J'avais découvert le film il y a plus de quinze ans au Cinéma de Minuit, avec une bonne impression. Revu quelques années plus tard, je me souviens que j'en étais sorti mitigé. Pour ce troisième essai, je redeviens conquis avec pourtant quelques réserves.
SPOILERS
Comme beaucoup, j'admire vraiment ce sens du rythme et de la narration que développe Curtiz. Il y a une vraie énergie qui émane de cette histoire avec, en plus, ce cachet "film en studio" si indémodable (et quelle photo!).
J'ai particulièrement apprecié l'atmosphère du film. CASABLANCA se déroule dans une zone neutre, un peu comme une suisse nord-africaine, sauf que l'ambiance qui y règne est beaucoup plus instable, proche du déséquilibre et du chaos. Les forces en puissance jouent d'une certaine neutralité (les allemands cohabitent momentanément avec l'armée française) et savent que la population qui y passe ne fait que transiter d'une zone de guerre vers une zone de liberté. A n'importe quel prix.
Casablanca n'est pas un lieu de vie mais un espace de transition, entre la vie et la mort. Le flux de population désespérée est assez bien rendu, avec notamment ce jeune couple (à la recherche d'autorisations pour quitter le continent) que l'on croise régulièrement au détour d'un plan dans une rue ou dans un café.
Et il y a forcément des personnes pour exploiter ce chaos. Des personnes suffisamment haut placées pour user de leur autorité à leur propre fin. Claude Rains est de ceux-là. Il n'a pas de réelle convictions, n'a pas de camp de prédilection. Il s'applique à maintenir tant qu'il le peut une situation de paix entre les deux forces armées, jouant ouvertement les bons soldats pour les allemands mais sachant aussi trouver son propre compte avec les autorités françaises. C'est un opportuniste qui prend là où il peut, qui n'hésite pas à demander des pots-de-vins ou des faveurs sexuelles à des jeunes femmes qui n'ont plus rien à offrir en échange de laisser-passer.
Et dans CASABLANCA, des personnages comme lui, on en trouve dans tous les plans. La ville grouille de petits truands, d'arnaqueurs, de personnages qui profitent de la situation précaire en Europe, qui ne pensent qu'à leur propre survie et à leur propre intérêt.
Et il y a Rick et son "café américain". Cet établissement est une sorte de zone neutre dans la zone neutre. Tous les genres de population s'y croisent, des profiteurs comme des passants momentanés, des précaires aux plus plus riches. Rick, le patron, est admiré de beaucoup de monde, notamment des fonctionnaires haut placés (comme Claude Rains) parce qu'il n'a jamais pris parti pour un camp, parce qu'il ne se voile pas la face dans ce chaos, qu'il joue avec sans en abuser. Bogart incarne à la perfection cet homme au grand coeur caché derrière une carapace stoïque et cynique.
Le film contient des scènes excellentes et joue parfois très bien avec l'actualité contemporaine qu'il décrit: CASABLANCA est aussi un vibrant plaidoyer pour la liberté qui permet d'expliciter remarquablement les élans humanistes et sociaux, les conflits politiques, la survie de la civilisation qui émanent parfois de certaines scènes. La plus évidente étant celle où les partisans de la France libre chantent ensemble la Marseillaise pour faire taire les nazis. Très belle scène qui donne des frissons, qui capte magnifiquement et simplement les valeurs morales, politiques, humaines, cristallisées pendant quelques secondes dans ce café.
Et puis il y a l'aspect romanesque. Bizarrement, c'est celui qui m'a moins convaincu. Je trouve le flashback, rétrospectivement, un peu obsolète. J'aurais presque préféré qu'il n'y soit pas, qu'on nous le laisse suggéré. J'aime beaucoup le personnage de Bogart quand il est tourmenté par cet amour passé, par ce dilemme avec le mari de Bergman, grande figure de la Resistance qui vaudrait tous les sacrifices. Mais je suis beaucoup moins client quand Bergman, peu avant la fin, soudainement, avoue à Rick qu'elle l'aime encore. Je n'y crois pas. C'est trop soudain et trop exagéré, je ne sais pas. Ca sent trop le rafistolage de dernière minute pour contenter un certain public. On sait que le film s'écrivait presque au jour le jour et cette parenthèse amoureuse revivifiée casse un peu l'ensemble, qui était jusque-là davantage dans le sous-entendu et le modéré.
Je ne suis pas contre le fait que Bergman retombe dans ses bras mais j'aurais sans doute préféré une déclaration plus discrète, plus mesurée, plus contrôlée, sans élans physiques par exemple. Je ne sais pas. En tout cas cette déclaration m'a parue arriver comme un cheveu sur la soupe.
Un peu comme la fin, d'ailleurs, qui malgré d'excellents dialogues (mais il y en a en fait pendant tout le film) semble précipiter un peu les choses. Le dernier quart d'heure reflète peut-être davantage les soucis de production qui, jusqu'à présent, ne se voyaient pas. Cette succession d'évènements, si rapide, comme si l'on voulait conclure vite fait cette histoire, ne m'a pas convaincu. Peut-être était-ce la fatigue, cependant.
Mais il reste heureusement la bonne impression de l'ensemble.
Très beau master Blu-Ray avec une image au piqué impressionnant. Aucune poussière, peut-être quelques passage où la compression se devine presque (mais je n'en suis même pas sûr). Par contre il reste toujours ce souci de contraste dans les restaurations actuelles: la profondeur des noirs n'est pas toujours constante. Cela concerne peu de moments, la trouvaille logicielle se fait attendre. Beau boulot en tout cas (certains plans de Bergman, par exemple, sont

).
Je n'ai pas vu la bio de Bogart en bonus mais les 2-3 autres documents sont assez décevants. On ne fait qu'encenser l'oeuvre sans chercher à analyser. Comme d'hab' pour les docs US... Et puis les avis des enfants Bogart et Bergman, on s'en fiche un peu non?
