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Critique de film
Le film
Affiche du film

Los Olvidados

L'histoire

Dans les rues de Mexico, Jaibo, jeune voyou échappé de prison, retrouve sa bande. Jaibo soupçonnant Julian, un de ses compagnons, de l’avoir dénoncé veut se venger de lui. Il part régler ses comptes accompagné de Pedro mais la bagarre tourne mal et Jaibo tue Julian. Pedro et Jaibo sont à partir de cet instant unis dans leur misère par un bien lourd secret…

Analyse et critique

Après le succès commercial remporté par Le Grand noceur, Oscar Dancigers propose à Luis Bunuel de traiter le problème des enfants pauvres de Mexico. Pendant près de 6 mois Bunuel arpente les quartiers défavorisés seul ou accompagné de son scénariste ou du directeur artistique lié au projet. Il visite les lieux, rencontre et se lie d’amitié avec les gens et emmagasine un abondant matériau qui lui servira à l’écriture du film. Cette réalité documentaire lui posera pourtant de nombreux problèmes : sur le tournage l’équipe ne cesse de manifester son mécontentement reprochant à Bunuel de ne filmer que les aspects négatifs de Mexico et la coiffeuse démissionne même en disant qu’aucune mère mexicaine ne traiterait son enfant comme le fait celle de Pedro dans le film.


A sa sortie le film fait scandale et ne reste que 3 jours à l’affiche avant d’être retiré des écrans malgré le soutien de nombreux intellectuels mexicains. Venu à Paris pour présenter son film en projections privées, Bunuel rencontre à l’hiver 1950 Octavio Paz, poète et secrétaire de l’ambassadeur du Mexique à Paris (lui-même farouchement hostile au film) qui décide de défendre le film.
Octavio Paz écrit un texte de présentation et le film est sélectionné au festival de Cannes en mai 1951. Il y obtient le prix de la mise en scène et le succès critique du film marque le retour en grâce de Luis Bunuel et le début (à cinquante ans) de sa véritable carrière de metteur en scène. Le film ressort en salle et reste notamment à l’affiche 6 semaines dans le plus grand cinéma de Mexico. Luis Bunuel tournera encore 16 films au Mexique avant de retrouver l’Espagne en 1961 pour y tourner Viridiana.


Tableau sans concession d’une réalité sociale très dure, le film garde aujourd’hui toute sa force. Bunuel y brosse le portrait d’une partie abandonnée de la population mexicaine, l’envers d’une société par ailleurs prospère qu’on aperçoit que furtivement, comme séparée par une frontière imaginaire qui en fait un monde totalement étranger à celui des protagonistes du film. Bunuel s’intéresse plus particulièrement au sort de ces enfants livrés à eux même prisonniers d’un système qui les enferme et les condamne. Mais au delà de ce coté documentaire sociologique Bunuel nous raconte avant tout l’histoire d’individus et refuse, comme à son habitude, tout systématisme. Le sujet du film n’est pas "la misère à Mexico" mais avant tout l’impossible conciliation entre la nature fondamentalement bonne et aimante des enfants et la violence du monde dans lequel ils vivent.
Jaibo et Pedro ont ceci en commun de n’avoir pas eu l’amour de leur mère et si la thèse du film peut paraître simpliste elle n’en demeure pas moins valable et fort bien illustrée. L’aveugle, évoquant fortement celui de Lazarillo de Tornes (célèbre roman picaresque espagnol), représentant la société répressive traditionnelle, souhaiterai « qu’on tue ces enfants dans le ventre de leur mère » alors que le progressiste directeur de la ferme école préférerait qu’à la place d’enfermer les enfants on puisse « enfermer la misère ». Néanmoins tous les deux conviennent de l’incapacité de la société à résoudre ce problème et reconnaissent par ailleurs la haute responsabilité d’une éducation défaillante.


Loin d’appliquer à son sujet le traitement strictement réaliste que son approche documentaire semble impliquer, Bunuel utilise également pour appuyer son propos des images poétiques et symboliques fortes, mélange de mysticisme chrétien et d’éléments psychanalytique. L’amour maternel, l’idée de culpabilité et de faute y sont très présentes et Bunuel trouve ici le parfait équilibre entre réalisme social et inspiration poétique.

Si le destin des protagonistes est terriblement tragique jamais le film ne sombre pourtant dans aucune forme de misérabilisme. Le film est parsemé de formidables moments de poésie et Bunuel porte avant tout un regard tendre sur ces enfants et cet univers populaire. El Jaibo lui-même est habité par une incroyable grâce animale (l’acteur qui tenait le rôle était par ailleurs danseur de ballet). Cette absence de manichéisme valut d’ailleurs à Bunuel des réprimandes de la part de ses amis surréalistes qui lui reprochèrent de donner un rôle positif à un policier et à un directeur de prison.

Bunuel dans le livre d’entretiens Il est dangereux de se pencher au-dedans dit du sous-titre français du film :
"En France on lui a donné un titre épouvantable, quelque chose du genre : Mon Dieu pardonnez-leur ! Imaginez que vous lisiez dans les livres : « Bunuel, auteur de Pitié pour eux… ». Quelle honte !"

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Gonord - le 13 novembre 2002