Take me to Town- 1953
Réalisateur : Douglas Sirk / Producteurs : Ross Hunter et Leonard Goldstein pour Universal / Scénariste : Richard Morris d'après le récit "Flame of Timberline" / Dialoguiste : Jack Daniels / Directeur de la photographie : Russell Metty / Compositeur de la musique originale : Joseph Gershenson
avec Ann Sheridan (Vermilion O'Toole), Sterling Hayden (Will Hall), Philip Reed (Newt), Phyllis Stanley (Mme Stoffer), Larry Gates (Ed Daggett), Lee Patrick (Rose), Forrest Lewis (Ed Higgins), Lee Aaker (Corney Hall), Ann Tyrrell (Louise Pickett), Dorothy Neumann (Dorothy Pickett), Robert Anderson (Chuck), Frank Sully (Sammy), Harvey Grant (Petey Hall), Dusty Henley (Buckett Hall)
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Alors qu'ils voyagent à bord d'un train qui doit les mener en prison, Vermilion O'Toole, une entraîneuse de saloon, danseuse et chanteuse, échappe à la surveillance du Marshall Ed Daggett en sautant par une fenêtre du train, bientôt suivie par son ancien compagnon, Newt Cole, un escroc par la faute duquel Vermillion avait été injustement condamnée. Voulant échapper autant à Newt qu'au Marshall lancé à sa poursuite, Vermilion s'installe à Timberville, une petite ville forestière où elle reprend son ancien métier dans le saloon de Rose. C'est là qu'elle est remarquée par les 3 jeunes fils de Will Hall, un jeune veuf, bucheron dans un village de montagne, qui étaient partis en quête d'une nouvelle femme pour leur père. Pour échappe à Newt puis au Marshall qui ont retrouvé sa trace, Vermillion accepte la proposition des enfants et s'installe dans la maison familiale en l'absence de Will …
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Ce film marquait la rencontre cinématographique entre Douglas Sirk et deux de ses plus fidèles collaborateurs : le producteur Ross Hunter (qui produisit ensuite nombre de ses films dont les chefs d'oeuvre du mélo) et le directeur de la photographie Russell Metty (qui a photographié presque tous ses films par la suite). Malgré le milieu et l'époque, on ne peut pas vraiment considérer que c'est un western et pas plus une comédie musicale (genre dans lequel il est parfois classé sous prétexte que la musique y occupe une certaine place). C'est un très bon Americana que Douglas Sirk considérait comme un des trois films constituant sa "trilogie of little American Stories" (
Sirk on Sirk).
Take me to Town traitait des thèmes qui intéresseront aussi le metteur en scène dans ses drames mais de manière plus superficielle puisque le regard critique sur un certain conformisme américain prenait la forme d'une comédie inoffensive mais extrêmement plaisante. Ici, une petite communauté étroite d'esprit et très conservatrice, hypocrite et intolérante rejetait par avance l'union d'un homme et d'une femme venant de mondes très différents (situation que l'on retrouve notamment dans
Tout ce que le ciel permet - 1955). On découvre en effet très vite - le premier dimanche - que le jeune bucheron est aussi le pasteur de sa communauté, laquelle n'accepte pas qu'il héberge sous son toit une femme au passé douteux et portant des tenues plus voyantes les unes que les autres. Le pasteur et la fille de petite vertu parviendront-il à faire accepter leur amour ?
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Le 1er accroc à la bien-pensance vient des enfants puisque si le pasteur semble prêt à épouser de préférence une femme respectable, en l'occurrence la sévère Mme Stoffer dont les enfants ne veulent pas pour mère (le plus petit hurle :
I Hate Her ! ), ses 3 jeunes fils la préféreraient avant tout belle et sexy ! Et c'est pourquoi ils se rendent seuls en ville pour trouver une femme plus aimante, plus libérale et surtout plus belle que celle qu'ils redoutent de se coltiner comme future belle-mère. Et c'est en voyant danser et chanter Vermillion sur scène depuis les coulisses du cabaret que les enfants décrètent que c'est une telle femme qu'il faut à leur père … Mais si les petits plébiscitent la fille à la jambe légère, leur père l'accueille froidement et il va d'abord porter sur elle un jugement assez sévère où pointe les préjugés. Ce n'est rien à coté de l'accueil de la petite communauté forestière constituée par ces femmes de bucherons guindées et les collègues de Will, leurs maris (une bagarre éclate avec le plus bavard des contestataires juste avant un office). Une chance d'intégration se présente toutefois pour Vermillion quand elle découvre que la petite communauté rêve de construire une église. Lorsqu'elle assiste à l'assemblée des femmes qui annoncent quelques modestes initiatives devant conduire à réunir une partie des fonds nécessaires et qu'elle propose de monter un spectacle, elle entraine les réprobations de la plus bigote mais cela soulève l'enthousiasme de la plupart des habitants dont les vocations artistiques cachées resurgissent soudain.
Le grand spectacle annoncé se prépare donc sous la supervision de Vermilion (les répétitions fournissent la matière de quelques scènes amusantes) mais il est difficile de changer de vie quand le passé peut vous rattraper à tous moments. L'ancien employeur et compagnon de longue date n'est jamais très loin ; tout comme le Marshall qui convoyait Vermillion et Newt puisqu'il vit dans la ville voisine depuis qu'il est tombé amoureux de Rose, la patronne du saloon qui employait Vermilion. S'il en vient à laisser tomber l'insigne, il n'a toutefois pas abandonné tout à fait ses vieilles rancoeurs contre deux fugitifs qu'il met dans le même sac (après tout, au moment de l'évasion, il avait été jeté violemment hors du train en marche). On revoit donc ces personnages dans un final un peu spectaculaire et surprenant dans un tel contexte (qui rappelle Anthony Mann).
- Pour finir.
Les moins : les quelques numéros musicaux du début ne font pas d'étincelles et quand Vermillion remonte ensuite sur une scène c'est simplement pour donner un peu d'entrain aux amateurs qu'elle a convaincu de monter sur les planches. D'ailleurs tous les comédiens ou les danseuses et chanteuses d'occasion prêtent tous à sourire, mais c'était volontaire. Vu d'aujourd'hui on pourra aussi s'étonner de voir du conformisme dans la "démonstration" d'anticonformisme … à moins que ça ne soit aussi de l'ironie. Car alors que Will veut d'abord mettre à la porte Vermilion, c'est lorsqu'elle s'avère excellente cuisinière puis bonne chasseuse (mais c'est en réalité un tir chanceux qui lui permet de sauver les enfants) qu'elle est admise à rester à la maison. Ensuite, si elle accepte de relever à nouveau la jambe, c'est pour construire l'église de la communauté et enfin, dans le final, il s'en passe de belles
(Elle finit par faire le cathé aux gosses de la communauté )
- Les plus : tous le reste .. y compris ce qui pourra peut-être en irriter certains, c'est à dire le jeu des 3 enfants qui sont assez omniprésents (et qui ont un gimmick comique qui m'a bien amusé). Ensuite, le jeu de certains acteurs secondaires est assez voyant et leurs personnages sont stéréotypés (c'est bien une comédie …) : Lee Patrick (Rose) est formidable en tenancière de cabaret elle même musicienne. Tandis que Phyllis Stanley (Mme Stoffer) en fait aussi pas mal dans son numéro de vieille fille coincée. Belle alchimie entre Ann Sheridan et Sterling Hayden. Même si ce dernier n'est pas toujours très à l'aise dans la comédie, ici il donne l'impression de s'être bien amusé. Au moins une bonne chanson : la chanson titre. La chaleur d'un Technicolor du à Russell Metty qui tranche un peu avec l'esthétique un peu glacée (mais superbe) des mélos à venir. A noter l'apparition de Guy Williams (qui a quelques lignes de texte en tant que comédien amateur sollicité pour le spectacle). Une belle découverte que j'ai même préféré à un autre Americana tourné par Ann Sheridan à cette époque là, le bon :
Come Next Spring de R.G. Springsteen. DVD gravé (vost). Pas au niveau de ses mélos mais un très bon film. 7/10