Buffalo Bill (1944) de William Wellman
20TH CENTURY FOX
Sortie USA : 13 avril 1944
" En 1877, un jeune homme surgit de l’Ouest et du jour au lendemain son nom fut sur toutes les lèvres. Il n’avait pas découvert un Continent ou gagné une guerre. Il n’était pas un grand général, un chef d’état ou un chercheur. Et pourtant, aujourd’hui encore, plus de 60 ans plus tard, sa légende est aussi vivante qu’au moment des faits. Son nom était William Frederick Cody. Mais aux yeux de tous, jeunes et vieux, riches et pauvres, il est connu sous le nom de Buffalo Bill. Ceci est son histoire."

Tel est le prologue en voix-off qui vient s’immiscer juste après le générique. Nous savons donc dès le départ à quoi nous attendre, non pas à une biographie mais à une hagiographie d’un des plus grands personnages de l’histoire du Far-West. Pourquoi pas après tout ! Après qu’Hollywood ait beaucoup misé sur les hors-la-loi ces derniers temps (Billy le Kid, les frères James, les frères Younger, les frères Dalton...), l’usine à rêve se tourne alors vers les héros ‘positifs’ de l’Ouest. Il est étonnant que ce soit un baroudeur comme William Wellman qui s’y frotte, son univers semblant se situer à mille lieus de l’histoire de Cody. Et en effet, on apprend qu’il s’agissait d’un film de commande, un travail qu’il avait accepté de réaliser après qu’on lui ait laissé le soin de tourner
l’Etrange Incident (
The Ox-Bow Incident), western auquel il tenait énormément mais dont personne ne croyait financièrement parlant, prévision qui s’est d’ailleurs révélée exacte. Le contraste entre les deux films est d'ailleurs étonnant ; on ne pouvait pas faire plus différent !
Le réalisateur n’a jamais apprécié son
Buffalo Bill, lui qui souhaitait faire de ce personnage légendaire un véritable imposteur ! Au vu des désirs de ce dernier concernant Bill Cody, le premier scénariste Gene Fowler décide de stopper l’écriture, brûlant son travail en prétextant qu’il refusait de démystifier un tel héros. J’arrive désormais encore un peu plus à comprendre pourquoi ce film me laisse dubitatif sans jamais me convaincre vraiment (de moins en moins d’ailleurs) ; comment le cinéaste aurait-il pu se sentir concerné par ce qu’il filmait alors qu’il avait une conception totalement opposée du personnage principal dont il narrait l’histoire ?

Quant on voit le résultat, un trop plein de naïveté, de concepts rétrogrades (la civilisation n’est pas bonne puisqu’elle amène la violence et l’injustice) et de bons sentiments balayant par leur nombre d’un revers de main toutes les bonnes idées un peu plus amères qui auraient pu s’avérer passionnantes (Cody désespéré par le massacre de ses amis indiens par la charge qu’il a commandé lui-même ; Cody se trouvant obligé de faire le tireur d’élite de kermesse assis sur un cheval de bois…) et se terminant sur une séquence sirupeuse à souhait, celle d’un jeune infirme l’acclamant et lui criant «
Dieu te bénisse », on peut comprendre le désappointement de Wellman. On doit reconnaître au scénario final un certain courage dans sa prise de position pour la race indienne (célébrant à plusieurs reprises sa grandeur avec une belle dignité) ainsi que contre la xénophobie de l’armée et des hommes politiques de l’époque («
c’est le seul indien dont vous vous soyez occupé » lance Cody devant un auditoire éberlué quant il montre une pièce de monnaie à l’effigie d’un indien) mais sinon il s’avère bien médiocre malgré son immense potentiel de départ ; il s’agit plus d’une suite de vignettes sans liant ni cohésion que d’une histoire bien charpentée. C’aurait été une chronique (comme Wellman le fera plus tard avec un autre western d’une toute autre ampleur ; nous en reparlerons en 1951) que ce n’aurait pas eu de conséquences mais s’agissant de la biographie de Buffalo Bill, on reste sur notre faim d’autant que cette construction basique (Buffalo Bill chasse le bison ; Buffalo Bill se marie ; Buffalo Bill attend un enfant ; Buffalo Bill à la bataille de War Bonnet…) empêche toute progression dramatique et tout attachement à un quelconque personnage.

Car il faut bien le dire aussi, Joel McCrea, par ailleurst excellent comédien, n’était visiblement pas fait pour ce rôle. Peut-être que le cinéaste, pour garder une certaine mainmise sur son idée première, l’a poussé à le rendre aussi maladroit et sans saveur ; en tout cas, ça ne colle pas du tout avec le statut de héros pur et dur qu’on lui colle tout du long. L’acteur ne possède apparemment pas le charisme qu’il fallait pour interpréter un tel personnage ; James Ellison dans
The Plainsman de Cecil B. DeMille (qui d’ailleurs aurait peut-être été l‘homme de la situation pour filmer ce scénario) était bien plus convainquant et sa prestance était toute autre. Il en va de même pour Thomas Mitchell et surtout Edgar Buchanan qu’on a connu ces dernières années bien plus pétillant et drôle car il tient ici aussi un rôle assez pittoresque, celui d’un officier de cavalerie moustachu et grisonnant (on ne le reconnaît d’ailleurs pas d’emblée si ce n’est par sa voix unique) qui se charge entre autre de distribuer le courrier et qui tombe sur une lettre d’une vingtaine d’années en arrière lui annonçant sa mise à la retraite. Anthony Quinn quant à lui est toujours convaincant en chef indien. Mais avoir Maureen O’Hara et Linda Darnell sous la main sans leur en faire faire plus, c’est bien dommage ; ah pour sûr, elles sont photogéniques et magnifiquement mises en valeur mais on ne voit malheureusement pas assez la seconde quant à la première, on aurait voulu l’écriture de son personnage un peu plus étoffé.

Toutefois, elles sont de presque toutes les plus belles séquences du film car on en trouve quand même quelques unes, le film, aussi décevant soit-il, étant quand même loin d’être mauvais. C’est ainsi que celle au cours de laquelle Maureen O’Hara surprend Linda Darnell essayer ses robes, lui faisant comprendre qu’en tant qu’indienne elle n’aurait pas besoin d’en mettre ou cette autre de séduction entre Maureen O’Hara et Joel McCrea, ces derniers imitant la cérémonie de demande en mariage entre deux indiens de la tribu Cheyenne et finissant par se tomber dans les bras l’un de l’autre se révèlent superbes ; au sein de la biographie ‘Bigger than life’ d’une légende, les scènes les plus marquantes sont presque celles qui n’ont que peu de rapport avec les faits historiques ce qui semble démontrer le peu d’intérêt qu’eut Wellman pour son sujet.

Le réalisateur fait néanmoins preuve d’une réelle virtuosité et d’une belle vigueur dans sa mise en scène, les séquences d’action étant franchement mémorables (même si Michael Curtiz n’est pas encore égalé à cette date) notamment celle de la bataille de War Bonnet plastiquement et rythmiquement prodigieuse. La superbe photographie en Technicolor de Leon Shamroy donne aussi beaucoup de prestige à ce film à gros budget. Pourquoi alors avoir repris quelques plans à
Sur la Piste des Mohawks et à
Western Union (ceux notamment des attaques indiennes de nuit), pourquoi avoir inséré d’aussi vilaines transparences derrière les gros plans en extérieurs de Maureen O’Hara et Joel McCrea, pourquoi avoir accepté une musique aussi insipide que celle de David Buttolph ?
Buffalo Bill devrait néanmoins plaire à un grand nombre et notamment aux enfants dont ce pourrait être un film idéal pour leur faire découvrir le genre. Ceux qui auraient pensé trouver une réflexion sur les mythes, l’héroïsme et leur récupération par les journalistes et hommes politiques doivent savoir qu’elle s’y trouve bien mais à toute petite dose.
Un somptueux livre d’images, ça ne fait aucun doute et ce n’est déjà pas négligeable ! Un bon film ? Pas vraiment. C'aurait pu mais Wellman ne me semblait pas du tout être l'homme de la situation. Désolé pour tous les adorateurs du film qui, je le sais, sont assez nombreux !