Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

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Amis depuis la plus tendre enfance, Vincent, François, Paul et Armand, tous la cinquantaine, se retrouvent chaque dimanche à la campagne. Au quotidien, chacun connaît quelques déboires sentimentaux. Mais lorsque Vincent est victime d'une crise cardiaque, ses amis prennent conscience de l'importance de leurs problèmes.


La chronique du site par Philippe Blaine.

Johnny Doe a écrit : 28 juil. 04, 23:14Une fois encore j'admire cette élégance et cette rigueur dans la réalisation. Le casting fabuleux sert à merveille cette tranche de vie entre nostalgie, durs moments et gloires éphémères. C'est toujours aussi finemment écrit et dialoguer (particulièrement les disputes implicants Reggiani et Piccoli qui m'ont marqués par leu piquant). Tout fonctionne à merveille et, une fois encore, respire une véritable sincerité. Une bande de copain qui se remet en question, ils mûrissent, voient les choses autrements, sont bousculés dans leur monotonie. Le point d'orgue du film qui m'a véritablement impressionné est le combat de boxe. J'en ai vu de la boxe dans les films, je suis un fan absolu de Raging Bull et bien je dois vous dire que j'ai rarement ressentit une telle intensité dans la violence brute de ce sport. Depardieu est grandiose et le travail posé de Sautet, cette mise en scène cru se livrant aux acteurs prend aux tripes, si bien qu'on frémis, rigole, s'effondre au fil des coups. Encore une fois, un merveilleux moments.
Guybrush Threepwood a écrit : 25 oct. 04, 17:47Un film qui m'a beaucoup touché, les acteurs jouent à merveille et je me suis vite senti proche de cette galerie de personnages.
Je retiens particulièrement la très belle voix off lors d'un passage du film. Sautet a l'air de particulièrement bien utilisé ce procédé (je n'ai vu que César et Rosalie de lui sinon)
Alligator a écrit :Les femmes sont au spectacle, aiment les hommes tels qu'il sont, du moins certaines essayent-elles. D'autres s'en lassent, avec tristesse, d'autres encore ne comprennent toujours pas. Peu agissent. Aucune ne parvient à briller autant que ces astres mâles, alors elles fuient.

Gérard Depardieu est un Jean plus effacé que ses compères, plus jeune il est vrai. Comme pour les femmes, son caractère a du mal à s'imposer, à s'extérioriser.

Les femmes parlons-en, elles sont plus spectatrices. Se faisant, difficile d'en détacher une plus qu'une autre. Stéphane Audran, toujours aussi belle et énigmatique est une femme statue qui regarde avec affection, tristesse et lassitude le canard de plus en plus boiteux Montand. Elle allie mystère et désolation dans son regard.

Antonella Lualdi est une actrice que je ne connais pas du tout. Ici elle est amoureuse de son Paul (Reggiani) et l'entoure d'une affection très maternelle, pas étonnant, elle est italienne!

Et puis bien sûr, Marie Dubois dans un rôle loin d'être évident, très dur, refroidi par la violence de François (Piccoli) racorni et qui ne s'illumine qu'avec difficulté.
Profondo Rosso a écrit : 22 juin 11, 04:28Sixième film de Claude Sautet, Vincent, François, Paul... et les autres est un de ses grands succès commerciaux et s'inclut dans cette période de créativité intense qui le voit enchaîner dans la foulée Les Choses de la Vie (LE film où il se réinvente), Max et les Ferrailleurs et Mado.

Vincent, François, Paul... et les autres est un film placé sous le signe du déclin, et plus précisément du déclin masculin. Déclin moral, physique, intellectuel ou professionnel à travers les différents personnages principaux, déclin que l'on vit douloureusement ou déclin qu'on appréhende avec Jean (Gérard Depardieu) figure plus juvénile que les cinquantenaires usés qu'il côtoie et également à la croisée des chemins de son existence avec sa petite amie enceinte et sa carrière de boxeur stagnant.

Sans réelle intrigue directrice, le film (adapté d'un roman de Claude Neron qui collabore au scénario) nous promène sur quelques semaines dans différentes tranches de vie de cette bande de copain, les différentes crises qu'ils traversent se dessinant en filigrane. Le drame se noue dans leur incapacité à y répondre pour différente raison et se fait le portrait de la faillite d'une certaine manière d'être masculine typique de l'époque. Vincent (Yves Montand) s'avère ainsi incapable d'expliquer ses difficultés financière à sa petite amie lors d'un violent échange qui scelle leur rupture puisque sa fierté l'empêche de la rattraper quand il en a encore l'occasion. La seule a qui il peut s'ouvrir, maladroitement certes (superbe dialogue emprunté de Montand lors des retrouvailles avec Stephane Audran) c'est son ex femme qui le connaissant décèle le malaise sous les airs bravaches. Vincent vit dans le souvenir de l'erreur qu'il commis en la laissant partir (poignant et furtifs flashback amenés tout en finesse par Sautet) et se ravisera bien trop tard. François (Michel Piccoli) est lui un être dont toute la chaleur s'est éteinte dans le renoncement à ses idéaux et le confort bourgeois, traversant son existence en fantôme et incapable de réagir (si ce n'est par la violence ultime aveux de dépit et d'impuissance) aux infidélités de sa femme délaissée. L'écrivain raté incarné par Serge Reggiani est moins développé dans ses errements créatifs mais l'acteur lui confère une telle humanité et une forme de détresse contenue qu'il n'y guère besoin de reproduire artificiellement le schéma narratif de ses partenaires.

Sautet surprend dans le dernier tiers en rompant la linéarité de son récit par l'intrusion d'une voix off omnisciente nous expliquant les sentiments de ses héros. La forme littéraire reprend momentanément ses droits comme pour appuyer tel une chape de plomb l'enfermement existentiel des personnages, bien plus fort par ce procédé prenant un recul résigné sur les évènements. Un superbe film choral magnifiquement interprété par un casting à l'alchimie palpable dont l'aspect daté offre au contraire une belle patine nostalgique. Malgré les épreuves traversées, les sacrifices et les abandons concédés, c'est bien l'image de ses copains soudés, complices et heureux d'être ensemble qui s'imprègnent en nous quand arrive le générique de fin. 5/6
Eusebio Cafarelli a écrit : 24 avr. 14, 10:40 Revu hier soir Vincent, François, Paul et les autres (1974)

C'est étonnant de constater qu'une partie du cinéma français actuel, que je n'aime pas, semble la postérité de cet excellent film. Je pense par exemple aux réalisations du duo Jaoui-Bacri, et plus globalement à ces histoires de couples classes moyennes, filmées à table ou dans des cuisines de grandes maisons ou d'appartements (je caricature), mais sans l'arrière-plan social dans lequel se situait Sautet. Ici c'est la crise des hommes quinquas (avec des femmes qui semblent plus effacées mais ce sont elles qui quittent, ce qui me parait assez moderne pour l'époque), mais aussi des classes moyennes (petit patron, médecin, écrivain) dans une sorte d'anticipation de la crise économique, et aussi dans une sorte d'effacement des rapports de classe (Montand-Depardieu, le patron et l'ouvrier) ou plutôt de dépalcement de ces rapports (abandon des idéaux sociaux pour Piccoli, conflit entre les petits patrons issus du monde ouvrier et le racheteur d'entreprises en Rolls).
Sautet reste quand même, à mon avis, le cinéaste passionnant des classes moyennes en plein essor à l'époque, tout comme Chabrol fut celui de la bourgeoisie.
Le film, à la mise en scène très pudique mais sans complaisance pour les personnages principaux formidablement interprétés (les petits rôles aussi d'ailleurs) nous parle encore sur de nombreux points (la thématique des difficultés des PME par exemple, l'émancipation féminine...), est daté sur d'autres (qu'est-ce qu'on fumait à l'époque ! :lol: ). Et bien sûr, toujours la patte Sautet : pluie, vitres, bouffes, bistrots...
Demi-Lune a écrit : 24 avr. 14, 10:45 Voilà donc comme je disais dans le topic à côté : c'est vraiment la quintessence du Sautet des 70's, chaleureux, pudique et sensible, sans un mot de trop.
J'ai beau connaître maintenant sa petite musique, l'authenticité de ses portraits n'en finit pas de m'émouvoir. Je ne sais pas comment il fait. On n'a pas l'impression de voir un truc "facile", qui tire la manche, même lorsque les drames frappent les personnages. En lisant le bouquin Sautet par Sautet, on réalise toute la primeur qu'il donnait à l'épaisseur du personnage, la définition de son background, de ses habitudes, de ses signes distinctifs, jusqu'aux regards et intonations qu'il demandait à ses scénaristes d'écrire en parallèle des dialogues. Je crois que c'est cette humanité qui affleure en permanence qui fait toute la force de ses films. Définir un regard, un geste, comme exprimant tout. Et ça, c'est juste bouleversant dans Vincent, François, Paul et les autres. Prenez la scène du petit matin où la femme de Reggiani le retrouve assoupi sur sa machine à écrire, leur complicité qui passe naturellement, ou la scène du bistrot où Montand se prend une déconvenue avec Stéphane Audran, les émotions qu'il retient violemment sur son visage... Si le casting est à l'unisson, Montand m'a particulièrement impressionné. Donner le change aux autres alors que tout l'accable. "Et si Catherine revenait..."
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Thaddeus
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

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L'humain qui réchauffe


Tension-détente, puis rebond ; euphorie-mélancolie, confiance-panique ; banlieue-ville, faubourg ; stabilité toujours compromise, instabilité sans cesse rééquilibrée ; décharge-recharge sans fin, en mineur, en majeur ; et surtout la modulation permanente d’un émoi, le passage incessant d’un registre à l’autre, forcenés, contrariés, comme le flux têtu des humeurs. En un mot : le cinéma de Claude Sautet. Vincent, François, Paul… et les Autres est à l’écoute des comportements humains et de ses fluctuations. Une écoute pleine de chair, de nerfs et de sang. On peut trouver bien des manières d’en faire l’éloge. En étudier par exemple le subtil contrepoint thématique. À quel degré l’usure de l’existence érode-t-elle l’amitié ? L’ascension sociale au sein de la classe moyenne, disons de gauche, est-elle compatible avec le bonheur ? Celui-ci constitue-il une réponse satisfaisante à des interrogations qui remontent à la jeunesse, à un bal où l’on dansait tous proches les uns des autres ? On peut aussi y relever la présence d’un environnement scrupuleusement observé, judicieusement réparti, impliqué dans des conflits qui dès lors sont situés hic et nunc. Milieu qui n’en déborde pas moins les conventions admises et achève de placer le cinéaste à part dans la tradition romanesque française. Un feu de bois, une partie de foot, l’inauguration d’une boîte de nuit, un repas fin où se raconte en quelques phrases toute une vie, un compartiment de train où l’on ne s’entend pas, ont autant d’importance que les scènes directement révélatrices des passions : égoïsme, frustration, colère, espérance. Ainsi l’orage qui éclate sur l’atelier de Vincent n’a aucune valeur symbolique sur la discussion qui s’y déroule (la demande de lettres pour le divorce), laquelle tourne à la comédie. Ainsi le match de boxe devient d’autant plus captivant que, quelle qu’en soit l’issue, on sait déjà qu’il n’influera pas sur l’essentiel du film. L’absence d’intrigue dramaturgiquement ficelée accentue cette linéarité plurielle, tout comme la fluidité du travail de Sautet est retenue de se dissoudre par le rôle pivotal de chacun des personnages principaux.


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Les trois protagonistes ont en commun d’être saisis dans un état de crise, aboutissement d’une évolution interne que sanctionne un rapport problématique avec l’univers ambiant. Si ladite crise peut être pathétique, elle ne prend jamais les atours de la tragédie car elle ne connaît pas de point final, seulement des résolutions fallacieuses et provisoires. Pour ces mousquetaires du copinage, l’amitié est un sentiment confortable, un alibi qui leur permet de prolonger l’enthousiasme et la sincérité de leur adolescence. Une manière d’effacer, le temps d’une bourrade ou d’une plaisanterie, les rides de l’âme qui accompagnent celles du visage. Le rituel de leurs retrouvailles, chaque week-end à la maison de campagne, est une parenthèse sacrée, un moment de complicité qui entretient soigneusement la rassurante image de leur fidélité et de leur solidarité. Et s’il se ternit ou se craquelle parfois, ce lien solide entre tous résiste finalement aux tempêtes et aux naufrages. Toutefois le vrai sujet du film est davantage celui de l’érosion des êtres et de leur échec. Échec pour Paul, qui nourrissait une vocation d’écrivain et travaille paresseusement à un roman qu’il ne parvient pas à achever. Échec pour François, ophtalmologue mondain du quartier de l’Étoile, jugé, méprisé, trompé par sa femme, et que ses contradictions ont rendu injuste, acrimonieux, presque salaud. Échec enfin pour Vincent, patron d’une petite entreprise, brave type, bon vivant, frileusement blotti entre le parapluie de la sagesse et le compte-gouttes de la solitude, toujours entre deux coups de cœur, deux coups de gueule, deux traites : le plus gravement atteint en définitive parce que pour lui tout (métier, amour, santé) s’écroule à la fois. La cinquantaine, c’est la solidité des apparences, sociales notamment, mais c’est aussi, souterrainement, la fêlure et le doute qui guettent, l’âge des mutations morales et biologiques, des bifurcations, de la fin d’un équilibre illusoire entre les périodes de prospérité et celles du déclin, de la remise en question, trompeur comme la sérénité de l’été ou la fixité de l’hiver coincées entre les saisons intermédiaires.

Chorale mais nullement unanimiste, la chronique est scandée par trois "cortèges" amorcés de droite à gauche, c’est-à-dire de l’avenir vers le passé. Le premier est vu dans une vitre, quand Vincent est appelé au téléphone par Paul. Le second, long, heureux, où l’on se retourne et où l’on se rattrape d’un groupe à l’autre, est un moment de grâce enchanté sur une prairie gelée, qui s’achève par l’épisode allègre et burlesque du saut sur le vieux pont et de la chute dans l’étang. Le troisième, fin de repas qui annonce l’éloignement temporaire de Jean et souligne la réconciliation de François et Paul, marque aussi la conclusion du film. En dehors de ces moments, les personnages sont pris, selon le vieux conseil d’Aristote, "au milieu des choses", et mènent chacun leur action pour soi. La simplicité du dialogue, d’où tout mot d’auteur est évacué, précise les nuances sans les souligner, fait appel à des incidents ou à des silhouettes qu’on ne connaîtra jamais. Aussi l’intérêt se distribue-t-il avec souplesse à travers tout un réseau égalitaire. À l’arrière-plan, les femmes (Sautet ne cache pas qu’il s’agit ici d’un choix d’ordre artistique). Un peu plus en lumière, Jean (le plus jeune) et Paul (virtuellement l’aîné). En avant, Vincent et François, tous deux rongés par un tourment sentimental. Mais ce qui apparaît ainsi sèchement schématisé ne se laisse percevoir à l’écran que dans le déroulement des évènements et le jeu admirable des interprètes. La direction d’acteurs de Sautet n’est pas pour rien l’une des plus sûres et éblouissantes de tout le cinéma français. Faconde et détresse d’Yves Montand, persiflage et rancœur de Michel Piccoli, gentillesse et renoncement de Serge Reggiani, gaieté et courage de Gérard Depardieu : chacun dans son registre, les quatre comédiens ajoutent à leur talent un don de sympathie qui communique au récit une rare chaleur humaine. De Marie Dubois, durcie, intransigeante, perdue, à Stéphane Audran, douce et compréhensive, leurs partenaires féminines ne sont pas en reste. Avec une telle troupe, le hiatus qui subsiste d’ordinaire entre l’être et la recréation, si mince soit-il, est définitivement aboli.


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Le gommage du scénario donne à l’œuvre toutes les chances du naturel dans la mise en scène. Sautet sait ainsi faire alterner avec élégance l’emploi d’un espace allégorique (la reconstruction de la cabane, où Paul, filmé un peu en contre-bas, est agressé par François derrière lui) et celui d’un décor conventionnel (la fameuse scène du gigot) propice aux champs-contrechamps, d’autant plus éloquents qu’ils sont muets (l’échange de regards entre Lucie et Julia). La finesse de l’ajustage et la précision du rythme font de ces gestes captés à vif les matériaux d’une composition très élaborée. Le cinéaste travaille, comme la machine-outil de Vincent, au dixième de millimètre. S’il est un héritage auquel il se rattache, c’est celui de Jacques Becker, dont il rejoint le style alerte, limpide, peu soucieux de coquetterie mais rigoureux et nécessaire comme la partition d’un concerto. Parce qu’elle joue constamment sur la distance qui sépare la description des situations du lyrisme impénitent, la forme transcende l’opposition entre profondeur psychologique et réalisme behavioriste. Elle répond à la notion de pulsion plus qu’à celle, trop vague, de mouvement : pulsion à l’intérieur du plan ou de la scène pour saisir justement un mouvement invisible, les intermittences du cœur et de l’âme comme autant d’embardées. La bougeotte des personnages est la manifestation palpable de ce choix, de cette alternance des réflexes de diastole et de systole, que traduit une esthétique fondée d’une part sur le couple déplacement/repliement, avec ses avatars variés, d’autre part sur un langage de nature musicale. Sautet plaque au passage les accords du souvenir, alterne avec un sens exact du tempo la turbulence, l’apaisement, l’insouciance, les échanges taquins, les brusques éruptions, dispose en décrochement, à la manière de la fugue, les diverses figures de l’angoisse et du malaise. Il traite de ces "petits riens" dont il est le délicat sismographe, avec une espèce de pureté mozartienne. Allegro ma non troppo.

Si Vincent, François, Paul… et les Autres est peut-être le document le plus juste, sans thèse ni prêche, sur la France pompido-giscardienne et industrielle des années 70, sur la valse-hésitation que danse une génération avec son époque, c’est parce qu’on y sent à la fois le triomphe des conforts acquis et l’amertume des ambitions abandonnées, la jouissance des nouvelles libertés et leur poids de contrainte, parce que s’y analyse avec une remarquable acuité les premiers remous de la crise économique, morale et affective. Sautet n’est pas l’homme de la poudre aux yeux ou des expériences aléatoires. Il sait que la camaraderie est parfois décevante, qu’il n’est pas chose aisée de rester en accord avec soi-même, que la société est féroce et que ses mécanismes broient impitoyablement les faibles, les imprudents, les solitaires. Ici tout le monde n’a pas ses raisons, ce qui serait un genre de sacrifice à la prétendue objectivité, mais, à l’exception de l’ignoble Bécaru, homme d’affaires sans entrailles, tout le monde est attachant. Parfois faibles, voire mesquins, restés quelque peu "puérils" (comment disent ceux qui tiennent à vieillir) et surtout empêtrés dans des réseaux de difficultés dont le contrôle leur échappe, les personnages n’en sont pas moins lucides et généreux. Tous tiennent à leur amitié et, vaille que vaille, la réparent quand s’y crée un accroc. La mort, dont il est parfois question mais qui reste toujours hors champ, ne se manifeste que travestie dans l’ombre du temps et à seule fin de rendre à l’apparente banalité factuelle des jours son juste poids comparatif. Or cette destruction, affrontée de face lors de l’infarctus de Vincent, est niée par la structure savante de l’œuvre elle-même. Les inserts sur le passé n’ont rien d’arbitraire ni d’onirique : ils recolorent le présent ou sont décolorés comme la photographie qui leur donne un instant prétexte. Au dernier plan, un bras de femme anonyme s’agite dans le même sens où vont les regards des héros. Façon d’entériner discrètement l’optimisme d’un film dont la vitalité, la pudeur et la tendresse concourent à la cristallisation d’un rare sentiment de vérité.


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Alexandre Angel
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Thaddeus,
Je vais imprimer tes textes et les transmettre à un ami fan de Claude Sautet (plus que je ne le suis même si rien n'est perdu :mrgreen: ) et qui s'était précipité sur le tout premier coffret dvd à être paru, en 2002.
Il m'avait alors, au restaurant je me rappelle, tenu un discours super achalandé sur l'univers du réalisateur qui m'avait extirpé des préjugés que je nourrissais encore à son endroit.
Le second "mentor" fut, des années après, Bertrand Tavernier dans son Voyage à travers le cinéma français.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Alexandre Angel
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Allez flol : plus qu'un! :mrgreen:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par murphy »

Alexandre Angel a écrit : 12 avr. 24, 08:10Il m'avait alors, au restaurant je me rappelle, tenu un discours super achalandé sur l'univers du réalisateur qui m'avait extirpé des préjugés que je nourrissais encore à son endroit.
On dirait un film de Woody Allen.
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Alexandre Angel
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Alexandre Angel »

A ceci près que je vois pas Woody Allen manger une fondue bourguignonne. encore que maintenant
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Watkinssien »

Pas grand chose à rajouter sur les beaux avis précédents.

Vincent, François, Paul et les Autres fait partie des œuvres majeures de Claude Sautet, admirables galeries de portraits parfaitement croqués, savamment orchestrés, brillamment interprétés.

Un bijou!
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Flol »

Et featuring certainement le plus beau coup de gueule de l'histoire du cinéma.
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Jeremy Fox »

Flol a écrit : 12 avr. 24, 15:01 Et featuring certainement le plus beau coup de gueule de l'histoire du cinéma.
Le même pour moi ; celui de Piccoli bien sûr ! Et mon Sautet préféré avec Un Mauvais fils.
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Flol »

Celui-là même. En coupant un gigot, en sus ! :o
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Watkinssien »

Flol a écrit : 12 avr. 24, 15:01 Et featuring certainement le plus beau coup de gueule de l'histoire du cinéma.
Et Piccoli a basé son jeu sur les coups de gueule de Claude Sautet.
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par murphy »

Alexandre Angel a écrit : 12 avr. 24, 13:19 A ceci près que je vois pas Woody Allen manger une fondue bourguignonne. encore que maintenant
Il m'avait alors, au restaurant je me rappelle, tenu un discours super achalandé sur l'univers du réalisateur qui m'avait extirpé des préjugés que je nourrissais encore à son endroit. A un point tel que j'en venais à douter de la publication prochaine de la biographie de Raoul Walsh sur laquelle je travaillais obsessionnellement depuis mon inscription au Ciné-Club. La fondue bourguignonne m'alourdissait et le Pinot Noir m'étourdissait. J'abandonnai mon ami lui promettant de lui faxer des articles de recherche sur Claude Sautet supervisés par Taddheus mon confrère de la faculté et je sortais du restaurant désabusé et angoissé. J'avais rendez-vous chez mon éditrice, mais aussi la femme de mon psychanalyste, avec qui j'entretenais une relation extra-conjugale depuis qu'elle avait assisté à ma Master Class sur Martin Scorsese au Palais des Congrés.
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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Alexandre Angel »

Mais tu rigoles mais dit comme ça, ça fait pas Woody Allen, ça fait Robert Bresson :o (à part "super")
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Vincent, François, Paul et les Autres (Claude Sautet - 1974)

Message par Thaddeus »

Alexandre Angel a écrit : 12 avr. 24, 08:10Je vais imprimer tes textes et les transmettre à un ami fan de Claude Sautet
A ta guise mais, si je peux permettre, autant lui envoyer plus simplement quelques liens car :
- ça te fera des économies d'encre et de papier
- ce sera meilleur pour la planète
- ça lui fera peut-être découvrir cet incomparable espace d'échanges, de découvertes et de convivialité qu'est le forum DvdClassik
Flol a écrit : 12 avr. 24, 12:08
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Merci Mister Flol. Mon préféré. J'adore Burt et Kirk, j'ai de la sympathie pour Joe, mais à tout prendre je choisis ces demoiselles.
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