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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Sport favori de l'homme

(Man's Favorite Sport?)

L'histoire

Quiconque s’intéresse à la pêche à la ligne doit avoir lu La pêche à la portée de tous écrit par l’éminent Roger Willoughby. Tous ceux qui désirent s’adonner à cette chasse fluviale se doivent de passer écouter ses sages conseils professés avec nonchalance dans la boutique où il travaille. Personne ne remettrait en doute les compétences de Roger. Personne, même pas Abigail Page, arrogante et gaffeuse publiciste qui envoie Roger gagner un concours de pêche sans se douter que le soi-disant expert n’a jamais lancé une ligne de toute sa vie. Et pour cause, il déteste le poisson. Aidé par l’envahissante jeune femme qui l’a plongé dans l’embarras, et aussi par un heureux concours de circonstances, Roger remportera la compétition. Non sans avoir avoué son imposture à ses concurrents et tomber de surcroît dans les filets de la ravissante publiciste.

Analyse et critique

En 1962, Howard Hawks vient de boucler le tournage et la campagne promotionnelle de Hatari ! dont la Paramount espère tirer de très larges bénéfices. Le cinéaste américain s’intéresse à une nouvelle de Pat Franck découverte dans Cosmopolitan et intitulée The Girl Who Almost Got Away. Il s’agit de l’histoire d’un expert en pêche à la ligne qui n’a en réalité jamais pêché de toute sa vie. Il y a plus de dix ans que Hawks n’a pas tourné de comédie sentimentale (Monkey Business en 1952, et si on fait exception du musical Gentlemen Prefers Blondes). Il voit dans cette histoire d’imposture la possibilité de bâtir de nouvelles variations sur les rapports antagonistes entre un homme inexpérimenté et une femme dominatrice. Man’s Favorite Sport ? s’ouvre ainsi d’emblée sur une scène où le pauvre Roger Willoughby se voit arrêté par un officier de police parce qu’une femme sans gêne s’est permise de lui voler sous son nez sa place de parking.

Hawks désire faire jouer Cary Grant dans le rôle de l’imposteur. Mais Grant ne croit guère en cette histoire et préfère se tourner vers le scénario de Charade pour Stanley Donen. Il réapparaîtra néanmoins pendant le tournage pour venir déjeuner en compagnie du cinéaste et de ses acteurs. Hawks pense alors le remplacer par Rock Hudson, acteur devenu notamment populaire dans la comédie de Michael Gordon, Confidences sur l’oreiller (Pillow Talk, 1959). Pour le rôle d’Abigail Page, la jeune publiciste gaffeuse et manipulatrice, Hawks parie sur Paula Prentiss qu’il a vue jouer dans différents films de Richard Thorpe. Comme la Paramount s’oppose à mettre en tête d’affiche une actrice aussi peu célèbre, Hawks quitte le studio et réussit en une heure de temps à négocier un contrat pour tourner le film avec Universal.

Il confie la genèse du scénario à deux auteurs relativement novices, Steve McNeil et John Fenton Murray qui venait tout juste de signer le script de It’s Only Money de Frank Tashlin avec Jerry Lewis. Fidèle à ses manies, Hawks s’entretient longuement avec ses auteurs, leur donnant son point de vue sur le caractère des personnages et exigeant certaines situations dramatiques. Lorsque le tournage débute le 11 décembre 1962, l’équipe est rejointe par Leigh Brackett avec qui Hawks avait aimé travailler sur The Big Sleep (1946), Rio Bravo (1959) et Hatari ! (1962). Leur collaboration allait encore durer plus de dix ans, jusqu’à ce que Hawks tourne son dernier film, Rio Lobo. La romancière assiste au tournage au coté de Hawks, discute avec lui de certaines imprécisions et réécrit parfois jusqu’à cinq versions d’une scène en train d’être tournée. Malgré ses efforts, et les protestations du cinéaste et des deux scénaristes, la Writers Guild of America ne mentionnera jamais son nom au générique.

Hawks fait beaucoup d’efforts pour tenter de tirer le meilleur de Rock Hudson. Il reconnaîtra d’ailleurs lui-même à Jim McBride que Hudson n’était pas un acteur de comédie. Mais le rôle de Roger Willoughby avait été imaginé pour Cary Grant et, si Hudson peut parfois tendrement évoquer la star de I Was a Male War Bride (1949), l’absence du modèle se fait tristement ressentir. Le même problème se pose avec Paula Prentiss qui, malgré sa fraîcheur et son espièglerie, est dirigée sur le modèle de Katharine Hepburn et d'Ann Sheridan. Ce choix artistique lui permet peu d’exprimer sa véritable force comique.

Le pari de Hawks pour ce film tient en deux lignes dans la préface qu’il rédige lui-même du scénario : « Roger doit subir des frustrations et humiliations sans nombres de la part d’une femme arrogante. » A tout point de vue, il semblerait que Hawks désire en 1963 réaliser une screwball comedy semblable à celles qui établirent sa réputation à la fin des années 1930. Il va même jusqu’à recycler la fameuse scène de L’Impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby, 1939), où l’on voyait Grant marcher derrière Katharine Hepburn dans un restaurant pour masquer un morceau d’étoffe manquant au bas du dos de sa robe. La nouvelle version provoque ici moins d’hilarité tant Hudson est incapable d’exprimer un réel embarras.

Contrairement aux chefs-d’œuvre des années 1930, le film est souvent mou. Les grandes comédies hawksiennes tiraient leur incroyable énergie du caractère farfelu, farceur des acteurs et de leur trépidant débit de parole. Le déluge d’informations, la véloce logorrhée d’une Katharine Hepburn ou d’une Rosalind Russel (His Girl Friday, 1939) réussissaient miraculeusement à éclairer la nature zélée des personnages. On peut même comprendre rétrospectivement pourquoi Eric Rohmer se soit toujours montré si admiratif devant les films de Hawks. Le cinéaste américain aurait peut-être été le premier à faire signifier le parlant plutôt que de tout miser exclusivement sur les seules informations contenues dans le dialogue. Howard Hawks aurait réussi à vivifier ses personnages par la manière dont ils s’exprimaient en emportant le film avec eux. Exactement comme les héros des films de Rohmer ou encore le stéréotype même du personnage burlesque du règne de la parole : Woody Allen.

Dans Le Sport favori de l’homme, Hawks n’a guère abandonné l’idée d’exploiter ce procédé. Seulement, ses acteurs alanguissent le rythme du film à force de vouloir en même temps faire ressurgir des modèles originaux. Bref, ils ne se lâchent pas là où le cinéma de Hawks peut donner parfois une réelle impression de liberté et de nonchalance. Ainsi le débit de Rock Hudson est mesuré ; c’est celui d’un homme qui désire affirmer son efficacité et son autorité et ainsi exprimer sa maturité. Il s’oppose peu efficacement à celui alerte et moqueur de Paula Prentiss, qui le fait vaciller au point d’en faire jaillir l’artifice. Ces deux rythmes étant ici sans cesse surjoués, ils paraissent comme le film à la fois maniérés et datés. (1)

Le film est plastiquement assez pauvre et confirme le manque d’inspiration coloriste de Hawks. Lorsqu’il s’agit de filmer un western, un péplum ou un film de chasse en Afrique, le cinéaste s’en tire à bon compte grâce à l’uniformité des décors arides et désertiques. Mais dès qu’il s’agit d’introduire de la couleur, on est proche de la catastrophe. Déjà dans Les Hommes préfèrent les blondes, la scène où Jane Russell danse au milieu de gymnastes dans des costumes couleur peau était un comble de mauvais goût ostentatoire. Ici les couleurs criardes (très proches du style cartoon d’un Frank Tashlin) accentuent l’artificialité du décor et rendent peu vraisemblable ce marivaudage sportif. Les meilleurs moments visuels du film proviennent de scènes d’intérieurs où les acteurs sont vêtus dans des teintes à peu près similaires à celles du décor. Le film, par contre, se clôt en beauté sur une grande idée plastique : les deux amants réunis dans un lit de camp voguant sur le lac battu violemment par la pluie en pleine nuit.

A deux reprises, lors des baisers échangés, Hawks articule un plan d’archive du carambolage de deux trains fonçant à vive allure l’un contre l’autre. On peut se demander si cette scène, à l’image même du film, a été intercalée pour contenter les commentateurs fidèles du cinéaste qui, à cette période, nagent en plein délire "auteuriste". La politique des auteurs, dont Hawks fut le symbole, s’était construite autour de certaines thématiques chères aux cinéastes. Ce montage d’un plan aussi signifiant accentue l’idée que le film a été entièrement fabriqué autour d’un élément thématique récurrent à son auteur comme semblait déjà le penser Jacques Lourcelles à propos de Monkey Business. Hawks, le cinéaste classique par excellence, le chantre de la transparence, semble s’être découvert lui-même en tant qu’auteur au milieu des années 1960. Il sait ce qu’on dit de lui en France. Il se joue ainsi ouvertement des conventions en achevant le film par une scène d’un serial en noir et blanc où une vamp déplore avoir été embrassée car, selon les codes hollywoodiens, ce baiser clôt immanquablement le film. (2) Ce regret tardif se fait la voix des admirateurs du cinéaste qui expriment leur tristesse d’avoir à attendre le prochain film.

C’est ainsi sans doute qu’il faut aujourd’hui appréhender Le Sport favori de l’homme si l’on désire pleinement en apprécier la suprême élégance. L’histoire raconte les mésaventures d’un auteur qui n’a jamais pratiqué la discipline où il excelle à écrire. Hawks semble se moquer avec malice de tous ses exégètes européens. Il ridiculise lui-même la fameuse morale du professionnalisme qui lui avait été étiquetée comme garante de son génie. Roger remporte la compétition par un concours de malchances et de maladresses dont il est la victime triomphante. Le grand cinéaste américain se moque de tous ces critiques délirants et impressionnistes dont il a lu les commentaires avec perplexité.

En 1964, Hawks leur aurait jeté à la figure le film de leur rêve, une screwball comedy miraculeusement ressuscitée devant leurs yeux aveugles de bigots. Il affirme par la même occasion que lui seul est un professionnel, un véritable cinéaste. Ultime élégance irrévérencieuse du plus élégant des cinéastes américains. Qui s’amuse avec désinvolture des passions exacerbées qu’il provoque chez tous ces intellectuels en train de louer son réel génie.

NB : Le film aurait été amputé de quarante-cinq minutes selon Hawks qui tentait d’expliquer son relatif échec commercial. En réalité, vingt-cinq minutes furent enlevées sans explication par Universal alors que la preview de la première version avait beaucoup mieux fonctionné. Cette copie ne présente pas le film dans sa version longue.


(1) Cette différence signifiante de rythme permet toutefois d’accentuer la tension érotique entre les deux personnages. Tension souvent violente au point où Roger avoue vouloir tuer Abigail.
(2) Mais depuis Le Port de l’angoisse (To Have and Have Not, 1944), Hawks ne s’est-il pas toujours joué des conventions en minimisant de plus en plus l’intrigue au profit de la scène pure ?

Dans les salles

Film réédité par Swashbuckler Films

Date de réédition : 10 août 2011

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Par Frédéric Mercier - le 27 août 2006