En 1953 meurt Staline. Avec lui s'éteignent les années de contrôle politique du cinéma par le commissaire politique Anatoly Lunacharsky. C'est le début de la "détente", accentuée en 1956 par le rapport Krouchtchev au XXe Congrès du PCUS, qui dénonce le culte de la personnalité de Staline. C'est aussi le renouveau du cinéma soviétique, dont Quand passent les cigognes est le premier chef d'oeuvre.
C'est avant tout un mélodrame, l'histoire de deux amoureux, Veronica (Tatiana Samoilova)


et Boris (Alexei Batalov)

qui commence le 22 juin 1941, le jour de l'invasion de l'URSS par la Wehrmacht. Volontaire, Boris part pour le front, sans avoir revu Veronica qui va l'attendre, puis, dans un moment de désespoir (elle perd ses parents dans des bombardements aériens), va succomber à la convoitise de Mark (Alexander Shvorin), le cousin de Boris, exempté de guerre parce que pianiste de talent. Devenue l'épouse de Mark, qu'elle n'aime pas, elle vit dans l'attente d'une lettre, puis du retour de Boris.
Le film est une innovation totale :
- par le traitement de la guerre, intimiste, éloigné de toutes les figures patriotiques (le discours de deux jeunes filles venues fêter le départ de Boris et promettre qu'elles dépasseraient les objectifs du Plan est tourné en dérision). Boris hésite à avouer son engagement volontaire à Veronica, Mark utilise tous les moyens, y compris la corruption, pour ne pas être mobilisé. La guerre est montré sans combat, avec peu de moyens, dans la boue. Le film se termine sur un discours pacifiste (on sort de la guerre froide).
- par l'héroine, Veronica ou Écureuil, jeune, vive, spontanée, sexy, plus proche des actrices de la Nouvelle Vague que des figures féminines du cinéma soviétique d'alors

- par le travail de mise en scène et les inventions permanentes dans les prise de vues, inspirées du cinéma d'Hollywood (pendant la guerre, Kalatozov a passé plusieurs années à Los Angeles en mission diplomatique: personnages filmés en très gros plan, jeux de lumières, angles de vue inhabituels

longs travellings, caméras portées à la main (Urusevsky a servi deux ans pendant la guerre comme cameraman militaire), montage saccadé, plongées et contre-plongées, paysages filmés en perspective, travail sur le son, scènes oniriques filmées derrière des voiles

tout cela au service de l'expression des sentiments, comme l'expliqua Urusevsky : "The camera can express what the actor is unable to portray : his inner sensations. The cameraman must act with the actors."
Quelques exemples :
- le début du film, avant le générique. Les deux amoureux rentrent, à l'aube. Ils sont filmés en perspective, courant le long d'un canal ensoleillé, vers la lumière et l'avenir heureux, sur fond de valse jouée à l'accordéon. Personne d'autre n'est visible, ils sont seuls au monde. Puis ils lèvent la tête vers un vol de cigognes. La caméra suit les oiseaux, puis revient sur le couple et le filme du haut d'un bâtiment qui projette son ombre près d'eux. Arrive un camion de nettoyage des rues, qui les asperge d'eau, l'eau qui ne quittera plus l'écran pendant la période de la guerre. Ils rentrent chez eux trempés. Générique sur une horloge qui sonne presque comme un glas

- il la suit dans les escaliers : scène extraordinaire où la caméra, comme suspendue dans la cage d'escalier, le suit en tourbillonnant sur elle-même. Il semble voler. Scène reprise lorsque monte chez ses parents dans l'immeuble bombardé et ouvre la porte de l'appartement sur le vide et une vieille horloge dont le son monte dans sa tête.
- autre scène merveilleuse : le départ à la guerre. Plus de perspective, une foule qui les empêche de se rejoindre

Elle est dans un bus regarde à la fenêtre. Elle descend et la caméra portée la suit dans la foule. Long travelling avant qui ne la perd pas de vue mais filme dans la foule toutes les expressions possibles d'un départ à la guerre (chants, couples qui s'embrassent, pleurs, enfants qu'on porte une dernière fois). Puis travelling arrière (le même) et soudain elle traverse la foule, longe une colonne de chars et la caméra s'envole pour la filmer perdue dans la fumée entre deux rangées de tanks qui défilent. Elle rejoint le défilé et le cherche, sur fond de fanfare.
Même système pour décrire l'arrivée de réfugiés sur un quai sibérien, et à la fin du film le retour des soldats sur un quai de gare, dans un océan de fleurs.
- une scène de pure virtuosité technique, très "Nouvelle Vague" : elle court après un train, passe derrière une palissade, on la suit en accéléré, la palissade défile et donne un effet cinétique, renforcé par des coupes sur ses jambes et les arbres devant elle (en caméra portée), puis la caméra devient ses yeux regardant le train arriver sous le pont où elle veut se suicider...
On pourrait en citer tant d'autres,
dont la scène de bombardement où Mark joue du piano pour couvrir l'alerte aérienne, puis lorqu'elle le giffle au rythme des bombardments, avant de succomber.
SPOILER la mort de Boris : il regarde le ciel, les bouleaux qui tournoient, le temps s'étire, il voit une scène onirique de son mariage avant de tomber
Bref, Palme d'or 1958 du festival de Cannes. Je l'avais vu une fois il y a très longtemps, j'avais été ébloui, un grand souvenir. Je viens de le revoir, c'est toujours aussi grand !
ACHETEZ-LE !
J'ai pris le Z1, une image aussi belle que sur Citizen Kane Z1 ou Casablanca Z1, mais ni bonus ni STF, que des ST anglais

Le Z2 a une image moins bonne, mais des bonus et des STF

Les deux sont comparés sur http://www.compare.dvdbeaver.com/[/b]