
Le roman de Louisa May Alcott sorti en 1868 a depuis été adapté à six reprises dont 4 versions majeures (1933, 1948, 1994 et 2019) ayant connu chacune un grand succès. Cette nouvelle version est indéniablement l’une des plus réussies.
La version de Greta Gerwig bénéficie d’une mise en scène dynamique et d’un montage rapide (en particulier au début, le rythme évoluant avec le récit) lui donnant un aspect non académique et indéniablement moderne. Comme le suggère pertinemment l’affiche, il y a beaucoup de mouvement, comme pour souligner la vitalité de la jeunesse.
En revanche, pour qui n’a pas l’histoire bien en tête, le récit paraît assez confus (pourtant ce n’est pas censé être compliqué) à sa première vision en raison d’un abus de flashbacks (le film démarre en 1868 puis revient en 1861 et alterne par la suite les époques) perturbant.
Ces allers-retours dans le temps donnent au film une plus grande ampleur mais aussi une amertume diffuse que l’on ne trouvait pas dans les précédentes versions même si la douceur était finalement quelque-peu atténuée par la tragédie de la seconde partie du récit.
Cette impression se prolonge jusqu’au dénouement que j’ai trouvé un brin cynique et très contemporain. Vraisemblablement Greta Gerwig ne pouvait envisager la fin habituelle beaucoup trop conformiste pour notre époque. Elle a trouvé un subterfuge malin pour filmer la fin attendue et écrite tout en la présentant astucieusement comme irréelle. Ainsi, les ultimes scènes avec l’éditeur sont de nouveaux clins d’oeil féministes appuyés. Gerwig nous dit quelque-chose dans ce genre : « nous les femmes d’aujourd’hui, nous ne sommes pas dupes de ce à quoi vous voulez nous réduire ».
Cette fin est donc à la fois un clin d’œil à l’état d’esprit des spectatrices contemporaines et une manière de s’inscrire en creux dans l’air du temps.
Greta Gerwig parle du film et de ses choix ici et d’après elle, ces choix correspondent à ce qu’aurait voulu l’auteure sans oser l’imaginer :
https://m.soundcloud.com/thedirectorscu ... son-ep-229
https://podcasts.apple.com/jm/podcast/l ... 0456261535
Côté casting, Louis Garrel m’a impressionné par son charisme et Saoirse Ronan est très bien. Je n’en dirais pas autant de Emma Watson plutôt insipide et qui a constamment l’air d’être déguisée.

J’ai voulu (re)voir la version de 94 avec Wynona Ryder en vedette ainsi que Kirsten Dunst et Claire Danes. Exercice très intéressant qui permet d’éclairer les choix de Greta Gerwig pour le film de 2019 et de mieux cerner les qualités et défauts du film. En premier lieu le casting. Deux choses sautent aux yeux : les actrices paraissent globalement un peu plus âgées et puis surtout il y a le choix de Louis Garrel beaucoup plus jeune que Gabriel Byrne en 1994. Ainsi, il n’y a plus que 11 ans d’écart avec Saoirse Ronan alors qu’il y en avait 21 entre Wynona Ryder et Gabriel Byrne précédemment.
Évidemment c’est un choix totalement dans l’air du temps.

Concernant les actrices, l’élément le plus intéressant est l’âge de Florence Pugh incarnant Amy la plus jeune sœur. Ce choix de casting est un peu perturbant au premier abord car on ne distingue plus bien les différences d’âge entre les sœurs (Amy est censée avoir 12 ans au départ alors que l’actrice fait le double). Mais le gros avantage, on s’en rend compte en voyant la version de 94, est que cela économise un changement d’actrice lorsque les années passent. Cela saute aux yeux en voyant la version de 1994 : Amy est excellemment interprétée par Kirsten Dunst, parfaite chipie, au début du film, puis on découvre au milieu du film une nouvelle actrice pour incarner le personnage à 20 ans. Ce changement n’est pas très bien géré et est un des points faibles du film de 94 qui a en revanche pour lui un casting féminin globalement supérieur (Wynona Ryder, Kirsten Dunst, Claire Danes ainsi que la moins célèbre mais parfaite Trini Alvarado qui incarne beaucoup mieux il me semble le personnage de la douce Meg que Emma Watson).
Mais la nouvelle version a pour lui une excellente Saoirse Ronan, qui ne fait pas tout à fait oublier Wynona Ryder mais impose sa version de Jo, plus ambitieuse peut-être et un peu moins attentionnée pour ses sœurs que ne l’était Joe dans les précédentes versions et tout particulièrement Wynona.

Après avoir revu les versions 1933, 1948, 1994 et 2019, je trouve Wynona Ryder et Saoirse Ronan meilleures que leurs prédécesseurs June Allyson (trop âgée, pas assez garçon manquée et pas gâtée par son partenaire masculin Peter Lawford) et surtout Katherine Hepburn enthousiaste mais qui en faisait des tonnes (avec, il me semble, un travail sur l’accent qui enlève encore du naturel à son jeu).
Des quatre rôles, Joe et Amy sont les plus intéressants et constituent sans aucun doute un énorme plaisir de jeu pour les actrices. Les deux autres rôles sont beaucoup plus fades. Ainsi, toutes les Amy sont mémorables, tant Joan Bennett qu’Elizabeth Taylor (la plus égoïste probablement mais qui accapare souvent l’attention), Kirsten Dunst (la seule à avoir le bon âge pour le rôle) mais Florence Pugh, la dernière en date, marque les esprits. Greta Gerwig lui donne l’occasion de donner une version plus subtile et complexe du personnage sur une plus large échelle de temps (c’est l’avantage d’avoir pris une actrice plus âgée). Elle est très convaincante et parfaitement égocentrique mais on découvre également davantage ses propres aspirations et talents artistiques.
Quant à Meg, l’aînée, plus effacée mais au grand cœur, j’ai un faible pour Trini Alvarado en 1994 ainsi que Janet Leigh. Malheureusement on ne retrouve pas la même bonté dans le jeu d’Emma Watson.
