Distant Drums – Les Aventures du Capitaine Wyatt (1951)
Longtemps considéré comme l’un des chef d’œuvres de Raoul Walsh, ce film d’aventure est aujourd’hui un peu oublié et souvent dévalué dans la filmographie de Walsh. Pourtant, quoiqu’on pense de l’histoire en tant que telle, ce film garde un grand charme et de nombreuses originalités.
Ce western qui n’en est pas vraiment un a pour cadre la jungle marécageuse des Everglades en Floride. Mais ce n’est pas vraiment pour cela que ce film n’est pas un véritable western, c’est sans doute parce qu’il s’agit d’un vrai film de guerre. Ouvertement présenté comme un remake d’
Objective, Burma ! (1945),
Distant Drums relate effectivement l’histoire d’une compagnie de fantassins qui, après une opération militaire réussie (ici, la prise et la destruction d’un fortin occupé par des trafiquants d’armes), doit subir une longue errance en milieu hostile, poursuivie par les ennemis.
Sur ce point, la différence importante entre les deux films, outre l’époque à laquelle se déroule, c’est que
Distant Drums est un film en couleur. Il a été tourné en décor naturel, dans les marécages des Everglades au cours d’un tournage épique et digne de figurer dans les aventures de Raoul Walsh. Curieusement, ce milieu naturel hostile est très bien mis en valeur par la douceur des lumières et la beauté des paysages, avec de nombreux mouvements de caméra vers le ciel, des inserts de vols d’oiseaux, des groupes de flamants roses…Les westerns tournés dans ce type de milieu naturel sont rares et il est intéressant de comparer la manière dont Walsh ici et Hathaway dans
Garden of Evil (1954) filment ces décors naturels. Les moustiques et les alligators n’empêchent pas Raoul Walsh d’apprécier la beauté de la nature et d’y placer l’homme comme un intrus alors qu’Henry Hathaway assombrit une atmosphère déjà moite pour mieux faire ressortir l’hostilité générale du milieu envers ses héros. Dans
Distant Drums, non seulement la nature est belle mais les héros, bien que poursuivis par les indiens, trouvent le temps de le remarquer.
Belle mais dangereuse, cette nature particulière est bien mise en valeur dans l’introduction et la fin du film, quand le héros, le Capitane Wyatt, est filmé à l’endroit où il vit, une belle cabane indienne, sur un ilot sableux au milieu d’un lagon peu profond, en lisière de la forêt marécageuse des Everglades. La frontière entre la paradis terrestre de Wyatt et le domaine des alligators et des indiens est clairement tracée. Sur ce point au moins,
Distant Drums respecte bien la mythologie du western : c’est un film de conquête et de disparition qui raconte la prise d’un des derniers territoires conquis par les Etats-Unis et la disparition d’une des plus vastes terres indiennes, celle des Séminoles. Un peu oubliée dans les westerns, cette guerre a été la plus sanglante et une des plus longues guerres indiennes.
Il est amusant de rappeler que la Floride a été découverte en 1513 par le navigateur espagnol Juan Ponce de Léon qui recherchait la mythique fontaine de Jouvence. Bien sûr, nous sommes vite passés de la légende au pragmatisme et c’est l’habituelle soif d’or qui motivât l’installation des colons. Lors de la guerre d’indépendance, la Floride resta fidèle à l’Angleterre, puis redevint espagnole et c’est seulement en 1822 qu’elle fut définitivement rattachée aux U.S.A. Etat très peu peuplé, il fut le terrain des trois guerres séminoles au cours desquels les indiens furent peu à peu tués ou exilés hors de Floride.
Distant Drums se situe historiquement en 1840, durant la seconde guerre Séminole, menée par le chef indien Osceola qui, dans le film, devient O’Cala.
Les indiens sont bien mis en valeur dans ce film. Bien sûr, ce sont des combattants cruels, mais il s’agit d’un film de guerre et c’est plutôt un hommage qui leur est rendu par Walsh. Il est intéressant de noter que dans ce film, les soldats américains combattent un peu comme leurs adversaires, infiltrant de nuit un fort espagnol, puis fuyant dans les marécages avant que le film ne se termine sur un duel entre les deux chefs, Wyatt et O’Cala, censé respecter les règles de duel des Séminoles.
Le Capitaine Wyatt a d’ailleurs été mariée à une princesse Creek (les Creeks sont la tribu d’origine des Séminoles qui avaient fuit en Floride), qui a été assassinée par des soldats américains avinés et son fils est élevé à l’indienne. Il peut apparaître assez facile de prôner la tolérance entre les races en 1951, quand on sait qu’à l’issue des guerres Séminoles, il ne restait qu’une poignée d’indiens dans les Everglades, mais au moins
Distant Drums fait-il du Capitaine Wyatt un héros qui connaît et respecte la culture de ses adversaires. Gary Cooper trouve ici un très beau rôle, même si on peut regretter que le reste de la distribution ne soit pas très excitante.
Il serait bien sûr très exagéré de dire que
Distant Drums est un hommage aux Séminoles, mais c’est une célébration visuelle de la nature sauvage. L’essentiel du film se déroule dans la jungle, sur un territoire plat et Raoul Walsh a eu la bonne idée de renforcer l’idée d’immensité de ce paysage des Everglades en faisant un montage à base de très nombreux volets, de droite à gauche. L’uniformité de la forêt en est accentuée et les hommes, indiens comme soldats américains y sont, comme les animaux, un détail du paysage. La tension du film, elle, vient plutôt de la très bonne musique de Max Steiner, et bien sûr, des tambours lointains.
Si on parle de
Distant Drums, il faut aussi évoquer une petite curiosité cinéphile, le fameux Cri de Wilhem :
Le cri que pousse le soldat quand un alligator l'entraine au fond des marais, est utilisé pour la première fois dans ce film. Et comme un bon cri d’effroi qui glace les sangs, Ça ne court pas les studios d’enregistrement, des générations de techniciens se repassent la bande. Jusqu’à ce que Ben Burtt, entre autres ingénieur du son attitré de George Lucas, découvre cette anecdote de l’histoire d’Hollywood.
Il décide d’en faire une blague, façon "private joke", avec un collègue qui travaille pour notamment Steven Spielberg : les deux feront systématiquement retentir le cri dans tous les grands films hollywoodiens dont ils réalisent la bande son.
Au total, "Wilhelm" crie dans 147 films, liste tenue à jour par l’historien d’Hollywood Steve Lee sur son site.
Mais, au fait, pourquoi Wilhelm?
Dans le deuxième film à utiliser le cri, un western de série B de 1953 intitulé La Charge de la Rivière rouge, un personnage nommé "soldat Wilhelm" le laisse échapper en recevant une flèche indienne dans la cuisse…
Reste une question: à qui appartient la voix ? Sans doute à un chanteur et comédien qui enregistrait parfois des bruitages pour arrondir ses fins de mois, Sheb Wooley.
Ci-dessous un lien vers le site de Steve Lee :
Le Cri de Wilhem
A moins d'en avoir la VHS,
Distant Drums n'est malheureusement visible qu'en DVD Z1, sans stf je crois.