref, un surréalisme totalement gerbant.
Pour moi c'est celui qui a le plus mal vieilli de ceux qui sont édités chez nous. Dans le commentaire audio récent, Jodorowski reconnaît lui même sa propre prétention sur plein de détails (notamment le tarot qui lui était pas si connu alors qu'il tournait le film. Aujourd'hui c'est assez différent). J'ai moi-même un peu de mal avec ce film malgré des plans perclus de beaux fragments.
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Re: Alejandro Jodorowsky
Masterclass a Amsterdam dans le cadre du festival Imagine le 10 avril a midi.
Projection de Jodorowsy's Dune les 10 et 16 avril (avec le 16 dans la foulée la version Lynch en 70mm).
Projection de Jodorowsy's Dune les 10 et 16 avril (avec le 16 dans la foulée la version Lynch en 70mm).
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Re: Alejandro Jodorowsky
Vubronski a écrit :http://www.imdb.com/title/tt1935156/?ref_=nv_sr_3
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Autant les concepts arts et certaines itw sont très interessantes, autant je n'ai RIEN compris aux rencontres organisées par Michel Seydoux avec les exec. des majors:
Ils vont les voir en leur demandant 5 M$ manquants pour un film de 12 H ou 20 H de long (dixit Jodo) avec aucun controle sur la production (et d'eventuels dépassements)
Autrement dit ils voulaient essuyer un refus ...
Dernière modification par hansolo le 9 avr. 16, 16:58, modifié 1 fois.
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Re: Alejandro Jodorowsky
Je pense que Jodorowsky n'a jamais voulu faire ce film, chaque demande plus extravagante que la précédente n'est là que pour planter le film
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« S’il est vrai que l’art commercial risque toujours de finir prostituée, il n’est pas moins vrai que l’art non commercial risque toujours de finir vieille fille ».
Erwin Panofsky
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Re: Alejandro Jodorowsky
De ce qui ressort de ce documentaire et des interventions des participants, cela me semble en effet assez clair que le film était une telle aberration qu'il ne pouvait que se crasher avant le décollage. On perçoit les contours d'une entreprise fascinante dans sa démesure et sa folie, mais aussi une mégalomanie invraisemblable (Jodo convaincu qu'il allait réaliser le plus grand film de tous les temps, convaincu de son génie absolu et visionnaire de nouveau prophète...). Cet énorme melon participe en tout cas du plaisir assez particulier que suscite le documentaire.
Sinon, mon récap' Jodorowsky :
(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Sinon, mon récap' Jodorowsky :
(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
El topo
C’est Leone dans l’univers apocalyptique de Mad Max, se dit-on d’abord devant les aventures sanglantes de cet ange exterminateur bardé de noir, qui répand des traînées de mort dans un désert où ne s’exprime plus que le sadisme d’une humanité résiduelle. Puis se développe une initiation métaphysique, les épreuves traversées dessinent une quête morale aux étapes relativement limpides – faute, remords, rédemption. Le tout s’achève de façon rageusement nihiliste. Jodorowsky cultive le mauvais goût, le baroque, l’outrance des situations, l’incongruité des images, les associations insolites, les symboles et les clés à déchiffrer. La force cette fable allégorique sur la poursuite d’un idéal au sein de la barbarie tient à sa rigueur de conception et à la cohérence d’un univers fascinant d’étrangeté. 4/6
La montagne sacrée
Film-monde à multiples entrées et couches diégétiques, qui déborde d’idées hallucinatoires et permet au cinéaste de démonter à plaisir tout son barda ésotérique. Est-ce une critique cinglante des rêves de puissance (géniale bataille d’iguanes entre incas et conquistadors) ? Une allégorie spirituelle sur la quête de l’immortalité, qui passe par la renonciation, le dépouillement et l’illumination ? Une mise en abyme de l’illusion cinématographique, comme l’explicite le pied de nez de la conclusion ? Le spectacle sous acide ne ressemble en tout cas à rien d’autre, et parvient à stimuler sans relâche l’œil, l’oreille et l’esprit, par son humour décapant, ses imprévisibles relances plastiques et narratives, ses trouvailles visuelles, ses anecdotes en forme de fables, le foisonnement de ses formes et de ses couleurs. 5/6
Top 10 Année 1973
Santa sangre
C’est l’histoire d’un jeune homme bien cintré du ciboulot, traumatisé par le drame qui colora son enfance en rouge sang et incapable de se détacher de la relation fusionnelle qui le lie à sa mère manchote et tyrannique. Un Psychose jodorowskyen où se coagule tout un amalgame de mythes chrétiens latino-américains, de références diverses (Freaks, Les Mains d’Orlac), d’images cauchemardesques déversées par un robinet d’hémoglobine dans un univers maladif qui secoue les neurones autant qu’il impose une fascination lourde, morbide, entêtante. Certes le réalisateur a la main freudienne un peu lourde mais son bazar expressionniste atteint à une vraie folie (les funérailles de l’éléphant), à une horreur psychologique remarquablement figurée, à une touchante et douloureuse poésie de l’innocence sacrifiée. 5/6
La danza de la realidad
À 84 ans, malgré une longue période passée loin de la caméra, le réalisateur est resté le même. Ses images extravagantes sont indissociables de ses films antérieurs : armée vociférante de manchots et de culs-de-jatte, pluie de sardines convoitées par des mouettes et des pestiférés, mère opulente qui ne s’exprime qu’en vocalises, père vendeur de dessous et stalinophile convaincu… Les longueurs, le sabir vaguement new age, le trop-plein parfois excessif n’empêchent pas l’inventivité et la joie de filmer de s’épanouir. Récit initiatique mêlant la vérité autobiographique au fantasme, cette chronique baroque est comme le Amarcord de son auteur : même réverbération déformée des joies et terreurs de son enfance, mêmes rêveries poétiques, même univers foutraque, surréaliste et enchanté. 4/6
Poesia sin fin
Ce second volet d’un psyché-voyage introspectif procède d’une démarche similaire de transfiguration. Là encore il s’agit d’extraire du réel un équivalent fantasmatique que l’hypertrophie visuelle de l’artiste, son goût très particulier de la beauté, son refus obstiné de toute forme consensuelle de douceur ou d’harmonie éprouvent continuellement au contact de l’outrance et de la surcharge. Ode parfois naïve à la création et à l’imaginaire, à la marginalité et à la liberté, entreprise aux vertus manifestement libératoires où Jodorowsky règle quelques comptes personnels (avec son père surtout), le film s’égare parfois dans des errances injustifiées mais s’affirme par une effervescence fellinienne, une singularité bariolée que les images très pigmentées de Christopher Doyle rendent toujours stimulantes. 4/6
Mon top :
1. La montagne sacrée (1973)
2. Santa sangre (1989)
3. El topo (1970)
4. La danza de la realidad (2013)
5. Poesia sin fin (2016)
Dans le registre de la fantasmagorie absconse, du délire sous hallucinogènes, des univers totalement perchés où se dessinent des parcours occultes, Jodorowsky peut prétendre à une place de choix. D'une certaine manière, il me fait penser à un Greenaway mexicain. Si l’on n’est pas réfractaire aux expériences bien chtarbées, son cinéma peut s’avérer assez passionnant par sa profusion visuelle, sa liberté de ton et sa radicale originalité.
C’est Leone dans l’univers apocalyptique de Mad Max, se dit-on d’abord devant les aventures sanglantes de cet ange exterminateur bardé de noir, qui répand des traînées de mort dans un désert où ne s’exprime plus que le sadisme d’une humanité résiduelle. Puis se développe une initiation métaphysique, les épreuves traversées dessinent une quête morale aux étapes relativement limpides – faute, remords, rédemption. Le tout s’achève de façon rageusement nihiliste. Jodorowsky cultive le mauvais goût, le baroque, l’outrance des situations, l’incongruité des images, les associations insolites, les symboles et les clés à déchiffrer. La force cette fable allégorique sur la poursuite d’un idéal au sein de la barbarie tient à sa rigueur de conception et à la cohérence d’un univers fascinant d’étrangeté. 4/6
La montagne sacrée
Film-monde à multiples entrées et couches diégétiques, qui déborde d’idées hallucinatoires et permet au cinéaste de démonter à plaisir tout son barda ésotérique. Est-ce une critique cinglante des rêves de puissance (géniale bataille d’iguanes entre incas et conquistadors) ? Une allégorie spirituelle sur la quête de l’immortalité, qui passe par la renonciation, le dépouillement et l’illumination ? Une mise en abyme de l’illusion cinématographique, comme l’explicite le pied de nez de la conclusion ? Le spectacle sous acide ne ressemble en tout cas à rien d’autre, et parvient à stimuler sans relâche l’œil, l’oreille et l’esprit, par son humour décapant, ses imprévisibles relances plastiques et narratives, ses trouvailles visuelles, ses anecdotes en forme de fables, le foisonnement de ses formes et de ses couleurs. 5/6
Top 10 Année 1973
Santa sangre
C’est l’histoire d’un jeune homme bien cintré du ciboulot, traumatisé par le drame qui colora son enfance en rouge sang et incapable de se détacher de la relation fusionnelle qui le lie à sa mère manchote et tyrannique. Un Psychose jodorowskyen où se coagule tout un amalgame de mythes chrétiens latino-américains, de références diverses (Freaks, Les Mains d’Orlac), d’images cauchemardesques déversées par un robinet d’hémoglobine dans un univers maladif qui secoue les neurones autant qu’il impose une fascination lourde, morbide, entêtante. Certes le réalisateur a la main freudienne un peu lourde mais son bazar expressionniste atteint à une vraie folie (les funérailles de l’éléphant), à une horreur psychologique remarquablement figurée, à une touchante et douloureuse poésie de l’innocence sacrifiée. 5/6
La danza de la realidad
À 84 ans, malgré une longue période passée loin de la caméra, le réalisateur est resté le même. Ses images extravagantes sont indissociables de ses films antérieurs : armée vociférante de manchots et de culs-de-jatte, pluie de sardines convoitées par des mouettes et des pestiférés, mère opulente qui ne s’exprime qu’en vocalises, père vendeur de dessous et stalinophile convaincu… Les longueurs, le sabir vaguement new age, le trop-plein parfois excessif n’empêchent pas l’inventivité et la joie de filmer de s’épanouir. Récit initiatique mêlant la vérité autobiographique au fantasme, cette chronique baroque est comme le Amarcord de son auteur : même réverbération déformée des joies et terreurs de son enfance, mêmes rêveries poétiques, même univers foutraque, surréaliste et enchanté. 4/6
Poesia sin fin
Ce second volet d’un psyché-voyage introspectif procède d’une démarche similaire de transfiguration. Là encore il s’agit d’extraire du réel un équivalent fantasmatique que l’hypertrophie visuelle de l’artiste, son goût très particulier de la beauté, son refus obstiné de toute forme consensuelle de douceur ou d’harmonie éprouvent continuellement au contact de l’outrance et de la surcharge. Ode parfois naïve à la création et à l’imaginaire, à la marginalité et à la liberté, entreprise aux vertus manifestement libératoires où Jodorowsky règle quelques comptes personnels (avec son père surtout), le film s’égare parfois dans des errances injustifiées mais s’affirme par une effervescence fellinienne, une singularité bariolée que les images très pigmentées de Christopher Doyle rendent toujours stimulantes. 4/6
Mon top :
1. La montagne sacrée (1973)
2. Santa sangre (1989)
3. El topo (1970)
4. La danza de la realidad (2013)
5. Poesia sin fin (2016)
Dans le registre de la fantasmagorie absconse, du délire sous hallucinogènes, des univers totalement perchés où se dessinent des parcours occultes, Jodorowsky peut prétendre à une place de choix. D'une certaine manière, il me fait penser à un Greenaway mexicain. Si l’on n’est pas réfractaire aux expériences bien chtarbées, son cinéma peut s’avérer assez passionnant par sa profusion visuelle, sa liberté de ton et sa radicale originalité.
Dernière modification par Thaddeus le 20 janv. 19, 21:58, modifié 4 fois.
- Demi-Lune
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Re: Alejandro Jodorowsky
Yep Thaddeus, La montagne sacrée - qui porte bien son nom - est un film absolument extraordinaire et unique, quelque chose qui visuellement "ouvre l'esprit", comme Jodo n'arrête pas de le répéter dans le documentaire sur Dune... un de ces films qui me donnent foi dans le Cinéma.
- Thaddeus
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Re: Alejandro Jodorowsky
Oui, c'est l'un de ces films (finalement assez rares) que l'on sent pensés, conçus et réalisés dans une totale liberté de création. Je me rappelle m'y être engagé avec autant de curiosité que d'anxiété, au vu de sa réputation très "dichotomique", mais au final l'oeuvre m'a totalement fasciné.
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Re: Alejandro Jodorowsky
En même temps, ce fascinant documentaire laisse entendre que Jodorowsky avait été sollicité et avait carte blanche pour choisir ce qu'il voulait comme projet...non?Rockatansky a écrit :Je pense que Jodorowsky n'a jamais voulu faire ce film, chaque demande plus extravagante que la précédente n'est là que pour planter le film
L'homme avait la volonté du fou lâcher "lousse" comme on dit chez-nous. Mais je suis d'accord pour dire que budget est un mot qui ne cadre pas avec la folie des grandeurs.
Il y avait cette période folle des années 60-70 qui permettait toutes les extravagances. Et Jodo semblait sincère dans sa démarche qui allait si bien avec son ego de gourou halluciné.
Je revisionne de temps à autre El Topo, celui que je préfère pour son récit messianique du parcours vers la rédemption. Enfin...ouais, je me mets à déconner comme un gourou moi aussi!
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Re: Alejandro Jodorowsky
N'ayant vu aucun film de Jodo, et totalement hypé par le doc Jodorowsky's Dune, j'ai extrêmement envie de découvrir La Montagne Sacrée. J'imagine que c'est typiquement le genre de films que l'on peut soit adorer, soit détester, mais je vais tenter le coup quand même.Demi-Lune a écrit :Yep Thaddeus, La montagne sacrée - qui porte bien son nom - est un film absolument extraordinaire et unique, quelque chose qui visuellement "ouvre l'esprit", comme Jodo n'arrête pas de le répéter dans le documentaire sur Dune... un de ces films qui me donnent foi dans le Cinéma.
Je vous tiendrai au jus, bien entendu.