Legend (Ridley Scott - 1985)
A.
Le royaume féerique où se déroule cette histoire est un lieu d'harmonie et de paix, sous la protection bienveillante de deux splendides licornes, gardiennes des lieux. Mais Darkness, le seigneur du mal et de la haine, décide d'exterminer les licornes et de répandre sur le royaume une ère glaciale de désolation. Seuls la princesse Lily et le jeune Jack vont tenter de contrecarrer ses plans. (© non pas Wikipédia mais la jaquette du dvd

)
B.
Les sublimes captures postées par Demi-Lune m'ont décidé à revoir ce film que je n'avais pas revu depuis ma prime enfance et profitant de la double chance d'une promotion et d'une revente d'occasion, j'ai pu rapidement trouver le film pour le revoir peu de temps après, entre 2 Herzog, de la Gainax et j'en passe. Généralement, c'est le visuel d'un film qui, bien plus que l'histoire est prompte à me séduire et j'ai parfois envie de défendre un film plus du coup par son esthétique que sa narration. Du point de vue du visuel, Legend m'a bien évidemment comblé au delà de mes attentes. On sent le plan construit en partant du décor peaufiné afin d'obtenir de véritables toiles de maître. Les influences ne manquent pas et c'est tout un pan de l'imagerie de la fantasy comme du conte qui est revisité élégamment sous le pinceau de Ridley Scott. Certaines scènes sont même construites afin d'obtenir quelque chose qui tient lieu du sensitif. Comme, la découverte progressive des licornes (B) qui nous est donnée à être perçu comme si nous étions sous l'eau, c'est à dire, avec des sens en apnée, particulièrement brumeux. Dans cette scène, Scott ralentit les protagonistes, la lumière vient d'en haut (eau?), comme d'une fine membrane, le fond de l'image est à l'instar des fonds marins, flouté non pas de bleu mais de sépia. On alterne même avec une vue subjective qui avance lentement (capture de droite) afin de déboucher sur un plan d'ensemble d'un chemin d'où surgiront les majestueuses bêtes.
C.
Inutile de dire que quand Jack plonge dès lors sous l'eau, la sensation se révèle plus que similaire. Le 2.35 et le 16/9 ne font qu'aplanir une image étirée au maximum, ralentie, où toutes les teintes aquatiques du vert au bleu semblent s'être réunies. Legend est un ballet des sens par les couleurs, rien à redire. Il en va de même, plus que des décors naturels pour les décors d'intérieur amplifiant encore plus l'irréalité du conte que nous voyons. Comment ne pas être subjugué par le décorum chez Darkness ? Par ses piliers qui ressembleraient presque à ceux qui ornent l'immeuble Bradbury de
Blade Runner, mais multipliés par 20 ? Il existe une hypothèse de "prolongation" de son travail qui semble confirmée par le réalisateur dans les multiples bonus du premier
Alien (à moins que ce ne soit dans Blade Runner je sais plus

) et n'importe qui peut voir que c'est vrai, que d'un film à l'autre durant cette période, Scott ne fait que tirer des ponts, des parallèles, des liens étranges mais étonnants qui renvoient à une certaine homogénéité de sa vision. Dans Blade Runner, l'écran de la voiture de police reprend le même design de décrochage hors du sol ( E. ) que la nacelle du Nostromo quand elle se sépare de l'énorme vaisseau (D.). Blade Runner, point central de cette trilogie de l'imaginaire évoque lui-même un rêve de licornes. Et devinez quel est le sujet du film d'après, curieusement ?

D.
E.
Ce qui est la force du film est donc son travail de l'image, tout bonnement stupéfiant, peut-être trop sans doute, au détriment de l'histoire. On pourra alors objecter que l'émotion naît plus de l'imagerie déployée que d'une quelconque psychologie des personnages (excepté Darkness, fascinant de bout en bout) mais en ce qui me concerne et quand bien même ce serait ça, je pense plus que Scott choisi de revenir à l'aspect de pureté du conte avec ses figures archétypales : une princesse, un preux chevalier, un drag... euh non pardon. Bref, la lutte du bien et du mal à travers des figures. Dit comme ça, ça pourrait donner lieu de croire à un film manichéen alors que Scott parsème de petits indices montrant que si manichéïsme il y a, ce n'est qu'en apparence. N'oublions pas que l'un des Kobolins qui a rejoint les rangs des troupes démoniaques de Darkness n'était pourtant qu'un sympathique troll qui voulut un jour partir en quête d'aventures. N'oublions pas surtout Darkness, hallucinante figure du mal qui hésite, tombe amoureux (donc éprouve bien plus que de simples sentiments !) et en réfère à son "père", entité plus qu'innommable et immontrable (symbolisée par le discours entre le "fils" et son "père" devant le feu d'une cheminée et des statuettes qu'on jureraient reprises à Friedkin sur le plateau de l'exorciste

).
F.
De fait, c'est quand le film joue pleinement de l'ambiguïté et du franchissement des frontières qu'il atteint des sommets et fascine complètement. A l'instar de tout ce passage fabuleux qui précède et amorce la rencontre entre Lily et Darkness où la jeune fille succombe lentement au mal. D'abord par les bijoux et toute la richesse déployée puis ce passage véritablement magique d'une danse avec une robe animée d'une vie propre qui deviendra la seconde peau de Lily (F). Et c'est là, au plus fort de l'instant que, comme un orgasme qui aurait atteint son apogée, Scott en profite génialement par achever littéralement le spectateur (et quand on revoit ce passage on en joui littéralement...

) en faisant voler en éclat le miroir de la réalité. Ou plutôt, il y a traversée des apparences, à l'instar de ces mains monstrueuses qui semblent déchirer le reflet de Lily (G). Darkness, que nous n'avions alors jamais vu véritablement auparavant nous est introduit dans toute sa splendeur.
G.
Pour ces moments magiques, pour une poignée d'autres, pour son esthétique fabuleuse, pour tout ça, en dépit d'une histoire plus ou moins simpliste, Legend mérite grandement d'être réévalué et revu aujourd'hui.
Au final j'en arrive à me poser une question... John Carpenter n'aurait-il pas fait un magistral clin d'oeil à Ridley Scott en reprenant quasiment le même plan de sortie du miroir pour son
Prince of Darkness pour ce qui est là encore un moment purement fabuleux ?
4/6.