L'arche russe (Alexandre Sokourov - 2002)
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Je ne sais toujours pas comment ils ont pu réalisé cela en un seul plan-séquence, d'autant que ça été tourné en HD. Si je trouve la fin d'une grand beauté, la photo m'a paru moins bonne pendant les quarantes premières minutes, ce qui est un peu embêtant je trouve quand il s'agit de montrer un Musée. Par ailleurs, je reste convaincu que si la démarche est louable, une image aussi belle soit-elle ne peut rendre compte de l'importance d'être devant le tableau. Voir sur place Le sacre de Napoléon par David au Louvre c'est autre chose que de le voir à la télé, y compris dans un format large.
- Demi-Lune
- Bronco Boulet
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Re: L'arche russe samedi soir sur Arte



Un tour de force technique qui ne peut que susciter le respect, d'autant que je suis particulièrement client (et admiratif) des paris un peu fous qui repoussent ou tentent de bouleverser le langage cinématographique. Le problème, c'est que l'audace de la réalisation d'un unique plan-séquence d'1h30 est constamment contrebalancée par les limites mêmes de l'exercice et des choix de Sokourov. Sur un plan narratif, L'arche russe se montre en effet assez lamentable, évoluant presque constamment dans un hermétisme total qui laisse, dès les prémices, le spectateur sur le bord de la route. Les situations ne sont jamais claires, les dialogues ne le sont, souvent, pas plus. Le spectateur du film est dès lors condamné à ne faire que regarder bêtement cette fluidité conceptuelle comme un simple touriste, devant lequel défile une Histoire de la Russie sur trois siècles que l'absence complète de pédagogie scénaristique ne rendra jamais atteignable. Par ailleurs, cette exhumation historique, passionnante sur le papier (appréhender une visite de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg comme un voyage vivant dans l'Histoire, avec des épisodes et des acteurs identifiés dans chaque nouvelle salle), se révèle pourtant d'une froideur déconcertante : malgré la profusion de centaines de figurants, de costumes superbes, de dorures, ce voyage temporel et géographique demeurera d'une atonie glaciale et presque repoussante, à l'image de cet antipathique personnage référent qui ressemble à Alain Souchon et qui fait office de guide involontaire.
Le fait est que ce manque total de vie et d'enjeux (car cet immense plan-séquence se vit en mini-compartiments et finit en définitive en queue-de-poisson) est certainement imputable au pari technique même. Condamnée à errer de salles en couloirs, de personnages inutiles en bals interminables, la caméra étire, étire, étire la chronologie au maximum, puisque tel est l'objectif du cinéaste induit par le postulat technique. Mais dans la mesure où la narration est, sinon inexistante, du moins absconse, ce plan-séquence virtuose devient rapidement le tombeau de l'ennui du spectateur, qui s'agace de la lenteur extrême de l'ensemble et de l'inintérêt dramatique de ce procédé de filmage, puisque la non-coupure, théoriquement justifiée par la possibilité de co-existence simultanée des époques dans le musée, ne débouche que sur une série de saynètes monolithiques voire péniblement auteurisantes (les conversations surréalistes du personnage européen avec les gens qu'il rencontre de salle en salle). Dans un film comme La Corde (1948), Hitchcock conditionnait sa mise en scène en plan-séquence en fonction des ressorts dramatiques de son histoire : l'assassin va cacher la corde dans un tiroir de la cuisine, la caméra le suit de pièce en pièce ; la servante débarrasse le coffre où se trouve la cadavre, la caméra s'abaisse à son niveau et y reste jusqu'à que le suspense soit à son comble. L'arche russe ne proposant aucun ressort dramatique, l'idée même du plan-séquence continu devient donc presque contre-productive, puisqu'on ne voit que mieux les béances de l'entreprise, son inutile étirement. C'en est définitivement patent lors des vingt dernières minutes, qui achèvent le spectateur ayant alors la méchante impression qu'on se fout un peu de sa gueule : pendant un quart-d'heure, la caméra virevolte autour des participants d'un bal, puis suit les protagonistes qui tous sortent, descendent les escaliers monumentaux du musée et..... c'est tout.
Bref, il faut reconnaître que L'arche russe est techniquement audacieux (quoique la maîtrise du plan-séquence durant 1h30 entraîne parfois quelques hésitations du cadreur... en passant le film en accéléré, j'ai presque eu, par moments, l'impression de voir un film de vacances tourné par un petit-cousin de 4 ans
