CAMILLE CLAUDEL 1915 (2013) de Bruno Dumont avec Juliette Binoche.

Après Hors Satan qui m’avait fortement éprouvée et le souvenir tenace du film de Nuytten dans lequel Adjani semblait être l’incarnation exemplaire de Camille Claudel c’est avec réticence que je me suis décidée à voir Camille 1915 craignant de me heurter à une austérité rebutante. Si l’œuvre est indéniablement rude et sèche elle a néanmoins remporté mon adhésion.
Quelques jours de la vie de Camille Claudel, comme un instantané qui vaut pour son éternité à vivre dans cet asile. Déambulant dans un espace trop vaste comparé au cocon de son atelier, Camille se heurte aux murailles infranchissables tel le papillon à la vitre. Ici chaque pas, chaque respiration, chaque geste, attente, impatience, révolte, incompréhension, tourment… porte la banalité d’un quotidien absurde, d’une vacuité étouffante.
Cette captivité révèle et amplifie l’intensité d’une lumière, la profondeur d’une ombre, le chant d’un oiseau, le bruit des bottines crissant sur le pierrier. Le temps passé devant le fourneau à attendre la cuisson des pommes de terre. Le détail d’ordinaire noyé dans le quotidien prend ici une valeur singulière. L’asile se révèle alors un lieu qui requiert toute l’attention visuelle et auditive du spectateur qui peut extrapoler le calvaire de l’internement. Non ! Plutôt de la mise à mort lente et sans appel.
Plus d’une heure que je suivais Camille sans voir poindre l’ennui et Paul est entré dans le cadre, silhouette empesée par la foi, cadenassé par une évangélisation qu’il s’est imposé afin de dompter son caractère tumultueux ; Paul qui transpire l’eau bénite par chacun de ses pores et s’élève comme un roc granitique contre la fragile Camille. Oui, la figure de Paul m’a contrariée en venant rompre la belle monotonie des jours de Camille. A l’entendre et à l’observer difficile d’évacuer la pensé d’un homme tombé dans une exaltation mystique…et de fait de s’interroger : qui du frère ou de la sœur est le plus fou des deux ?
Contrairement à ce que j’avais imaginé, le visage d’Isabelle Adjani n’est pas venu se superposer à celui de Juliette Binoche (bouleversante comme rarement). Nous sommes dans un autre temps. A l’exaltation et à la passion de l’une répond la résignation de l’autre même si l’orage de la révolte éclate tout à trac, que les mains cherchent dans une poignée de terre les fantômes de la création et que le cœur se gonfle à l’improviste au point d’en éclater.