Cololi a écrit : c'est sûr que ce n'est pas Leone sur le plan de l'image ... et c'est dommage.
Justement, oui. Je suis entièrement d'accord. Formellement, les deux diffèrent de façon gigantesque. Corbucci n'est pas Leone, et heureusement d'ailleurs ! Leone avait le soin du cadre, utilisait des focales très longues ou très courtes, travaillait chaque plan comme le morceau d'une superbe mosaïque au bout du compte très belle. Corbucci possède en vérité une esthétique très marquée, il prend grand soin de l'image, mais d'une façon radicalement opposée.
Ces plans voyant Kinski déambuler sur une montagne enneigée (au cadre tremblant et oppressant, comme tétanisé par le froid et la morbidité de cet univers) sont recherchés comme tel. Il filme à l'instinct, de façon très sensorielle. Leone est beaucoup plus technique. Et encore, je ne puis être entièrement certain de ce que j'avance.
Le générique d'ouverture de
Django est une longue suite de plans formidablement composés et qui génèrent beaucoup de sens. La scène de bagarre dans le saloon, avec les mexicains qui entourent les deux hommes, répond à l'urgence et à la violence d'une situation. De même que les scènes de boue, d'attaques (chaotiques), d'échanges de coups de feux... Corbucci a un œil extrêmement aiguisé. Que son esthétique soit plus sordide et plus boueuse (plus instinctive) que celle bien plus préparée d'un Leone, n'en fait pas pour autant une mise en scène moins bonne. Au contraire, je trouve les deux univers passionnants. Mais de toute façon, il me semble que le problème se situe aussi ailleurs. Dès que l'on parle de western italien, on revient à tout comparer à Leone. Un peu comme si l'on comparait tout le neo polar italien à la seule figure incarnée par Fernando Di Leo. Or, si je devais composer un top 10 de mes westerns transalpins préférés, il n'y aurait sans doute qu'un seul de ses films. Tout cela pour dire que lorsque je regarde un film de Corbucci, je ne pense jamais au travail de Leone en comparaison. Les histoires diffèrent, les univers aussi, le point de vue sur le monde est très différent là encore... Je trouve heureux que leurs styles soient à ce point dissociables. Il est dommage de réduire Corbucci, Sollima, Damiani ou autres à la seule évidence d'un Sergio Leone. Il a lancé un élan, créé un espace différent, mais en se servant du classicisme américain. Leone le disait lui-même, c'est un continuateur de Ford. Tant sur le point fondamental que plastique (même si ce second élément est beaucoup plus discutable). Corbucci est en rupture totale avec ce classicisme. C'est un cinéma qui ne ressemble en rien à Ford ou au western américain classique. Il se veut même son contrepoint. Le début de
Django est un choc énorme de ce point de vue-là aussi : le générique ne fait que renverser totalement les valeurs esthétiques du début d'un western américain. Il est plus proche d'un Peckinpah, qui d'ailleurs se réclame aussi de Corbucci. C'est d'ailleurs visible lorsque l'on regarde
Le grand silence. Peckinpah et Corbucci ont des approches assez similaires, même si elles demeurent très éloignées sur bien des points. Mais il s'agit dans le fond d'un cinéma très misanthrope (avantage Corbucci sur cet argument), très brumeux, très cruel.
Corbucci est un fabuleux compositeur d'images. Ce n'est pas parce qu'elles sont plus rapides, sordides, frénétiques, qu'elles sont moins belles. Ces jugements esthétiques sont discutables, oui, mais à mon avis trop difficiles et en fin de compte peu intéressants à trancher. Dit-on que les westerns d'anthony Mann sont moins beaux que ceux de Ford ? On n'y pense jamais à dire vrai. Les deux cinéastes avaient une vision très personnelle de l'ouest. Ce serait valable pour un Walsh comparé à un Hawks. Cela n'a, je pense, pas vraiment de sens.
Corbucci est un cinéaste explorateur à sa façon. Et de Leone, il ne prend qu'un point linéaire (un anti-héros inconnu et insaisissable confronté à des guerres sans fin), pour le dépasser, le détruire, et le relancer à sa façon. Au bout du compte, son Django "personnage" n'a plus rien à voir avec l'homme sans nom de Leone. Pour ma part, si l'on va par là, je prends plus de plaisir avec Corbucci. Parce que l'expérience de cinéma qu'il m'offre est très anticonformiste, encore à l'heure actuelle. Peut-être a-t-on trop vu/étudié les Leone ? Je n'en sais rien. Mais là où le cinéma de ce dernier m’apparaît riche et limpide, celui de l'autre m’apparaît rugueux et presque fantastique. Il n'y a qu'à voir leurs westerns de révolution.
Il était une fois la révolution est une fresque magnifique (peut-être son meilleur film, qui sait...). Mais à côté, qu'est-ce que j'aime le foisonnement perpétuel, la grande bringue dévastée et totalement effrénée de
El mercenario. En 1H45 de temps, il faut voir avec quelle énergie et quelle audace visuelle Corbucci révèle ses personnages, les défait et les reforme autour de projets totalement irréconciliables. Là aussi, la fin est belle.
En bref, je trouve les films de Corbucci très beaux, mais à leur manière. Et je pense qu'ils sont assez bien composés tout de même... Il suffit de jeter un œil à ces captures.
http://www.dvdclassik.com/critique/le-g ... e-corbucci
Il faut regarder le plan final de
Django : une série de croix de cimetière entrelacées, desquelles se dresse la silhouette d'un Django affaibli mais triomphant. Au premier plan, son revolver posé à jamais sur une croix, la crosse laissant le sang couler. A l’arrière plan, un homme qui s'éloigne, qui s'efface progressivement du désastre. C'est tout de même magique.