

SPOILERS. Allez, et que j'profite au maximum de mon week-end et que j'continue sur ma petite lancée carpenterienne.
Christine a toujours été un de mes Carpenter favoris. Une voiture qui est douée d'une personnalité, voilà pourtant un pitch qui en laisserait plus d'un sceptique, à moins que cela ne soit produit par Disney. Il s'agit pourtant d'un grand film, selon moi, un film que je revois chaque fois avec grand plaisir et qui me semble souvent omis lorsque l'on cite les grandes réussites du cinéaste. D'ailleurs, lui-même affirme ne l'avoir tourné que parce que c'était le seul projet qu'on était venu lui offrir après l'échec de
The Thing. Limite s'il ne le trouve pas raté. Pourtant, à mes yeux
Christine est
très loin d'être un Carpenter mineur. Pourquoi ? Pour la qualité de la mise en scène, d'abord. Avec
The Thing, je trouve que ce film est peut-être celui où Big John maîtrise le mieux son art, dans lequel remarquable fluidité, économie judicieuse, discrète virtuosité et sens imparable du Scope font bon ménage. Dès la clinquante ouverture et ses mouvements d'appareil et angles soigneusement étudiés, l'efficacité technique de la réalisation saute aux yeux et trouve une forme d'accomplissement total que, malheureusement, Carpenter perdra pour moi peu à peu. Il bénéficie en outre d'un directeur photo (Donald M. Morgan, qu'il retrouvera sur
Starman) succédant temporairement au fidèle Dean Cundey et ce, avec un certain brio formel : comme l'indiquait Simone Choule au début du topic,
Christine est, assez logiquement d'ailleurs, un film aussi rutilant que sa voiture éponyme dès lors que celle-ci est au centre de toutes les attentions. Brillante de couleurs tapageuses, aguichant ses propriétaires masculins au gré des chansons rétro qu'elle diffuse sur ses ondes, capricieuse, jalouse, possessive et méchante, Christine, voiture métaphore de la femme-objet qui rêve de prendre sa revanche sur la gent masculine, est également un prisme au travers duquel se lit une description subtile de l'adolescence, illustrée via le personnage d'Arnie Cunningham dans son excessivité, ses contradictions auto-destructrices. L'union symbiotique entre Arnie et sa voiture (qu'il désire certainement plus encore charnellement que sa petite amie Leigh) n'est pas sans procurer un certain malaise au spectateur qui ne manquera pas d'être troublé par un sous-texte sexuel aussi dérangeant et inhabituel (on est quand même plus de dix ans avant
Crash de Cronenberg). Il faut tout le talent d'un Keith Gordon (vu également dans le
Pulsions de De Palma, où il jouait déjà un geek mal dans sa peau), jeune acteur prometteur hélas trop tôt disparu des écrans, pour donner une profondeur tourmentée et hallucinée à un personnage de looser assez casse-gueule sur le papier. Il est d'ailleurs bien épaulé par John Stockwell et la jolie Alexandra Paul (bien avant
Alerte à Malibu). Il faut le souligner car les films de Carpenter ne brillent pas toujours par leurs performances d'acteurs.


Maladivement renfermé derrière ses grosses lunettes et sa trouille du contact féminin qu'il tente de prendre avec philosophie (cf. le dialogue avec son ami Dennis dans la voiture), Arnie est le pendant masculin de Carrie White, jeune vierge tétanisée évoluant dans un monde lycéen impitoyable dès lors que l'on ne rentre pas dans les canons de réussite américains. Comme pour
Carrie, l'intrusion du fantastique est alors moins prétexte à une intrigue horrifique qu'à une régénération vengeresse où s'exprime toute la détresse d'une jeunesse tourmentée. Certes nuancées ici (le footballer américain n'est pas, cette fois, un grand nigaud ; la plus belle fille du lycée n'est pas la splendide potiche habituelle...), les sacro-saintes images du petit monde adolescent n'en prennent pas moins pour leur grade : l'ado souffre et il le fait radicalement savoir, que cela soit à ses parents castrateurs (qui n'ont finalement plus aucune emprise sur lui et se font copieusement insulter) ou à ses ennemis, que Christine se charge d'éliminer. Christine, le déclic (et déclin) mental, la voiture plus fidèle et plus désirable encore que la femme. Ceux qui pensent toujours être dans un Carpenter assagi sont définitivement irrécupérables !

C'est, au contraire, un Carpenter remarquablement vicelard, que ce
Christine. Très proche de
Carrie pour des raisons évidentes, je trouve personnellement
Christine encore plus approfondi, abouti et dérangeant dans sa vision sombre de l'adolescence, et le préfère au De Palma.
Christine, c'est d'ailleurs un peu le complément et l'envers d'
Halloween dans la mesure où la menace plane sur les jeunes des banlieues propres mais qu'elle provient de quelqu'un de semblable, d'un vilain petit canard mal dans sa peau qui ne trouvera rien d'autre de mieux, pour se faire respecter et intégrer (du moins le pense-t-il), que d'expulser toute sa violence par le biais de son monstre chromé, véritable miroir de lui-même. Une extension mécanique de son esprit qui annoncerait presque, décidément, du Cronenberg (filiation d'autant plus étrange à la lumière des déclarations de Carpenter selon lesquelles il voit dans la destruction de Christine par le bulldozer une scène de baise sauvage). Sauf que cette extension dispose aussi de sa propre personnalité et que le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle dissimule celle d'une belle garce. Cependant, l'une des grandes forces du film est de conserver, un peu à la manière des
Oiseaux d'Hitchcock, un mystère fascinant autour de cette Plymouth Fury 1957. Ainsi, il faut tout le talent d'un cinéaste chevronné au fantastique pour parvenir à donner "corps" à cette histoire inventive de Stephen King sans tomber dans le grand-guignolesque. Car ce qui est le plus remarquable dans
Christine, c'est la fluidité immédiate d'une narration qui permet à Carpenter de captiver de suite son auditoire et de faire passer comme une lettre à la poste tous les ressorts scénaristiques à venir. Nanti d'un budget relativement confortable de 10 millions de dollars, studio oblige, il bénéficie également de trucages qui restent toujours aussi impressionnants car délivrés avec parcimonie et fondés sur des effets mécaniques qui supplanteront toujours, en terme de texture et de réalisme, tous les CGI de la terre. La restructuration de Christine reste magnifique, 27 ans plus tard. Le film ne fait pas peur mais il n'en reste pas moins admirable avec son scénario d'une rigueur à toute épreuve et, sous son enrobage rock'n'roll chromé et rutilant (conforté par une très belle gamme de standards des années 1950), plutôt malsain et souvent dérangeant (l'agonie d'Arnie qui touche une dernière fois le "corps" de sa Christine). Encore un grand film de Carpenter !
J'adore les plans au Scope où les phares s'allument au son du petit jingle au synthé.