Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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semmelweis
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Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par semmelweis »

Imitation Game,Morden Tyldum(2015)

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Genre: académique

Le genre du biopic semble avoir dévoré complètement Hollywood. Depuis plusieurs années, les nominations aux Oscars comportent beaucoup de films dont le rôle est de nous parler d’un individu extraordinaire plus ou moins connu.
Imitation Game est totalement dans cette thématique, le but étant de nous présenter et nous narrer la vie d’Alan Turing, mathématicien génial dont les travaux sont à l’origine des ordinateurs et qui ont permis de raccourcir la seconde guerre de deux ans en décodant le système Enigma des nazis. Le film est porté par des acteurs ayant le vent en poupe comme Benedict Cumberbatch, Matthew Goode et Keira Knightley, le tout mis en scène par le cinéaste norvégien Morden Tyldum.

Il est vrai que la personnalité de l’analyste britannique à tout pour faire un biopic entre l’oubli total dont il fait l’objet dans la « grande « histoire et son homosexualité condamnée à l’époque. Il y a donc matière à faire de Turing un martyr, parfait pour un film à Oscars.
Dès le début du film, sa personnalité est construite sur une incapacité à l’adaptation sociale avec un coté « geek » génial dont le talent et l’arrogance sont supérieurs à ses acolytes. Et même si le côté « autiste «  de Turing peut être un fait historique, ceci en devient avant tout un gimmick pour nous rendre au départ le personnage détestable que le spectateur reconsidéra par la suite.On est plus proche de The Big Bang Theory que d’une étude de caractère. Il s’agit avant tout d’un pur effet dramatique éculé depuis bien longtemps. Jamais l’aspect borderline de sa psychologie peut devenir trangressive. Le film ne décide jamais d’explorer la singularité de son personnage principal mais d’en faire avant tout un marginal incompris. Ceci constitue une bonne première moitié du film jusqu’à sans raison aucune (si ce n’est celle du scénario..), l’équipe d’analystes soutiennent Turing dans la construction de sa machine « Christopher » pour décoder Enigma.

Le fil rouge de l’homosexualité du personnage semble d’ailleurs décoder tous les aspects de la vie du prodige ,de l’accusation de l’atteinte à la pudeur jusqu’au nom de sa création. On est vraiment devant une lecture très déterministe. Le scénario ne peut s’empêcher de nous balancer le trauma cher à ce genre de biopic avec la mort de l’amour de la vie d’ Alan comme catalyseur de son travail de mathématicien. Il n’est surtout pas question de traiter le procès que subit Turing mais plutôt de le voir comme un épiphénomène du reste de sa vie.

De la même façon, le réalisateur n’essaye jamais de donner corps aux théories du mathématicien et n’explique pas les principes qui conduisent à la construction de la machine. Il y a dans tout cela une incapacité à plonger dans l’esprit de ce précurseur. Au contraire d’un Social Network, où la parole devenait le support de l’idée d’immédiat des réseaux sociaux,Tyldum ne trouve pas de point d’ancrage à l’imitation de vie chère à Turing. Il se contente de filmer tout cela avec un académisme très lisse. La « non-existence » menée par le scientifique alors que les évènements historiques frappent à la porte de l’Angleterre ne sont pas l’occasion de mettre en lumière la personnalité dérangée de son personnage principal.

Aucune tension ne naît de la mise en scène. On se contente d’un montage alterné entre scènes de guerre et les tentatives de décodage d’Enigma pour monter un suspense éventé. Le film fait le choix du calme sans tempête ni venant de l’extérieur ou de l’intérieur. La mécanique de la mise en scène est donc totalement prévisible comme son scénario donnant quand même la part belle à ses acteurs (sans point de vue réel).

Benedict Cumberbatch assure un travail de qualité mais sans aspérités mais tranche un peu dans une romance « à part » avec Joan Clarke (Keira Knightley), femme compréhensive et tout aussi lucide que Turing. On peut d’ailleurs se demander si cette partie n’est pas plus le fait du romanesque que d’une réalité historique. Ce sont surtout les seconds rôles qui sont plus nuancés (paradoxalement) avec un Mark Strong très manipulateur qui rappelle la réalité du fait d’Etat. De plus, Charles Dance compose un personnage cohérent dont la droiture militaire contraste avec le comportement « original » du mathématicien.

Le sujet du film semble complètement étouffé par un scénario et une évolution dramatique balisé. Il y avait pourtant tant de sujets à aborder entre scientisme, un arrière britannique moribond, l’exploration de la création d’une vie à coté de la vraie de chair et de sang. Tout cela est tout de suite écartée pour servir une facture classique mais qu’on oublie aussi vite. La vision de Turing méritait bien mieux.
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Flol
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2015)

Message par Flol »

Décidément, on ne peut pas dire que ce film passionne les classikiens. Et c'est compréhensible, tant ça n'a pas beaucoup d'intérêt. :|
Et c'est vraiment dommage, parce que le destin et les accomplissements dantesques de Alan Turing auraient pu (et dû) donner lieu à un film passionnant. Sauf qu'on en est loin.

Tout est traité de manière trop superficielle, sans jamais être rehaussé de quelque façon que ce soit par une mise en scène totalement impersonnelle et des enjeux quasiment pas traités. On ne ressent jamais vraiment l'importance de la machine créée par Turing, qui aurait quand même permis d'écourter la guerre et de sauver des millions de vie (heureusement que le carton final nous le dit, sinon on aurait pu croire que Turing n'a rien foutu pendant 5 ans). Par contre, la machine à Oscars, elle on la sent bien bien plus...

Alors ça se suit agréablement, la reconstitution est bien foutue, Desplat nous a encore composé un thème splendide et je suis définitivement fan de Cumberbatch (sa tête reptilienne chelou y est pour beaucoup) ; mais c'est avant tout un produit inoffensif sur lequel on ressent clairement la patte Weinstein.
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Supfiction
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Supfiction »

Imitation Game est effectivement très conventionnel et je suis globalement d'accord avec les reproches fait plus haut. Peut-être aurai-je aimé également un approfondissement des travaux de Turing, mais les scénaristes ont opté pour une vulgarisation de ses travaux (problème récurrent des films portant sur la science et l'informatique, l'irrémédiable moment "eurêka j'ai trouvé"), ce qui a pour avantage d'éviter l'écueil du film long et confus.
J'ai également un peu de mal avec l'idée qu'une seule personne soit responsable envers et contre tous d'un événement historique aussi majeur que la victoire de 1945, ce que laisse tout de même entendre le film.

Et pourtant, j'ai passé un très bon moment à suivre cette histoire. Casting glamour (Matthew Goode, Keira Knightley, Cumberbatch, Allen Leech), reconstitution historique impeccable et mise en scène agréable et élégante (bien que sans surprise, c'est le moins qu'on puisse dire) : le résultat est un film épique et très sympathique. Ni plus ni moins.
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par jay »

Oui, moi aussi j'ai passé un bon moment. Conventionnel ou pas, je trouve que le film remplit au moins son contrat en tant que support pédagogique. L'histoire est passionnante et peu connue. Evidemment simplifiée et se permettant beaucoup de libertés afin de se conformer aux canons hollywoodiens (l'individualisme, le trauma, la personnalité "malade", l'opposition avec un "méchant" Commandant Denniston...), mais ça reste un bonne introduction aux livres d'histoire.
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Colqhoun
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Colqhoun »

jay a écrit :le film remplit au moins son contrat en tant que support pédagogique..
On a des livres et wikipedia pour ça.
jay
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par jay »

Colqhoun a écrit :
jay a écrit :le film remplit au moins son contrat en tant que support pédagogique..
On a des livres et wikipedia pour ça.
Tu sais très bien que la force des images et du récit (couplée à la puissance de communication qui va avec) a un impact incomparable, et qu'en grande majorité, les gens ne vont pas aller spontanément ouvrir un livre ou se lancer dans une recherche wikipedia sans cette porte d'entrée plus séduisante. Avant ce film, je n'avais jamais entendu parler d'Alan Turing ni de ce point précis d'histoire. Mais après, tant mieux pour toi si tu en étais déjà informé grâce à Wikipédia.
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Jeremy Fox
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Jeremy Fox »

L'inventeur des ordinateurs est également celui qui a raccourci le second conflit mondial de deux ans, le personnage qu'interprète ici Benedict Cumberbatch (qui reprend plus ou moins celui qu'il tenait dans la série Sherlock). Le sujet est tellement passionnant (d'autant qu'il m'était inconnu) que le film arrive à se suivre sans trop d'ennui. Heureusement car sur la construction, sur le fond ou sur la forme, qu'est-ce que c'est plat et sans intérêt ! CGI hideux (on se serait passé des plans sur le conflit), mise en scène fadasse, flash-back mal intégrés, peu de puissance dramatique... heureusement Alexandre Desplat confirme son talent unique. Bref, je rejoins les premiers avis postés : ça se suit avec un certain plaisir mais néanmoins on est content que ça se termine et on fulmine qu'à partir de telles pistes on ne nous offre que ce petit truc balisé et plat.
Johnny Doe
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Johnny Doe »

Comme un peu tout le monde, j'ai l'impression que Tyldum est asservit à l'efficacité de son scénario (montage en flash backs sur 3 époques) et oublie complétement de traiter des sujets, pourtant passionnants, du film. Trop occupé à faire l'hagiographie de Turing, présenté comme l'homme qui a, par sa volonté, sa force de caractère et son intelligence, raccourcis la guerre de 2 ans. Réduisant l'influence du reste de l'équipe à peau de chagrin.

Mais ce qui m'a le plus frustré, c'est que le film semblait promettre l'illustration de la réflexion de Turing. Celle qui l'a amenée à imaginer une machine pour le décryptage (idée absolument visionnaire) plutôt qu'un être humain. Comme le reste, c'est traité complétement par dessus la jambe. En 1 scène, Turing édicte qu'il va fabriquer une machine, parce que c'est impossible pour un être humain. Bon. On aurait quand même bien aimé ressentir, voir évoqué ce qui a poussé Turing vers cette idée. En fait si, Keira l'évoque brièvement par la suite, Turing avait déjà écrit un papier sur cette idée de créer une machine capable de "penser". Là encore, il y avait une sacré matière à entreprendre. Une vrai ambiguïté dans le personnages de Turing, est ce que ce type se sert de la seconde guerre mondiale pour financer et justifier le projet de toute sa vie? Comme si le décryptage d'Enigma n'était qu'un prétexte pour réalisé son super ordinateur? Comme le reste, c'est à peine traité, à peine évoqué.

Tout reste constamment en surface, du début à la fin. Du trauma initial à la mort prématurée de Turing. Alors qu'on avait un matériaux d'une richesse inouïe, Tyldum aplanis le tout pour servir un petit biopic sans beaucoup d'âme, appliqué mais un peu terne, qui doit beaucoup à son scénario efficace, à défaut de se révéler passionnant.
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Blue »

On a déjà vu des épisodes de "Joséphine, Ange Gardien" davantage mis en scène que le machin insipide de Morten Tyldum. "Imitation Game" donne l'impression d'avoir été uniquement conçu à partir d'un scénario (qui au vu du résultat n'a lui-même rien de fabuleux en dehors de l'aspect "based on a true story"), sans qu'il n'y ait aucune considération en terme de montage, rythmique de découpage, etc. Que ce sous-téléfilm ait pu obtenir des nominations en compétitions officielles laisse perplexe quant à l'état du septième Art.
Hormis le score d'Alexandre Desplat et le minois de la Knigthley, rien à sauver.

1/10
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Re: Imitation Game (Morden Tyldum - 2014)

Message par Max Schreck »

Je partage pleinement l'avis inaugural de semmelweis. Il y avait effectivement des pistes passionnantes à explorer dans cette histoire d'un homme condamné au secret, que ce soit celui de son homosexualité dans un pays qui la condamne pénalement, ou de sa contribution fondamentale à la victoire et à la technologie. En gros, tout ce que le dernier tiers du film survole alors que c'est finalement bien plus riche que de simplement nous montrer les étapes obligées du génie en lutte contre l'archaïsme des institutions. L'essentiel du film déroule en effet sa petite histoire, sans jamais vraiment surprendre. Même les moments de basculement ne sont pas particulièrement bien soutenus.
Spoiler (cliquez pour afficher)
La grotesque scène du bar avec la collègue qui a indentifié le style d'un radiomessager : on est quand même face à des génies sélectionnés sur le fil, et y'en a pas un qui a pensé aux mots récurrents dans les messages des nazis pour démarrer leur travail de décryptage ?
Du coup Cumberbatch n'a même pas vraiment l'occasion de nous impressionner par sa performance à oscars. A contrario, preuve de leur incontestable talent, Keira Knightley et Mark Strong parviennent à briller, et le meilleur du film est sans doute dans leur présence.

Et lorsque le réalisateur s'efforce de façon plutôt pertinente de faire apparaître le lien entre le travail de labo des ingénieurs et la réalité de la guerre, ça ne donne que des CGI sans saveur de batailles aériennes, où de population sous abris. Mais jamais on ne sent le poids du drame qui se joue, alors qu'on voudrait suggérer que des vies humaines sont en jeu à chaque minute perdue (le temps est censé jouer un rôle important). Avec ce même type d'image très lêchée, Fincher témoignait quand même d'une présence et d'une personnalité dans sa mise en scène de Benjamin Button. On est finalement ici plus proche du Ron Howard d'Un homme d'exception (pas bon film non plus). J'ai même trouvé le score de Desplat paresseux, joli certes parce qu'il reste un compositeur doué, mais ne cherchant jamais à transcender la commande, ou à prendre des risques.
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