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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Homme aux colts d'or

(Warlock)

L'histoire

Sous la conduite du riche propriétaire Abe McQuown, une bande de dangereux hors-la-loi met à feu et à sang Warlock, une petite ville minière de l’Ouest. Terrorisés mais désireux de se défaire de ce joug, les citoyens se réunissent en comité. Ils décident d’engager un tueur professionnel : Clay Blaisdell (Henry Fonda), "l’homme aux colts d’or". Nommé Marshall, il se fait aider par son fidèle compagnon, Tom Morgan (Anthony Quinn), aventurier et joueur invétéré qui achète d’ailleurs immédiatement le saloon de la ville. Blaisdell et son acolyte remettent de l’ordre dans la bourgade, mais ils inspirent vite la méfiance à ceux-là même qui les avaient appelés. En outre, Johnny Gannon (Richard Widmark), un ex-bandit repenti, devient le nouveau shérif de Warlock et il compte faire respecter la loi, et rien d’autre que la loi. Il s’oppose ainsi à la fois à la terreur semée par McQuown et au nouvel ordre instauré par le duel Blaisdell- Morgan...

Analyse et critique

Dans la catégorie des grands classiques du western hollywoodien, Warlock possède un statut particulier. Tantôt on le considère comme un classique troublant, intelligent et d’une originalité profonde. Tantôt on conteste son manque de rythme et sa mise en scène déficiente. Nul doute que ces réticences sont en grande partie dues aux sentiments peu respectueux qu’inspire le réalisateur de cette œuvre : Edward Dmytryk. Si certaines des réalisations de Dmytryk demeurent méconnues comme L’Homme à l’affut (1952), des films réputés tels qu'Ouragan sur le Caine (1955) déçoivent lors d'une nouvelle vision. Sans parler de projets improbables : un remake de L’Ange Bleu (1959) ou Shalako (1968) avec Sean Connery et Brigitte Bardot. Dmytryk a d’autant moins reçu l’estime de la critique que son comportement fut peu glorieux, c’est un euphémisme, durant la période maccarthyste. Ex-membre de la Commission d’enquête des activités anti-américaines, il refusa de répondre aux questions de cette dernière mais, après une peine de prison, il renia le communisme et accepta finalement de donner des noms d’ex-camarades. Il put, grâce à ce revirement, poursuivre sa carrière mais s’attira les foudres - bien compréhensibles - des sympathisants de gauche.

Ces réserves posées, il est souhaitable de se rappeler ceci : durant l’âge d’or du cinéma hollywoodien (1940-1965), même un cinéaste peu enthousiasmant (ou supposé comme tel) était susceptible de tourner un grand film et, de toute évidence, L’Homme aux colts d’or en est un. Pourtant, lorsque le film commence, on est en droit de craindre le pire. Les grosses vedettes n’ont jamais fait un bon film. La musique de Leigh Harline n’atteint pas les sommets mais elle deviendra de plus en plus belle, et même bouleversante dans la scène finale. La situation de départ est archi-conventionnelle : une communauté apeurée qui réclame un secours extérieur afin de rétablir la paix. Dans ces conditions, comment peut-on en arriver à considérer L’Homme aux colts d’or comme l’un des films de divertissement les plus étonnants, les plus complexes et les plus puissants qui soient ?

Des personnages admirablement campés

La première force de L’Homme aux colts d’or, c’est un scénario incroyablement riche de Robert Alan Aurthur, et c’est tout à l’honneur de Dmytryk de s’être attaqué à un contenu si dense. Surtout, les personnages ont une importance considérable et c’est pour cette raison qu’il convient de s’attarder sur ce point précis.

Clay Blaisdell, l’homme aux colts d’or, a le visage et la démarche d’un Henry Fonda magistral qui rend à merveille toute l’ambivalence du personnage. Accueilli comme le messie, on s’aperçoit bien vite qu’il n’a rien du sauveur habituel. D’ailleurs, il prévient dès le jour de son arrivée les citoyens de Warlock : « D’abord vous êtes contents parce qu’il n’y a plus de bagarres. Et ensuite une chose étrange se produit : vous commencez à me trouver trop puissant et à me craindre. Pas moi, mais ce que je représente. Quand cela arrivera, cela voudra dire que nous aurons trouvé satisfaction mutuelle et il sera alors temps pour moi de partir. » Habillé de noir quand s’annoncent des duels sanglants - cela a une lourde signification quand on se souvient de l’homme tout de blanc vêtu que Fonda incarnait dans 12 hommes en colère -, Blaisdell est le tueur à gages froid et déterminé qui n’obéit qu’à ses propres règles de conduite et pas à la loi. Il apparaît souvent près de ses intérêts et ne rechigne pas à vivre dans le luxe que lui permet sa rémunération de Marshall. Tout ceci pourra conduire la ville à ne pas se reconnaître en lui. Il a pourtant de (très) bons côtés : il arrête un lynchage. Il est capable d’attachements profonds, notamment pour la blonde Jessie Marlowe qui tombe amoureuse de lui après s’être pourtant opposée à sa venue. Enfin, il contribue au rétablissement de l’ordre. Et les scènes finales montreront une sensibilité extrême que l’on n’avait pas soupçonnée chez lui...

Blaisdell amène avec lui son plus proche compagnon : Tom Morgan. Ce dernier est incarné par un Anthony Quinn éblouissant. De La Strada (1953) de Federico Fellini à L’Héritage (1976) de Mauro Bolognini en passant par Barabbas (1961) de Richard Fleischer, les meilleurs rôles de cet acteur ont obéi au schéma suivant : un homme peu attachant qui peu à peu va se révéler plus émouvant que l’image qu’il donne initialement. Jusqu’à connaître un destin tragique... Quinn donne une composition - sa prestation est secondaire, certes, mais ce fut le cas de nombreuses performances au cours de sa carrière - éblouissante, drôle (grâce à quelques-uns des meilleurs dialogues du film) et courageuse. Morgan est un riche propriétaire de saloon qui éprouve des sentiments plus qu’ambigus pour Clay. Les deux hommes liés par un pacte "faustien", à la vie à la mort, semblent pourtant extrêmement différents l’un de l’autre. D’un côté l’homme beau et noble, et de l’autre l’estropié cynique qui tue sans remords. Mais ce qui les rapproche est plus fort que tout le reste : la même élégance vestimentaire, le même goût pour le jeu et l’art de la gâchette. Et surtout le même rejet d’une civilisation moderne qui commence à s’enraciner.

Et l’on en vient à ce qui fait en grande partie la réputation de L’Homme aux colts d’or : la relation homosexuelle supposée entre Morgan et Blaisdell. A certains égards, on peut se contenter de voir cette relation comme une amitié virile exacerbée, souvent vue dans le genre western. Toutefois, difficile de ne pas voir une homosexualité latente, si ce n’est exacerbée, entre Blaisdell et Morgan. Morgan prend bien soin d’écarter toutes les menaces contre Clay : les tueurs et surtout... les femmes ! Lorsque Blaisdell montre son amour pour Jessie Malowe, la caméra s’attarde sur la jalousie, voire la souffrance de Morgan. Morgan arrange tout pour que Clay apparaisse comme une légende vivante. Lorsque le "couple" s’installe dans la chambre qui lui est réservée, Morgan choisit les rideaux ou la décoration de la pièce comme le ferait... une jeune épouse ! SPOILER : Morgan ira jusqu’au crime passionnel pendant que Blaisdell partira de Warlock en veuf inconsolable, sans un regard pour sa douce Jessie. FIN DU SPOILER

Cette liaison est si passionnante qu’elle nous ferait oublier le beau traitement des autres personnages : Lily (Dorothy Malone), ex-fille de saloon, arrive à Warlock mais... pour tuer Blaisdell, coupable d’avoir tué son fiancé, Ben Nicholson. Visiblement elle eut une liaison avec Morgan, qui a un portrait d’elle accroché au-dessus de sa couche. Mais l’amour supposé s’est changé en haine vengeresse, un sentiment qui culmine lorsqu’elle lui lance un terrible « Comment pourrais-je t’aimer, pauvre infirme ? » Mais ce personnage lui aussi gagnera en nuances, en sensibilité et en intensité. Comprenant que la violence doit s’arrêter, elle renonce à sa vengeance et demande grâce à Blaisdell pour l’homme qu’elle aime : Johnny Gannon. Nota bene : visiblement ce personnage était beaucoup plus étoffé dans le script initial, et des scènes où figure Lily/Dorothy Malone ont vraisemblablement subi des coupes. La bande-annonce américaine présente sur le DVD zone 1 en témoigne : on y voit Lily sangloter, ce qui la situe dans un registre différent de toutes les scènes du montage connu. Cela apportait sans doute au film et à la profondeur de ce protagoniste, dommage ! Cette image est reproduite page 294 dans le livre Le Western (Patrick Brion, La Martinère, 1992).

Johnny Gannon, ancien membre du gang McQuown mais distant d’eux dès les dernières images du générique, devient le shérif du hameau pour tempérer la toute-puissance dangereuse de Blaisdell. Mais Richard Widmark a fait de Gannon un personnage à la fragilité extrême, beaucoup plus encore que James Stewart chez Anthony Mann. Il porte constamment la culpabilité de ses années de truand, d’autant que son frère est resté un hors-la-loi. Payé trois fois rien, il n’est pas sûr qu’il soit beaucoup plus compétent que ses très malheureux prédécesseurs, mais il compense par un courage presque suicidaire. Il met un point d’honneur à respecter la loi. Ses relations avec Blaisdell sont très ambiguës, mélange d’admiration, de sympathie et de méfiance avérée. Par conséquent, si l’on peut penser que le choix du quatuor Widmark / Fonda / Quinn / Malone fut choisi pour attirer le spectateur et faire monter les recettes, force est de constater que les comédiens servent des personnages à la fois mystérieux et précisément dessinés grâce à une excellente - voire inattendue-- direction d'acteurs et à une profondeur inouïe dans l’écriture de chaque rôle. Mais même les rôles beaucoup plus secondaires sont inattendus : le petit juge qui a toujours raison mais se montre très antipathique, le chef des méchants que l’on voit à peine, etc..

Un film qui peut se lire sur de multiples niveaux

Le script riche en rebondissements de L’Homme aux colts d’or retourne tous les clichés du western. Il ne met jamais en avant les mythes habituels de l’Ouest (pas d’Indiens ici) et l'on pourrait aisément voir l’action transposée dans un autre cadre. Le principal archétype mis à mal ici, c’est celui du héros de western. Il n’y a pas de véritable héros dans le film ; du fait aussi que les personnages vont à l’inverse de ce que l’on attend d’eux. On croit voir LE héros en Blaisdell mais ce dernier révèle des aspects plus troubles que prévus. On croit ensuite tenir en Gannon le héros, mais cet homme naïf et idéaliste se montre relativement peu attachant. Cette évolution confirme, s’il en était nécessaire, que L’Homme aux colts d’or n’a rien de l’étude de caractères figée. La grande modernité du film opère à un autre niveau en posant une question brûlante d’actualité : faut-il utiliser les même méthodes que les tueurs pour faire régner l’ordre et la justice ? Le cliché n°1 qui vise le genre western est renversé : Warlock n’oppose pas le bon au méchant. Il oppose le pouvoir charismatique de Blaisdell, remède expéditif qui se révèle peut-être pire que le mal, au pouvoir légal de Gannon, qui s’en tient à respecter la loi écrite. A ce niveau, le film fait penser au futur chef-d’œuvre de John Ford : L’Homme qui tua Liberty Valance (1962).

Enfin, L’Homme aux colts d’or dispense une étonnante réflexion sur la peur. Si aucun vrai héros ne se révèle dans le film, c’est que chaque individu est tenaillé par la peur. C’est la peur des habitants de Warlock face aux hommes de McQuown, peur régulée par l’arrivée de Blaisdell. C’est la peur de Gannon et donc de Lily avant les duels mortels. C’est la peur de Morgan quand un événement menace Clay, etc. Connaissant le passé de Dmytryk, on est tenté de vouloir donner une interprétation politique du film, mais le scénario de L’Homme aux colts d’or ne se laisse pas réduire aux interprétations toutes faites. On peut le lire comme une catharsis : à l’image de Dmytryk, Gannon a rejoint le "bon" camp mais il reste marqué par la culpabilité. A cet égard, on pourrait croire que Dmytryk se justifie ici de son passé, et les critiques communistes ne manquèrent pas d’y voir un hymne au mouchardage et à la trahison. Or, nous venons de le voir, Gannon / Dmytryk n’a rien d’un vainqueur. On ne peut pas vraiment dire que la lâcheté ou la trahison soient montrées sous un jour très favorable. L’atmosphère du film ressemble beaucoup à celle du western anti-maccarthyste par excellence : Le Train sifflera trois fois (1952). Et si la ville consent finalement ici à aider le shérif, elle n’est pas franchement valorisée, bien au contraire... En somme, si Dmytryk, auteur tourmenté de cette œuvre très sombre, a puisé dans sa peu reluisante expérience, c’est pour se livrer à une sorte de psychanalyse, qui porte le western vers des sommets de profondeur et d’ambition.

Une mise en scène qui aboutit à la tragédie

On a reproché tout et son contraire à la mise en scène du film. Christian Viviani pouvait ainsi se plaindre : "Il est triste de voir comment dans Warlock, sa mise en scène pataude sabotait un scénario d’une incroyable richesse et comment Dmytryk se révélait incapable d’équilibrer les personnages très ambigus de R.Widmark, A.Quinn et H.Fonda." (Le Western, Christian Viviani, éditions Henri Veyrier, 1982). Pourtant, le moins qu’on puisse dire, c’est que la richesse du scénario transparaît à l’écran et que les trois personnages ont droit à un traitement équilibré comme rarement ! A l’inverse, Alain Carbonnier pouvait écrire : "Parfois ça travelingue et ça contreplonge un peu partout et pas toujours avec bonheur." (Cinéma 82, n°288, p.95). Il faudrait peut-être finir par se mettre d’accord. Surtout que si la mise en scène du film a un grand mérite, c’est une retenue et un réalisme appréciables qui contrastent avec un scénario complexe et parfois excentrique. Certes, Dmytryk n’était pas un dieu de la caméra tel un Raoul Walsh ou un Anthony Mann, mais on peut constater que ses collaborateurs et lui ont fait un travail brillant.

Aussi psychologique soit-il, le film est mené sans temps mort, et certaines scènes qui semblent conventionnelles (le dîner entre Gannon et Lily) vont s’avérer passionnantes. Le Cinémascope est utilisé avec bonheur. Cela est évident lors des scènes de duel qui sont toutes extrêmement brillantes. La chorégraphie est extrêmement travaillée et méticuleuse. Dmytryk immortalise une manière alors nouvelle de filmer les duels dont les origines remontent au Vera Cruz (1954) de Robert Aldrich. Fini, les duels rapides où les assaillants ne prennent même pas le temps de se faire face, désormais les cinéastes vont insister sur l’angoisse pesante qui précède le coup de feu fatal, ces moments où tout peut basculer. A cet égard, la scène finale est exemplaire dans le choix des plans, la montée de la tension... et l’unique gro plans sur les colts à crosse d’or du Marshall. Voilà un paradoxe notable : Warlock est réputé pour sa densité psychologique, pourtant les scènes d’action sont inoubliables. La photo de Joseph MacDonald fait des miracles : aussi bien dans les scènes de jour, qui montrent cette ville ensoleillée envahie par la poussière, que lors des scènes de nuit qui montrent la capacité du réalisateur à instaurer un climat pesant. On touche presque au fantastique gothique, et est-ce d’ailleurs un hasard si Warlock veut dire en anglais "sorcier" ? L’incendie final, le déchaînement des éléments comme la poussière ou la pluie, le côté parfois énigmatique des personnages renforcent cette impression. Enfin, l’unité de temps, l’unité de lieu, le climat sombre, la nette prédominance des intérieurs, l’intensité dramatique qui ne cesse de s’accroître apparentent Warlock à la tragédie. Cette expression peut sembler galvaudée, mais pas tant que cela si l'on tient compte des paroles que Morgan murmure, ivre sous le tableau de Lily, juste avant de vouloir s’en prendre à Gannon :

« Tomorrow, and tomorrow, and tomorrow,
Creeps in this pretty pace from day to day.
»

Hélas, ces paroles ne sont pas traduites dans la VF ni dans les VOSTF du film, ce qui est bien dommage car il s’agit de vers extraits de... Macbeth de Shakespeare (Acte V, scène 5, vers 18-19). A certains égards, Warlock est un aboutissement de la fusion entre univers tragique et western, fusion réussie entre autres par John Sturges (Le Dernier train de Gun Hill) et Arthur Penn dans Le Gaucher.

A la croisée des chemins

Mais L’Homme aux colts d’or, s’il constitue une tragédie, un essai politique, un récit psychanalytique, un mélodrame, et plus si affinités, est aussi un film qui sait vivre avec son temps. Voici une sorte de florilège du western des années 1950. Le tueur accueilli comme le messie fait référence à L’Homme des vallées perdues (Shane, 1953) de George Stevens. La ville périodiquement déserte marquée par la lâcheté ainsi que le geste final de Blaisdell font penser au Train sifflera trois fois (High Noon, 1952), de Fred Zinnemann. L’inadaptation de Blaisdell à la vie moderne évoque celle d'Ethan Edwards / John Wayne dans La Prisonnière du désert de John Ford. Le climat névrotique, la violence parfois sèche, la culpabilité et l’obsession pour un passé trouble renvoient, eux, à l’univers d’Anthony Mann. Mais à l’inverse, Warlock se pose en précurseur en annonçant le futur - italien - du western.

Dans le livre très récent de Christopher Frayling, Il était une fois en Italie (la Martinière, 2005), le scénariste attitré de Sergio Leone, Luciano Vincenzoni, avoue à propos des influences du cinéaste d'Il était une fois en Amérique : "Outre les classiques de John Ford, notamment La Chevauchée fantastique et La Prisonnière du désert, il y avait L’Homme aux colts d’or avec Henry Fonda, Widmark et Anthony Quinn. Celui-là était son film préféré. Il le connaissait par cœur." Cette confession, donnée également par Leone lui-même dans d’autres interviews, est pourtant peu exploitée par les exégètes léoniens, qui citent rarement Warlock pour expliquer les sources du western spaghetti ! En revoyant Warlock, on peut percevoir tout ce qui a pu impressionner Leone : la violence inhabituelle pour l’époque, la vision noire de l’humanité, le caractère énigmatique des individus, la manière de filmer des duels, parfois tronqués, le mélange entre détails baroques et détails réalistes, telle la poussière (rouge) qui recouvre tous les personnages, etc. Surtout, Henry Fonda, idole de Sergio Leone, annonçait nettement chez Dmytryk ses prestations italiennes, éloignées de l’emploi de défenseur absolu du Bien. Christian Viviani a défini cette capacité du grand acteur à se remettre en question : "Ce mercenaire mélancolique, c’est aussi le rôle qu’il jouait dans Warlock, l’homme aux colts d’or qui louait ses services aux villes en détresse et qui était le point focal d’un réseau de haines et de jalousies (...) Ce désenchantement est le trait personnel que Henry Fonda, un acteur avant toute chose, et non un mythe à la John Wayne, n’a jamais manqué de conférer à ses créations. C’est la première grande star masculine à s’être moquée de préserver son image."

Leone retiendra cet enseignement quand il emploiera Fonda. Il donnera le côté sombre de Blaisdell à l’épouvantable Frank d'Il était une fois dans l’Ouest : une tenue sombre, une paire de colts en or et l’envie de faire chuter cruellement un infirme. Le Jack Beauregard de Mon Nom est Personne aura, lui, droit au côté noble de Blaisdell : un pistolero vieillissant, anachronique même, qui doit s’adapter à un monde nouveau. Mais son fan n°1 ne s’appellera plus alors Morgan mais... Personne. Par voie de conséquence, on retrouvera le parfum de Warlock dans l’œuvre du fils spirituel de Leone, Clint Eastwood, et surtout dans le film testament de ce dernier : Impitoyable (1992), le plus crépusculaire des westerns crépusculaires.

En somme, L’Homme aux colts d’or est un peu par son intensité dramatique, la richesse de son scénario, sa capacité à mettre en scène tous les clichés imaginables pour tous les retourner ou les transcender, l’équivalent de ce que Comme un torrent de Vincente Minnelli fut au mélodrame, avec un Anthony Quinn au destin "shirleymaclainien". J’espère avoir su profiter de l’occasion qui m’était donnée de mettre un coup de projecteur sur ce film à la fois culte et/car méconnu, et j’espère avoir donné au plus grand nombre l’envie de (re)voir ce film fétiche, en souhaitant qu’il ait droit à d’autres analyses et d’autres dithyrambes.

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La fiche IMDb du film

Par Blaisdell - le 4 novembre 2005