Tant qu'à commencer le coffret "Garbo" autant poursuivre
Anna Karenine - Clarence Brown - 1935 - Greta Garbo, Fredric March, Basil Rathbone, Maureen O'Sullivan, Freddie Bartholomew.
Du roman fleuve de Tolstoï grouillant de personnages et montrant en parallèles l’évolution de deux couples Anna-Vronski / Kitty-Levine Clarence Brown choisit de se focaliser sur la relation Anna-Vronski avec en arrière plan un tableau amer de la société russe moralisatrice et hypocrite. Il ouvre d’ailleurs magnifiquement son film par un long travelling arrière - qu’il prolonge jusqu’au vertige - de la table des officiers regorgeant de victuailles. S’en suivent la scène de beuverie et du hammam pour nous convaincre de l’importance des liens virils qui unissent ces militaires. Huit minutes plus tard le visage d’Anna Karenine nous apparait à travers un nuage de fumée. Vision comme surgit d’un rêve prompte à chavirer le cœur de tous les hommes… à commencer par celui de Vronski (officier de la garde impériale). Le destin prend alors l’apparence de cet employé des chemins de fer qui annonce la fin tragique de l’héroïne. (Tolstoï dans sa première mouture du roman avait fait d’Anna Karenine une femme antipathique qui méritait la mort, convaincu par son sens moral qu’elle ne valait pas mieux). Anna, prisonnière d’un mari ambitieux et rigide finira par céder à Vronski. Superbe scène au montage et à l’esthétique parfaits où elle descend sur le quai avant que son futur amant ne la rejoigne. «- I’m going to take a of breath fresh air » dit-elle comme pour exprimer la volonté de sortir d’un univers qui l’étouffe avant de se diriger...

vers un avenir lumineux et immaculé...

Le destin se manifeste à nouveau (les employés de chemin de fer faisant tinter la cloche)…

puis Vronski la rejoint (surgissant de nulle part)... (vision idéalisée) pour lui avouer son amour

et de nouveau le train (les roues/répétition du motif) qui poursuit sa route vers son terme inexorable...

et tragique (souligné par le fondu au noir).
Anna cèdera sans retenue à la passion, s’exposant aux critiques, mise au banc de la société et désormais privée de son fils qu’elle aime tant. Vronski loin de ses camarades et de la vie militaire finit par se lasser et Anna réalise la vanité de ses sacrifices. Anna Karenine est la tentative avortée de vivre au grand jour un amour pleinement assumé ; La condamnation sévère d’une femme libre et un rappel à l’ordre pour les éventuelles candidates à sortir du droit chemin. La mise en scène de Brown passe du très inspiré (le banquet, 1ere apparition de Garbo, scènes récurrentes du train et des gares, le travelling arrière quand son mari la chasse, la scène finale conçue en crescendo visuel et sonore parfaitement hypnotique) au plus conventionnel. La photographie de William Daniels donne à certaines scènes une vraie dimension onirique. Face à Garbo qui habite son rôle par tous les pores de la peau, Fredric March semble un peu en retrait, Basil Rathbone parfait dans le rôle du mari carriériste et rigide, le jeune Freddie Bartholomew touchant dans chacune des scènes qu’il partage avec sa mère et la ravissante Maureen O’Sullivan apporte une fraîcheur bienvenue et un charme indéniable au personnage de Kittie.
Dommage que le film de C. Brown soit si court ce qui le prive d’une véritable ampleur et réduit l’intrigue au strict nécessaire. Dommage qu'il lui manque le souffle qui fait vibrer les grandes oeuvres.