Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Thaddeus
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Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

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Après la mort du Pape, le Conclave se réunit afin d’élire son successeur. Plusieurs votes sont nécessaires avant que ne s’élève la fumée blanche. Enfin, un cardinal est élu ! Mais les fidèles massés sur la place Saint-Pierre attendent en vain l’apparition au balcon du nouveau souverain pontife. Ce dernier ne semble pas prêt à supporter le poids d’une telle responsabilité. Angoisse ? Dépression ? Peur de ne pas se sentir à la hauteur ? Le monde entier est bientôt en proie à l’inquiétude tandis qu’au Vatican, on cherche des solutions pour surmonter la crise…


Rien de tel qu'un Nanni Moretti pour se rassurer, se dire que le cinéma affiche toujours une sacré santé, et continuer à croire en la vigueur et en l'intelligence de cet art lorsque bien des auteurs chéris affichent de sérieux coups de fatigue. Nanni prend son temps (cinq ans entre La Chambre du Fils et Le Caïman, autant entre Le Caïman et ce petit dernier), et c'est pour éblouir à chaque fois.

Après son formidable Caïman donc, et la charge incendiaire qu’il portait à Berlusconi, Nanni Moretti s’attaque au Vatican. Certains voyaient déjà le cinéaste déboulonner l’institution et tirer à boulets rouges sur la communauté cléricale ; c’est oublier que, comme tous les grands réalisateurs, Moretti n’aime rien tant que prendre les attentes à contre-pied et emprunter des chemins de traverse.

Notre homme est foncièrement laïc, profondément athée : première fausse piste. Il s’octroie ici le rôle savoureux d’un psychanalyste légèrement caricaturé, juste comme il faut, dépassé par les événements, contraint à une captivité forcée dont il va peu à peu prendre goût. Psychanalyse contre Église : sacré sujet, et deuxième fausse piste, ou plus exactement piste biaisée, appréhendée à revers, avec un sens réjouissant de l’ironie et une touche de burlesque bien de chez lui. Ces deux "religions", Moretti les renvoie dos à dos, mais pas tout à fait de la même manière. D’un côté, il octroie quelques coups de griffe bien sentis à une discipline qui se révèle impuissante à soigner le mal du Pape nouvellement élu, et dont la pertinence est mise à mal par certaines croyances absurdes (la psy et son obsession du manque de soins). De l’autre, il fait du conclave une réunion de vieux messieurs désemparés par la détresse et le doute de celui qu’ils ont choisi comme leur guide spirituel. Le cinéaste les regarde avec tendresse et amusement : des anxiolytiques dont se gave l’un d’entre eux jusqu’aux parties de cartes qui les occupent pour combler leur temps et oublier leur désarroi, le portrait est chaleureux, cocasse, compréhensif. Pourtant, le film se couvre en permanence d’une inquiétude latente, tenant moins de la crise de foi que de la peur de ne pas être à la hauteur des responsabilités qui nous incombent. Il suffit d’un plan sur Moretti, tête baissée, résigné dans sa chambre-cellule le premier soir, tandis que les lamentations d’un cardinal en plein cauchemar résonnent entre les murs, pour exprimer cette angoisse. Moretti c'est aussi une voix, un visage, un port, une stature à la fois anguleuse et fascinante : il a déjà bâti des films sur sa personne, et son charisme naturel suffit aisément à captiver le regard et l'attention, mais cette fois (comme dans son dernier film, où il cannibalisait néanmoins les dernières scènes, dans le rôle de son pire ennemi !) il offre à un monstre sacré le centre de gravité de son récit.

Au coeur du film, de sa problématique, le formidable personnage de Melville, que l’immense Piccoli, toute en rondeur hébétée, passive, porte à des sommets d’incarnation ahurie. Nulle crise de foi chez lui, seulement cette terreur blanche et paralysante face à la tâche qui lui allouée, ce gouffre tétanisant au-dessus duquel il se voit penché. Ses déambulations romaines, sa confrontation avec une altérité qu’il découvre, sa rencontre avec une troupe de comédiens jouant Tchékhov élargissent le film, qui s’offre alors une folle perméabilité, ouvre sur différents registres de réflexion tenant du principe d’incarnation, du rôle cathartique de la comédie, du poids de la mise en scène et de la projection publique. Melville récitant son discours dans un bus, entouré de quidams qui l’écoutent, perplexes et fascinés ; la troupe de cardinaux et de soldats suisses pénétrant dans le théâtre tandis que le public applaudit le pape en civil au balcon… Ces scènes, et bien d’autres, sont superbes, touchent le cœur d’un propos passionnant, qui synthétise et approfondit toute la thématique moretienne. Le film tire une dynamique particulièrement fructueuse de cette oscillation entre le pôle Moretti, bloqué dans l'enceinte du Vatican et ordonnateur d'une série d'occupations cocasses, et le pôle inquiet Melville, qui offre au récit de grands moments de dérive inquiète, nourrie d'une douce incertitude.

Le champ d’investigation politique de La Palombella Rossa, le questionnement moral et philosophique de La Messe est finie, le goût de la chronique à l’œuvre dans Le Caïman semblent se réunir dans ce film riche et ample, mis en en scène avec une rigueur et une inspiration permanentes. Les compositions ornementales du conclave, avec ses robes pourpres somptueusement ordonnancées au milieu des tapisseries de la chapelle Sixtine, obéissent ainsi à un régime de représentation qui butte sur sa propre évaporation. C’est l’image saisissante et réitérée du cardinal qui recule sur le balcon de Saint-Pierre, se dissolvant pour ne laisser place qu’à un trou béant entre deux rideaux rouges. Vacance du pouvoir, absence que Melville n’est pas en mesure de combler. A cet égard, le final est incroyable, fonctionnant en écho à celui, terrible, du Caïman. Moretti formalise un effondrement : après celui de l’Italie, sombrant dans les flammes d’un fascisme larvé, c’est celui de l’Église qu’il exprime à travers le choix de son pape dépressif, redescendu, à l’instar de ses cardinaux, parmi les hommes.

Habemus Papam est drôle et triste, inquiet et émouvant, limpide et complexe : c’est l’œuvre d’un des plus importants cinéastes de notre époque, au sommet de son art, et pour moi l’un des grands films d'une 2011 pourtant fertile en grandes et éclatantes réussites.
Joe Wilson
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Joe Wilson »

Des impressions partagées...j'ai beaucoup aimé l'interprétation de Michel Piccoli, formidable par ses ruptures et son questionnement sur une représentation, une incarnation qui se refuse à lui. Le lien entre les figures du pape et de l'acteur semblent alors couler de source avec une remarquable aisance.
Mais je trouve que le propos manque de cohérence et de fluidité, le personnage de Nanni Moretti ne parvenant jamais à s'imposer. L'évocation de la psychanalyse est fastidieuse, et les traits comiques autour de l'attente des cardinaux tombent trop souvent à plat. C'est frustrant car cela m'a donné l'impression de voir deux films en un, avec de très belles idées qui ne parviennent pas toujours à s'imposer.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Strum »

J'ai beaucoup aimé Habemus Papam, davantage que ce à quoi je m'attendais.

Du point de vue de la construction et de la mise en scène, c'est une belle réussite. Le film trouve un équilibre typique de la comédie italienne entre la tragédie et le comique. Contrairement à Joe, j'ai trouvé que les scènes de comédie avec Moretti et les cardinaux faisaient respirer le récit, qu'elles lui donnaient ce charme un peu ironique et désabusé que j'affectionne dans le cinéma italien.

L'autre réussite du film tient à ses thèmes. Je dois avouer que le sujet du film (l'élection d'un pape qui ne veut pas être pape) ne m'intéressait guère. Mais Moretti, comme son personnage de psychanalyste censé redonner au pape la joie de vivre, est absolument athée. Non pas un de ces athées qui ont le goût du sacrée et qui tentent, peut-être par désir de croire, de filmer la foi ou la spiritualité au cinéma. Mais un athée qu'amuse suffisamment la liturgie religieuse pour s'en moquer gentiment, et dont il se sent en même temps suffisamment détaché pour ne pas non plus la mépriser. Lorsque Moretti visite le Vatican comme s'il s'agissait d'un parc d'attractions ou d'un supermarché de la foi, commentaires à l'appui, on rit de bon coeur, mais on ne sent chez lui nulle aigreur. D'ailleurs, la psychanalyse en prend aussi pour son grade.

Le sujet d'Habemus Papam n'est donc qu'un prétexte pour Moretti, qui poursuit ici sa réflexion sur le pouvoir et la comédie, dont il explorait déjà un versant dans le Caïman. Dans la relation de pouvoir corrompue dont parle Moretti, l'homme de pouvoir est un acteur, et les sujets ou citoyens, des spectateurs. En tant qu'acteur, l'homme de pouvoir perverti de Moretti prend au lieu de donner. Il attend des spectateurs-citoyens qu'ils lui donnent leur affection, ne le quittent jamais des yeux, comblent un manque. Ce que dit en creux Habemus Papam, c'est que ce devrait être l'inverse. L'homme de pouvoir, celui qui commande, devrait donner et guider et non prendre. Il devrait lui-même combler les vides des citoyens car lui-même n'est en manque de rien ; au contraire, il a un trop plein qu'il doit partager avec d'autres. Le cardinal Melville, choisi par ses pairs pour devenir Pape, comprend qu'il ne peut devenir Pape car au fond de lui, il est resté cet acteur qu'il aurait aimé être (au lieu de faire semblant toute sa vie d'être un cardinal), qui recouvre la joie de vivre quand il entend du Tchekov dans un hôtel, et qui n'est heureux que dans un théâtre ou au milieu d'une troupe de comédiens.

Ce que montre le film également, c'est que le Pape laisse des fidèles désemparés. Là aussi, le propos du film doit se comprendre comme dépassant la seule liturgie catholique. Ce ne sont pas seulement des fidèles sans Pape qui sont désemparés, c'est un doute général qui s'est emparé des italiens et des italiennes, qui ressentent davantage que de coutume le besoin d'être guidés et accompagnés par des hommes de pouvoir probes et à la hauteur de leur tâche. Si ces derniers ne le sont pas, alors ils doivent renoncer, tant leur tâche est immense. Cela, Melville l'a bien senti, il comprend qu'il est un acteur avant tout, et c'est tout à son honneur de renoncer. D'autres feraient mieux d'en faire autant. Suivez le regard de Moretti. En cela, le film de Moretti s'inscrit dans le présent et le réel, comme tous ses films.

Mais je ne voudrais pas donner du film une impression de trop grand sérieux. Tout cela est dit avec beaucoup de légèreté et de chaleur, et on rit souvent. Comme le dit Stark, il y a effectivement quelque chose de rassurant à se dire que l'on peut encore compter sur certains cinéastes pour faire, à chacun de leurs films, de l'excellent cinéma.
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Demi-Lune
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Demi-Lune »

J'irai normalement le voir cette semaine, avec L'apollonide.

(post 100% inutile mais ça fait mal de voir un beau topic sur une sortie en cours faire un bide) :mrgreen:
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Demi-Lune
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Demi-Lune »

Comme Joe, je reste très mitigé à l'égard de ce Habemus Papam, qui marque d'ailleurs ma première rencontre avec le cinéma de Moretti. En cela, je ne peux donc disposer de la même clarté de lecture de Stark qui replace ce film à la lumière d'une filmographie apparemment cohérente.

Pour ce qui nous occupe ici, j'ai trouvé personnellement que le film alternait les hauts et les bas, et ce, avec une régularité presque étonnante. D'abord, l'intéressant mécanisme du conclave et son cérémonial, partie à mon sens réussie d'un point de vue pédagogique et dramatique, où le cinéaste rend limpides à la fois l'aspect purement procédurier et les tourments intérieurs des potentiels candidats (excellente scène où l'on nous fait partager leurs pensées qui s'accumulent en un gigantesque brouhaha psychique). Cette introduction s'accompagne en outre d'un regard comique assez savoureux et discret, balançant ça et là quelques piques sur l'incompétence journalistique ou l'hypocrisie ecclésiastique. Et, au moment où Piccoli craque nerveusement, le film bifurque vers un nouveau sentier qui, je dois dire, ne me convaincra jamais tout à fait, et ce jusqu'au final. Il m'a semblé en effet assister à quelque chose qui n'était que de l'ordre de l'ébauche :
- l'affrontement entre la psychanalyse scientifisante et la pensée religieuse ne donne guère lieu à d'intéressantes choses, on n'en restera qu'à quelques timides dialogues, même si au fond, Moretti renvoie effectivement les deux dos à dos avec leur faillibilité interprétative réciproque ;
- la dépression vécue par le nouveau pape, qui erre, hagard (Piccoli nous fait la même tête ahurie, apathique et livide pendant 1h40), dans une Rome dont il savoure la vie, la simplicité, la laïcité aussi, est placée au centre du récit et son mal-être, dont il s'agit de percer les causes enracinées, n'aboutit pourtant sur rien de véritablement clair et explicite. "Manque de soins" en provenance de l'enfance ? Misons plutôt sur un complexe psychologique vis-à-vis de la carrière d'acteur qu'il n'a jamais pu embrasser (à la différence de sa sœur) alors que la fonction pontificale, comme toutes les fonctions d'apparat et de gouvernement suprême, imposent de celui qui l'investit un rôle de représentation, comme sur une scène de théâtre où tout le monde viendrait scruter le moindre de vos gestes. Le problème, à mon sens, vient donc bien du fait que l'histoire nous pose comme problématique un état moral voire psychique défaillant, qu'il s'agit de percer à jour (et le scénario développe quand même pas mal cet aspect, avec le personnage de Moretti puis celui de son ex), et dont, finalement, nous ne saurons guère plus à l'issue du film, hors cette piste de réflexion que j'ai exposée.

A cela s'ajoute peut-être une situation un peu trop forcée à l'origine : peut-être suis-je bien fermé en l'occurrence, mais j'avoue qu'un cardinal, fraîchement élu au Saint-Siège, puisse être autant bouleversé par la perspective que représente sa mission, peut paraître quelque peu exagéré. Je sais bien que ce n'est pas ce qui intéresse Moretti, mais quand même, le film tend à présenter la charge pontificale comme un véritable fardeau punitif dont personne ne veut et qui broie celui qui la prend.

Par contre, là où le film est vraiment pertinent, c'est dans l'aboutissement défaitiste de son propos : il y a quand même quelque chose du gros malaise qui serpente dans ce film, quelque chose de très pessimiste : le nouveau pape a la clairvoyance de comprendre que l’Église nécessite de grandes réformes, de grands bouleversements à l'heure du monde d'aujourd'hui, et c'est, quelque part, parce que cette mission est trop lourde pour lui (il ne sent pas guide mais guidé) qu'il abdique, chose extrêmement rare dans l'Histoire de la papauté, et donc particulièrement éloquente comme conclusion du film. L’Église, que Moretti a dépeint de manière humaine (pape en proie aux doutes, cardinaux médicamentés et déprimés...), apparaît comme un vaisseau sans commandant, un bateau à la dérive qui a raté son rendez-vous avec l'Histoire grâce à un chef suprême qui aurait pu être un réformateur majeur. Finalement, ma préférence se porte aux scènes où le personnage de Moretti, à l'utilité d'ailleurs fort relative à mon goût, apprend à développer un lien avec la communauté des cardinaux ; de parties de cartes en tournoi de volley, même si certaines choses ne fonctionnent pas des masses (les ralentis sur les cardinaux pendant le match façon Top Gun, la danse commune...), Moretti dépeint un milieu ecclésiastique dont le désemparement, face à la vacance pontificale, est émouvante de sincérité. Le multiculturalisme des cardinaux dessine également un portait intégrationniste et moderne de l’Église, avant que le sévère constat final ne vienne tempérer tout cela. De ce côté, le film n'est pas, pardonnez-moi le mauvais jeu de mots, "pontifiant" ; au contraire, il est assez fin, parfois assez mordant. Mais à mes yeux, l'ensemble reste trop inégal et peu approfondi, légèrement ennuyeux par moments, s'apparentant, de fait, à une certaine occasion manquée. Dommage.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Thaddeus »

:cry:

Arf... En espérant que tu sois davantage séduit par le superbe film de Bertrand Bonello...
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Demi-Lune
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Demi-Lune »

Stark a écrit ::cry:
Rhôô, ne sois pas triste. Ce sont les choses qui arrivent. :mrgreen: :wink: Mais j'avoue être quand même déçu, oui.
En espérant que tu sois davantage séduit par le superbe film de Bertrand Bonello...
L'unanimité positive des avis que j'entends et lis au sujet de ce film ne m'en fait pas douter. J'ai vraiment hâte de le voir, celui-là.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par julien »

Demi-Lune a écrit :L'unanimité positive des avis que j'entends et lis au sujet de ce film ne m'en fait pas douter. J'ai vraiment hâte de le voir, celui-là.
Donc, j'en conclus que tu n'es pas lecteur du Figaro.


Demi-Lune a écrit :Comme Joe, je reste très mitigé à l'égard de ce Habemus Papam, qui marque d'ailleurs ma première rencontre avec le cinéma de Moretti.
S'il y en a qu'un seul à voir, c'est celui-là :

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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Strum »

Demi-Lune a écrit :Il m'a semblé en effet assister à quelque chose qui n'était que de l'ordre de l'ébauche... finalement, nous ne saurons guère plus à l'issue du film, hors cette piste de réflexion que j'ai exposée....l'ensemble reste trop inégal et peu approfondi, légèrement ennuyeux par moments, s'apparentant, de fait, à une certaine occasion manquée.
Il faut savoir, puisqu'il s'agit de ton premier Moretti, que son cinéma est un cinéma de l'effleurement. Souvent, il semble ne pas tout à fait aller au fond des choses ; il commence par présenter une situation, par touches impressionnistes, puis laisse le spectateur croire qu'il se fait lui-même sa propre opinion. Même si en réalité, c'est un guide très fin, qui nous mène là où il veut. Moretti n'assène pas son propos, il reste dans le jeu et l'échange. Ce que tu trouves de "peu affrondi" dans Habemus Papam, c'est pour moi ce qui fait la légèreté et le charme du film et du cinéma de Moretti en général. Et c'est cette légèreté qui en fait le prix et la musique. Cette légèreté, cette gaité, que professe Moretti vis-à-vis des sujets les plus graves, tu la retrouveras (pour ton plus grand bonheur ou ton plus grand ennui) dans des films comme Carnet Intime ou Aprile.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par julien »

Ne l'écoute pas. Regarde Palombella Rossa qui est absolument génial. En plus il y a la fille Argento dedans.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par Strum »

julien a écrit :Ne l'écoute pas. Regarde Palombella Rossa qui est absolument génial. En plus il y a la fille Argento dedans.
Je ne l'ai pas déconseillé de regarder Palombella Rossa que je sache (qui est effectivement très bien)...
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par riqueuniee »

Strum a écrit :
Demi-Lune a écrit :Il m'a semblé en effet assister à quelque chose qui n'était que de l'ordre de l'ébauche... finalement, nous ne saurons guère plus à l'issue du film, hors cette piste de réflexion que j'ai exposée....l'ensemble reste trop inégal et peu approfondi, légèrement ennuyeux par moments, s'apparentant, de fait, à une certaine occasion manquée.
Il faut savoir, puisqu'il s'agit de ton premier Moretti, que son cinéma est un cinéma de l'effleurement. Souvent, il semble ne pas tout à fait aller au fond des choses ; il commence par présenter une situation, par touches impressionnistes, puis laisse le spectateur croire qu'il se fait lui-même sa propre opinion. Même si en réalité, c'est un guide très fin, qui nous mène là où il veut. Moretti n'assène pas son propos, il reste dans le jeu et l'échange. Ce que tu trouves de "peu affrondi" dans Habemus Papam, c'est pour moi ce qui fait la légèreté et le charme du film et du cinéma de Moretti en général. Et c'est cette légèreté qui en fait le prix et la musique. Cette légèreté, cette gaité, que professe Moretti vis-à-vis des sujets les plus graves, tu la retrouveras (pour ton plus grand bonheur ou ton plus grand ennui) dans des films comme Carnet Intime ou Aprile.
Tout à fait. On peut ressentir à la découverte un certain manque de profondeur dans le traitement du sujet. Et puis non, une fois que le film a "fait son chemin" dans notre esprit. Sauf peut-être dans La chambre du fils, le thème ne se prête pas à un traitement léger.
Et tout particulièrement dans les deux films que tu cites, qui présentent en plus l'avantage de donner dans l'auto-fiction sans être narcissiques.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par julien »

Journal Intime c'est absolument soporifique et nombriliste. Gros ennuis pour ma part.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par MJ »

Demi-Lune a écrit :
MJ a écrit :Habemus Papam 8.5/10
Tu as le temps pour un petit commentaire sur le topic ? :)
Courtement, je dirais que j'y ai retrouvé superbement alliées toute la drôlerie et la mélancolie qui font la beauté du cinéma du Moretti. Le mariage parfait des deux se situant au moment où le psychanalyste, plein de désarroi, harangue ses équipes d'évêques l'abandonnant pour un conciliabule... car au fond, qu'est-ce qui importe plus, de l'élection d'un pape qui ne veut pas l'être ou de la fin d'un tournoi de volley? Bien entendu, Moretti déjoue constamment le piège de jouer à l'athée du village, se tournant autant en dérision que ses hommes qui avant leur revirement final, nous attendrissent plus qu'ils ne nous exaspèrent.
C'est pour moi, avec Pater de Cavalier, le grand film de l'année sur le pouvoir: comme lieu vide, peuplé d'hommes qui ne se sentent pas à la hauteur de l'appel (le nouveau pape ne doute pas de Dieu mais de sa capacité, lui, à incarner sa puissance sur Terre). Moretti ne s'attaque pas à une figure transcendante (un Dieu qu'il ne moque pas et ne remet pas en soi en question), mais à la prétention du pouvoir à se fonder sur une transcendance (et qu'il déjoue par la douce trivialité du quotidien au Vatican). Le pouvoir ici, a le choix entre la continuation à la fois touchante et ridicule d'un simulacre (la chambre et le garde suisse planqué)* ou la descente, à l'image de Piccoli déambulant dans le rues romaines, parmi les hommes. On sent dans les dernières minutes de Habemus Papam, le discours final, l'usage du Miserere de Ärvo Part, que quelque chose d'important est en train de se passer pour ces hommes, une prise de conscience tragique de leur incapacité à assumer l'appel qu'ils auto-proclament. Et c'est, je crois, un trait comun à tous les grands films de 2011, ce sentiment (prégnant ici dans le discours du religieux que Piccoli écoute en laïc, par exemple) que "quelque chose est en train de changer", que nous entrons dans une nouvelle ère sans savoir encore au juste ce qui la constitue. Constat ici fait d'une manière à la fois humble et puissante.

*EDIT: Le point que j'ai peut-être trouvé le "mieux vu" du film: le simulacre, ici, convaint plus les hommes de l'intérieur que ceux du dehors (les journalistes et badauds qui, s'ils se trompent sur l'inteprétation à donner à ce silence, ne mangent pas de ce pain là). Les évêques saluent avec joie et excitation le rideau qui tremble là où l'absence d'un visage à la fenêtre ne trompe pas la foule. Les blagues que le film fait sur cette incapacité à convaincre (la délicieuse improvisation ratée en direct à la tv) pointent un problème contemporain: l'idéologie ne parle plus qu'à ceux qui la fabriquent... et ce à tel point qu'un démocrate comme Moretti peut être touché par la comédie que se jouent à eux-mêmes ces hommes de pouvoir -le sont-ils même encore vraiment?- plus qu'elle ne l'offusque ou le terrorise. C'est qu'il y a quelque chose de touchant, et pas entièrement méprisable, dans l'écart qu'il y a entre les aspirations de l'institution et la réalité concrète de ce qu'elle montre. Sous un certain point de vue, on appelle simplement ça le ridicule, mais Moretti est suffisamment sûr de son point de vue pour décaler d'un cran le regard. Il montre simplement ces hommes comme des êtres désemparés, perdus face aux autres dans leur univers clos. C'est pour eux, plus encore que pour les fidèles, qu'il est important de revenir parmi les autres.
Dernière modification par MJ le 25 sept. 11, 20:20, modifié 2 fois.
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Re: Habemus papam (Nanni Moretti - 2011)

Message par riqueuniee »

Moretti nous surprend encore avec ce film. On pouvait s'attendre à une satire (plus ou moins) anti-cléricale, il n'en n'est rien. Certes , Moretti se moque de ce decorum , mais il n'est guère question de religion ou de foi dans ce film. A la limite, c'est plus une satire de la psychanalyse et de certaines de ses théories (notamment à travers le personnage de la psy, et puis, de toute façon, le personnage de Moretti n'arrive pas à grand chose, et en est réduit à organiser un tournoi de volley-ball pour occuper les cardinaux).
Le film parle en fait de la peur d'exercer un pouvoir quand on ne se sent pas prêt à l'exercer, plus que sur le pouvoir lui-même.
A noter quand même que on ne peut s'empêcher de penser au bref pontificat de Jean-Paul Ier en 1978. Ce dernier, de santé fragile (et sans doute peu prêt pour cette fonction) n'a sans doute pas supporté le poids des responsabilités dont il avait été investi.
Dernière modification par riqueuniee le 25 sept. 11, 12:57, modifié 1 fois.
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