Qu'est-ce que l'esthétique classique au cinéma?

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

William Munny a écrit :Ben,justement, les films d'Eastwood, je ne trouve pas du tout qu'ils s'inscrivent dans une certaine forme de Classicisme (y a qu'a prendre JOSEY WALES par exemple).
Quand même ! Les grands films de Clint Eastwood représentent la survivance du classicisme hollywoodien porté à son sommet. Mais cela n'empêche pas l'influence passagère de ses deux modèles, Leone (qui n'a rien d'un classique) et Siegel (lui oui).
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Tom Peeping
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Message par Tom Peeping »

En Histoire de l'Art, il y a 4 styles qu'on peut distinguer plus ou moins rapidement dans leur rapport entre Fond et Forme. En les adaptant au Cinéma, on peut retrouver ces 4 classifications :

- Style Archaïque (ou Primitif) : le Fond l'emporte sur la Forme
- Style Classique : le Fond et la Forme sont équilibrés
- Style Baroque (ou Maniériste) : la Forme l'emporte sur le Fond
- Style Expérimental : hors-catégorie

Evidemment, ces 4 classifications sont perméables et grouillent de contre-exemples. Pas facile, donc d'apporter une réponse définitive.
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

Pour continuer sur le cinéma de genre, visitez mon blog : http://sniffandpuff.blogspot.com/
O'Malley
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Message par O'Malley »

Roy Neary a écrit :
William Munny a écrit :Ben,justement, les films d'Eastwood, je ne trouve pas du tout qu'ils s'inscrivent dans une certaine forme de Classicisme (y a qu'a prendre JOSEY WALES par exemple).
Quand même ! Les grands films de Clint Eastwood représentent la survivance du classicisme hollywoodien porté à son sommet. Mais cela n'empêche pas l'influence passagère de ses deux modèles, Leone (qui n'a rien d'un classique) et Siegel (lui oui).
en effet, la mise en scène d'Eatwood est "transparente", dans le sens où elle reste collé au plus près de son sujet (sans pour autant s'effacer), ne cherche pas à exister en dehors de l'histoire qu'elle est censé mettre en image... ce qui ne l'empeche pas d'être inventive...
par contre, Siegel a été classique jusqu'à la fin des années 60 il me semble s'être approché ensuite de l'exercice de style, d'une mise en scène plus manièriste au regard des Proies et surtout L'inspecteur Harry qui a réinventé l'art de réaliser un polar...
francis moury
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Message par francis moury »

Solaris a écrit :[Fallait-il continuer à faire du cinéma commercial où l'idée de réalisme était inexistante (les films de studio, les westerns, les peplums)?
Bizarre votre idée qu'il y aurait contradiction entre cinéma du réel et cinéma commercial...

MARX DIXON DETECTIVE, pour citer un exemple d'une reprise récente, est un film de studio aux contraintes évidentes du point de vue de la direction de la photographie qui est aussi bien un documentaire policier réaliste.

Les westerns et les peplums ont engendré des films parfois très réalistes ayant une base historique ou archéologique (y compris mythologique dans le cas du peplum, ce qui renvoie à la mentalité et à la sociologie primitives pré-helléniques) revendiquées, pafois non.

Il y a des peplums (américains, italiens ou franco-italiens) des westerns (américains ou européens) des policiers (américains, français, italiens, japonais, etc.) à l'esthétique classique, d'autres traversés d'éclairs baroques ou surréalistes ou expérimentaux : à l'intérieur de tels genres pré-définis, il y a des catégories diverses au sein desquelles on trouve une variété sidérante. Au sein d'une même filmographie, au sein d'un même film parfois, l'esthétique classique peut co-exister avec des esthétiques non-classiques : le cas s'est déjà vu...
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Sibyl Vain
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Message par Sibyl Vain »

Tom Peeping a écrit :En Histoire de l'Art, il y a 4 styles qu'on peut distinguer plus ou moins rapidement dans leur rapport entre Fond et Forme. En les adaptant au Cinéma, on peut retrouver ces 4 classifications :

- Style Archaïque (ou Primitif) : le Fond l'emporte sur la Forme
- Style Classique : le Fond et la Forme sont équilibrés
- Style Baroque (ou Maniériste) : la Forme l'emporte sur le Fond
- Style Expérimental : hors-catégorie

Evidemment, ces 4 classifications sont perméables et grouillent de contre-exemples. Pas facile, donc d'apporter une réponse définitive.
Effectivement, le rapport fond-forme peut être une piste intéressante pour tenter de cerner cette notion. Mais peut-être peut-on également définir le langage cinématographique "classique" au travers du rapport qu'il entretient avec d'autres modes d'expression.

Puisque la plupart des techniques de communication nouvelles se développent en imitant, dans un premier temps (période "archaïque" ou "primitive"), le langage et la "syntaxe" d'autres médias préexistants (par exemple la radio qui fut dans un premier temps de la "presse lue" ; la télévision qui fut longtemps de la radio filmée ; internet et les médias "interactifs" qui ne sont encore souvent des livres-journaux proposant des liens hypertexte ; et la peinture qui fut pendant des milliers d'années réduite à l'imitation du visible), on peut considérer que les films et les cinéastes dits "classiques" sont ceux qui ont participé à la création d'un langage visuel et narratif propre au cinéma (dans les techniques utilisées ou la manière de les mettre en oeuvre), le démarquant ainsi du "théâtre filmé" des origines (voire de la peinture mouvante, dans le cas de l'Expressionnisme et du Cabinet du Dr Caligari). Par exemple : montage parallèle, flash-back (& forward), travelling, ellipse, etc.

De ce point de vue, le cinéma moderne (de même que l'art moderne) peut être envisagé comme l'intrusion dans le langage cinématographique "classique" d'un vocabulaire ou d'une syntaxe empruntés à (ou influencés par) d'autres moyens d'expression nouveaux, ce processus s'accompagnant souvent d'un total désintérêt pour les conventions narratives. L'"hybridation des genres" participe aussi de ce processus de "modernisation", aussi bien en peinture qu'au cinéma.

Ainsi la sculpture et l'architecture modernes ont été fortement influencées par l'esthétique (et les techniques) machiniste, la peinture moderne s'est développée en réaction à l'invention de la photographie, du cinéma, de la presse illustrée, aux recherches sur la décomposition de la lumière, etc., et le cinéma moderne "réagit" aux images (peut-être encore plus qu'aux évènements) de la seconde guerre mondiale, au déveleppement de la publicité et de la télévision, de la vidéo, des "clips" et dernièrement d'internet (un exemple relativement insignifiant dans Starship Troopers).

L'idée defendue par Jean-Baptiste Thoret qui veut que le "film amateur" de l'assassinat de JFK ait influencé un grand nombre de cinéastes dans leur manière de concevoir le récit cinématographique de même que la construction / composition du plan me paraît plutôt séduisante (absence de contre-champs rendant la réalité incompréhensible car partiellement invisible, et l'événement inssaisissable). Peut-être cet événement étranger à la production cinématographique "classique" a-t'il largement influencé le thriller-polar "modernes" (De Palma, etc.)... Je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de me plonger sérieusement dans les travaux de Thoret. Quelqu'un en sait-il davantage à ce sujet ?

A noter que l'on retrouve la même problématique dans les premiers gialli (La fille qui en savait trop, L'oiseau au plumage de cristal...) où la scène de meurtre, matrice du récit, est en quelque sorte une énigme visuelle que le héros doit résoudre par une exploration... disons "visuelle et symbolique" et non plus par une enquête policière et pragmatique comme dans les polars "classiques". De fait, le reproche adressé à Argento concernant le caractère gratuit, injustifié et incompréhensible de certaines scènes, faisant de ses films des "délires visuels", témoigne d'un malentendu ou d'une différence de conception du langage cinématographique (outre le fait que certains de ses films soient tout simplement ratés...).

Cette digression pompeuse et confuse m'a mené bien loin de la définition de "l'esthétique classique". Mais s'interroger sur la notion de modernité est peut-être également un moyen (détourné, soit) de tenter de définir "l'esthétique classique", non ? :?
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Très intéressante contribution de Sibyl Vain.

Une chose cependant :
Sibyl Vain a écrit :le démarquant ainsi du "théâtre filmé" des origines (voire de la peinture mouvante, dans le cas de l'Expressionnisme et du Cabinet du Dr Caligari). Par exemple : montage parallèle, flash-back (& forward), travelling, ellipse, etc.
Le cabinet du Dr Caligari n'est pas du simple théâtre filmé et encore moins le dernier rejeton d'une époque primitive, mais au contraire l'un des fers de lance d'une époque nouvelle. Et puisque tu en parles, le film contient justement... un flashback, un montage parallèle et des ellipses. :lol:

Sinon :
Sibyl Vain a écrit :Je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de me plonger sérieusement dans les travaux de Thoret. Quelqu'un en sait-il davantage à ce sujet ?
Le livre de Thoret Chroniqué :wink:
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Requiem
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Message par Requiem »

Sibyl Vain a écrit :De fait, le reproche adressé à Argento concernant le caractère gratuit, injustifié et incompréhensible de certaines scènes, faisant de ses films des "délires visuels", témoigne d'un malentendu ou d'une différence de conception du langage cinématographique (outre le fait que certains de ses films soient tout simplement ratés...).
:lol: :lol: :lol:
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Sibyl Vain
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Message par Sibyl Vain »

Roy Neary a écrit :Le cabinet du Dr Caligari n'est pas du simple théâtre filmé et encore moins le dernier rejeton d'une époque primitive, mais au contraire l'un des fers de lance d'une époque nouvelle. Et puisque tu en parles, le film contient justement... un flashback, un montage parallèle et des ellipses. :lol:
Ouais, mais nan. Là c'était surtout pour me la jouer genre "attention, y'a des liens entre la peinture expressionniste et le cinéma expressionniste", tu vois ? :roll:

Concernant le terme "primitif", je ne faisais que reprendre les catégories proposées plus haut par Tom. Loin de moi l'idée de considérer ce film dont je n'ai pas vu la fin comme une "oeuvre primitive", bien au contraire puisqu'elle associe des emprunts au théâtre (maquillage, costumes, "jeu des acteurs", décors...) et à la peinture (décors aux perspectives "paradoxales") avec une narration proprement cinématographique (exemples mentionnés par Roy), témoignant ainsi de la "maturation" du langage cinématographique. ça va, j'ai bon là, j'ai sauvé ma face ? :oops:
Roy Neary a écrit :Sinon :
Sibyl Vain a écrit :Je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de me plonger sérieusement dans les travaux de Thoret. Quelqu'un en sait-il davantage à ce sujet ?
Le livre de Thoret Chroniqué :wink:
:shock: C'est bien simple, ce site troue le cul.

Et le bouquin de Thoret sur Carpenter, y'a aussi une chronique ?
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Solal
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Message par Solal »

Roy Neary a écrit :
Sibyl Vain a écrit :le démarquant ainsi du "théâtre filmé" des origines (voire de la peinture mouvante, dans le cas de l'Expressionnisme et du Cabinet du Dr Caligari). Par exemple : montage parallèle, flash-back (& forward), travelling, ellipse, etc.
Le cabinet du Dr Caligari n'est pas du simple théâtre filmé et encore moins le dernier rejeton d'une époque primitive, mais au contraire l'un des fers de lance d'une époque nouvelle. Et puisque tu en parles, le film contient justement... un flashback, un montage parallèle et des ellipses. :lol:
C'est exact et cela tient précisément à son inspiration expressionniste. Mais cela n'invalide pas pour autant les propositions de Sybil Vain, qui demandent juste à être précisées. Si les premiers temps du cinéma sont effectivement marqués par un très fort modernisme, tendus vers cette "spécificité cinématographique" que l'on entrevoit dans le montage, cela ne s'est fait qu'au regard d'autres expressions artistiques : on y trouve aussi bien l'influence de l'expressionnisme que du futurisme (pictural et littéraire). Cette recherche avant-gardiste d'un langage proprement cinématographique, déjà très formaliste, n'était donc qu'un nouvel avatar de conceptions issues d'autres univers artistiques, attachés à des techniques d'expressions déjà consacrées. Cette modernité-là (valorisation du mouvement, tension vers l'avenir, etc.) n'est d'ailleurs pas propre à l'art et reflète les idéologies de l'époque. L'autonomie ne sera gagnée que beaucoup plus tardivement, et non plus forcément dans la recherche éperdue d'un langage spécifique. Le parcours d'un Oliveira est particulièrement significatif à ce titre, parti d'une conception radicale de l'autonomie du cinéma, farouchement attachée au muet et consacrant le montage comme valeur exclusive, pour en arriver à des films absolument statiques et totalement subordonnés au texte littéraire, mais travaillés par des problématiques purement cinématographiques (l'intervention du spectateur, l'écoulement du temps, l'enregistrement du réel, la nature du visible).

Le classicisme que définissait Roy au début du topic partage avec ce premier modernisme une croyance dans le progrès. Mais il correspond à d'autres formes idéologiques, à d'autres valeurs qu'il traduit formellement, témoignant d'une perception stable du réel et d'un registre moral strictement établi. Configuration qui sera à son tour remise en cause par ce que l'on qualifie de modernité cinématographique (et qui correspond à la post-modernité). Et l'on retrouve ici ce qui s'était dit, il y a peu, à propos du "sur-western". On le voit politiquement dans le cinéma américain avec l'affirmation (très grossièrement) d'une croyance inébranlable dans l'american way of life au sein du classicisme, qui finira par laisser la place à l'ère du soupçon et de la désillusion. Bref, les mutations technologiques accompagnent les évolutions idéologiques : le film amateur de l'assassinat de JFK n'aurait pas eu cet impact s'il n'avait concordé avec la fin du rêve américain et l'affirmation d'une nouvelle génération qui ne croit plus dans les grands mythes de la nation. La distinction entre classicisme et modernité renverrait alors davantage au rapport à la croyance et aux grands récits fondateurs. L'image manquante des films de de Palma ou le démontage du processus d'identification chez Godard, sont les signes d'un même effritement, d'une opacité et d'un doute qui gagneraient progressivement les fondements sociaux premiers. Le balancier ne cessera alors d'osciller entre classicisme et modernité, entre croyance et doute - deux pôles finalement indissociables et participant d'un même mouvement.
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Ce qui est bien avec Solal, c'est qu'on a beau passer de longs quarts d'heure à réfléchir sur la manière de formuler une ou deux idées d'une manière concise et éclairante, le voilà qui arrive avec un excellent texte qui vient rendre compte de l'inutilité de nos efforts. :lol:
Encore une excellente contribution au débat donc.
Solal a écrit :Le balancier ne cessera alors d'osciller entre classicisme et modernité, entre croyance et doute - deux pôles finalement indissociables et participant d'un même mouvement.
Tout à fait d'accord et je pense que c'est le propre en particulier des nouveaux réalisateurs américains des années 70, qui, après assimilation des enseignements de leurs prédécesseurs, définissent leur cinéma entre croyance dans le cinéma et son pouvoir émotionnel d'un côté, et scepticisme devant la réalité (et sa manière de la retranscrire donc) de l'autre.
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Sibyl Vain
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Message par Sibyl Vain »

Solal a écrit :Le classicisme que définissait Roy au début du topic partage avec ce premier modernisme une croyance dans le progrès.
Je pense que la notion d'ordre est également essentielle au principe classique de narration.

En effet, alors que le récit classique démontre le caractère immuable et légitime de la situation initiale puisque, malgré la perturbation de cette situation (phénomène qui vient déclencher "l'action" et le récit), "les choses finissent toujours par rentrer dans l'ordre", la narration "moderne" laisse généralement le récit en suspens et suscite la reflexion critique et / ou l'inqiétude.

Ce basculement est particulièrement manifeste dans le cinéma d'épouvante-sci fi puisqu'à partir de la fin des années 60 (Night of the living dead est sans doute l'oeuvre charnière, à bien des égards), la "victoire du mal" (ou son retour probable) devient quasiment la règle (cf. Carpenter).
La comparaison des "classiques" du genre datant des années 50 avec leur remake de la fin des 70's-début 80's souligne ce fait de manière flagrante : comparez les différentes versions de Invasion of the body snatchers, de The thing ou encore They live de Carpenter (qui n'est pas un remake à proprement parler, mais qui récupère et détourne quasiment toutes les règles du genre) : les remakes sont débarassés du côté "propagande anti-rouges" (que certains attribuent aux films originaux) et mettent en scène la disclocation de la communauté WASP américaine avec une radicalité quasi nihiliste.
Solal a écrit :le film amateur de l'assassinat de JFK n'aurait pas eu cet impact s'il n'avait concordé avec la fin du rêve américain et l'affirmation d'une nouvelle génération qui ne croit plus dans les grands mythes de la nation. La distinction entre classicisme et modernité renverrait alors davantage au rapport à la croyance et aux grands récits fondateurs.
+1

Mort de Marilyn (62), "I had a dream" de M.L.King (63) et affirmation des mouvements contestataires (noirs, femmes, homosexuels, hippies, etc.), assassinat de JFK (63), guerre du Vietnam... l'âge d'or de l'american way of life WASP est clairement en train de s'achever.
Cette époque ne coïnciderait-elle pas avec l'amorce du déclin du western ?
Solal a écrit :L'image manquante des films de de Palma ou le démontage du processus d'identification chez Godard, sont les signes d'un même effritement, d'une opacité et d'un doute qui gagneraient progressivement les fondements sociaux premiers. Le balancier ne cessera alors d'osciller entre classicisme et modernité, entre croyance et doute - deux pôles finalement indissociables et participant d'un même mouvement.
+1
Roy Neary a écrit :Tout à fait d'accord et je pense que c'est le propre en particulier des nouveaux réalisateurs américains des années 70, qui, après assimilation des enseignements de leurs prédécesseurs, définissent leur cinéma entre croyance dans le cinéma et son pouvoir émotionnel d'un côté, et scepticisme devant la réalité (et sa manière de la retranscrire donc) de l'autre.
+1 (j'adore mettre "+1" : ça donne l'impression de jouer à la maîtresse. "Jouer à la maîtresse"... hhmm... :oops: intéressant ça...)

L'exemple de Carpenter me semble illustrer de manière plutôt opportune vos propos : son admiration pour Hawks, la récurrence de la dimension référentielle de son travail au travers de ses remakes et du recyclage subversif des "genres" (Rio Bravo/Assault on precinct 13, The thing, They live, Village of the damned)
et son inlassable travail de sape des fondements de la communauté WASP : omniprésence et importance (voire prédominance) des personnages féminins, noirs et asiatiques ; détournement de trois "lieux communs" de l'american way of life (la "belle américaine" des années 50 dans Christine, le pavillon de banlieue dans Halloween et Village of the damned et l'église dans Prince of darkness transformés en lieu de terreur... intrusion de la menace, de l'angoisse, mais également du doute et de la culpabilité dans l'imaginaire américain...

J'avoue ne plus vraiment voir de lien entre "l'esthétique classique" au cinéma et Carpenter en particulier, mais ça m'a fait plaisir de griffonner quelques banalités sur cette bonne vieille ganache de Big John, ne m'en voulez pas... :roll:
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

Sibyl Vain a écrit :J'avoue ne plus vraiment voir de lien entre "l'esthétique classique" au cinéma et Carpenter en particulier, mais ça m'a fait plaisir de griffonner quelques banalités sur cette bonne vieille ganache de Big John, ne m'en voulez pas... :roll:
Non pas du tout, c'est très intéressant. :wink:
Mais il semble que tes argument, dans la suite de ceux de Solal, s'attachent plus à relever les évolutions thématiques des films, voire politiques, et non pas l'esthétique. A ce titre, Carpenter est pour moi un cinéaste d'essence classique, au niveau de l'écriture comme de la mise en scène (avec des variantes bien sûr). Alors que Romero s'éloigne de cette esthétique, déjà avec La nuit des morts vivants.
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Jordan White
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Message par Jordan White »

Pour l'esthétique, je vais juste faire quelques rapprochements assez succints entre deux films qui posent les bases d'un genre dont ils vont marqué de façon originale le renouvellement: The Texas Chainsaw Massacre et La Nuit des morts-vivants. Ce sont des pistes, d'aucune manière une façon d'affirmer que l'esthétique c'est cela et rien d'autre. Sur The Texas Chainsaw Massacre il y a beaucoup à dire, et la question parle avant tout de l'esthétique classique, mais c'est en quelque sorte le petit frère cinématographique de la révolution engagée par La nuit des morts-vivants de Romero en 68, qui est à mon sens, après les films de la Hammer et avant ceux de Carpenter, le premier film d'horreur moderne, post-60's.
Dans le premier, Romero distille une ambiance angoissante entre l'aspect le plus "cinéma" : pellicule et utilisation du 1.33 ( format télévisuel mais c'est le rapport direct avec la télé qu'entretient le film), noir et blanc contrasté, scénario vraisemblable donnant une vision apocalyptique du monde et une méfiance affichée contre une certaine industrie et de l'autre un aspect plus fictionnel ( l'attaque des morts-vivants) et l'analyse scentifique des conséquences de ce même épisode ( le reportage télé en simultané qui décrit la situation et son évolution en temps réel, donnant au film un cachet réaliste très saisissant alors même que l'histoire est fictive et est un pur scénario de science fiction, pas loin de l'idée de L'invasion des Profanateurs de Sépultures). C'est là que réside le génie de Romero, car il arrive à insuffler une idée de cauchemar urbain, cannibal, avec un regard à la fois clinique et substantiel dans un monde tout ce qu'il y a deplus banal mais qui critique la manipulation et l'aliénation.

Pour le film de Hooper, si on le compare au Romero, on y peut y déceler l'héritage d'une façon de filmer et de traiter un fait divers ou fait fictionnel. Sauf que le réalisateur s'inspire ici d'une réalité pour tenter d'aboutir à quelque chose qui rejoigne Romero : la description d'un cauchemar. Il y a là un héritage flagrant à travers l'utilisation du grain de pellicule et la recherche réaliste du style documentaire. Massacre est le premier film d'horreur d'exploitation des 70's avec La dernière maison sur la gauche a imposé un style ( un film donnant l'illusion d'une histoire racontée en temps réel) par la recherche du choc artistique ( les couleurs, le son, la peinture d'un monde au bord du chaos moral, économique et intellectuel) et du catharsis ( identification primordiale avec le personnage principal, scènes de tension extrême). Dans le cas de Massacre, Hooper réussit plus qu'un pari, il réussit un tour de force.
J'y ai aussi toujours vu des références littéraires, dont une évidente : Le petit chaperon rouge. Sally Hardesty étant la figure du Chaperon qui s'aventure dans la maison de Grand-Mère, et Leatherface représentant la Grand Méchant Loup, tapi dans son Antre, prêt à dévorer sa victime. Pas loin de l'idée d'une certaine littérature des mythes et des démons, et tout aussi métaphorique que celle des frères Grimm.

Le fond social est omniprésent dans le film de Hooper, mais il est tout autant voire plus dans le Romero. Sauf que Romero s'attarde sur le danger des expérimentations médicales, sur l'avenir incertain de l'humain sur Terre s'il joue aux sorciers, tandis que Massacre reste plus terre à terre, agençant ses idées sur la crise sociale et morale des US aux débuts des années 70. Impossible de ne pas évoquer Nixon et le Watergate, rien que le générique de début, pictural, oppressant et flamboyant l'aborde sans détour, tandis que plus tard, les personnages se retrouvent pris au piège de l'Ogre, qui cultive un art morbide pour la collection d'ossements humains qu'il organise en une chorégraphie macabre ( couleurs terreuses et lumière crue + mise en scène épurée à base de long travellings mettant les personnages au sein d'un décor à la limite de la deshumanisation). Le film anticipe tout un pan de la psychologie et de l'étude de cette même psychologie dans les enquêtes policières menées pendant les années 80 par les experts en serial killer, dont l'un des plus célèbres n'est autre que notre français Stéphane Bourgoin ( le film fait référence à Ed Gein dont Bourgoin a étudié la vie). Un film dont l'histoire est tirée d'un fait divers, mais dont la dramaturgie est façonnée à partir d'une obsession américaine pour la Vérité, majoritaire à l'époque, relevant de la prise de conscience morale et de l'expression d'une angoisse générale.

Qu'est-ce que l'esthétique de Massacre ? C'est celle du dépouillement et en même temps de l'extrême rigueur, de la vétusté et insalubrité des lieux, d'une fantasmagorie du cauchemar et de la violence, à la fois physique et mentale. Tout le décor participe de ce cheminement vers l' aboutissement artistique (et donc) plastique que le réalisateur n'a jamais pu renouveler avec la même perfection et qui pourtant a influencé une génération de cinéastes jusqu'à Snipel aujourd'hui aux commandes du remake du propre film de Hooper, comme une reconnaissance, un hommage, mais aussi une sorte de limite, une citation originelle, comme une boucle bouclée qui marquerait la fin d'un cycle et le début d'un autre.
Avant Massacre il y avait une esthétique de la peur héritée de la Hammer, avec de jolis décors, une profondeur des intrigues, des premiers rôles déterminants ( dont Christopher Lee). Après il marque le tournant entre l'héritage de cette période dont il garde la facture technique et un cinéma plus cru, viscéral qui va marquer les 70's.
francis moury
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Esthétique du cinéma et temporalité historique

Message par francis moury »

Sibyl Vain a écrit : L'idée defendue par Jean-Baptiste Thoret qui veut que le "film amateur" de l'assassinat de JFK ait influencé un grand nombre de cinéastes dans leur manière de concevoir le récit cinématographique de même que la construction / composition du plan me paraît plutôt séduisante (absence de contre-champs rendant la réalité incompréhensible car partiellement invisible, et l'événement inssaisissable). Peut-être cet événement étranger à la production cinématographique "classique" a-t'il largement influencé le thriller-polar "modernes" (De Palma, etc.)... Je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de me plonger sérieusement dans les travaux de Thoret. Quelqu'un en sait-il davantage à ce sujet ?
Ce débat devient très riche et je prends de plus en plus de plaisir à le lire : continuons...

Sur cette idée de Thoret je dirais tout simplement ce que bien des historiens du cinéma ont déjà dit : dans les années 55-70, le cinéma concurrencé par la télévision a eu le choix entre deux options. Ou bien s'approprier son propre langage ou bien fabriquer des choses esthétiquement énormes par le budget et l'ampleur visuelle. Le premier cas donne des éléments comme l'ouverture de NO BLADE OF GRASS [Terre brûlée] (GB 1970) de Cornel Wilde qui filme "comme à la télé", filme la télé elle-même puis fait décoller le récit proprement cinématographique à partir de ces éléments. Aussi bien sûr les éléments syntaxiques et morphologiques à l'oeuvre dans les grandes oeuvres du cinéma fantastique de la fin 60-début 70 et ensuite - Jordan en a cité deux. Le second cas donne des superproductions en cinémascope dès 1953 ou le traitement de sujets impensables à la télévision de l'époque même si la syntaxe est classique.

Cela dit, même si les 4 courants relevés par Tom Peeping avec clarté sont par exemple aussi de très bonnes bases purement esthétiques (donc intemporelles) , il faut avouer - voir dialogue Sybil Vain-Solal - que les choses sont forcément complexes car le temps se réintroduit par la bande dans l'espace cinématographique, inévitablement puisque le cinéma utilise le temps et est une oeuvre inscrite dans l'histoire : la sienne et celle des autres arts avec laquelle il dialogue constamment et depuis sa naissance, consciemment ou inconsciemment.

MENSCHEN AM SONTAG [Les hommes le dimanche] (All. 1930), ce film collectif auquel participèrent des réalisateurs aussi divers que Robert Siodmak, Edgar G. Ulmer, Billy Wilder, Fred Zinnemann : qu'est-ce que c'était à l'époque pour ses spectateurs ? Qu'est-ce que ça peut être aujourd'hui vu ici et maintenant ? Les deux réponses ne sont pas du tout évidentes...

Autre exemple : quand Fisher refait pour la Hammer les films Universal... qu'est-ce qu'il fait ? Selon lui ? Selon les critiques contemporains de la sortie des Hammer ? Selon les critiques actuels ? Selon le public contemporain des années 60 ? Selon le public actuel ? Est-il classique, réaliste, restituant un mythe fondateur au sein d'une narration juste améliorée techniquement ? Ou bien est-il visionnaire, critique du fond comme de la forme, irréaliste, styliste ? Dans la mesure où le noir et blanc est abandonné en général (même si Fisher a filmé quelques sublimes films fantastiques N.&B. encore vers 1960) au profit d'une couleur plus réaliste donc plus effrayante, on a pu écrire un article sur LE SANG CHEZ TERENCE FISHER dans lequel on distinguait deux lignes esthétiques contradictoires chez lui mais co-existantes...
"Felix qui potuit rerum causas cognoscere "
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