eXistenZ (David Cronenberg - 1999)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Le prisonnier
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Re: eXistenZ (David Cronenberg)

Message par Le prisonnier »

Je pensais l'avoir déjà dit, alors je me répète: l'une des grandes qualités de ce film est son humour !
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Demi-Lune
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Re: eXistenZ (David Cronenberg)

Message par Demi-Lune »

SPOILERS. Sans nul doute, eXistenZ s'inscrit dans la progression logique des thématiques de l'œuvre de Cronenberg : fascination pour la chair, métaphores sexuelles explicites, images organiques, dérèglements de l'esprit, rapport à la réalité et au virtuel, sont autant de sujets abordés par le film et constituant tous des chaînons de l'œuvre imposante et torturée du Canadien. Ainsi, eXistenZ se place facilement comme un héritier de Videodrome et du Festin Nu, où réalité et imagination se confondaient progressivement pour déboucher sur l'anéantissement des repères et de la santé mentale du héros. Ce trafic de viscères de créatures étranges évoque le trafic de sperme de Mugwump. La filiation avec ces deux œuvres susnommées trouve également des échos dans l'omniprésente imagerie sexuelle : si un vagin artificiel apparaissait dans le ventre de James Woods et qu'un anus de scarabée donnait des consignes à Peter Weller, l'accès à la révolution virtuelle promise par Jennifer Jason Leigh se fait via un orifice à pénétrer (ce qui effraie Jude Law) dans le même temps que l'acte de jouer se cristallise dans un cérémonial quasi érotique, avec nervosité, caresses, léchages... Yeah! La symbolique sexuelle est aussi associée à l'imagerie matriarcale dont on connaît les échos précédents dans l'œuvre de Cronenberg (Mère animale prophétesse de la nouvelle chair dans The Brood, paradoxe œdipien à trois cols d'utérus dans Faux-Semblants) : en effet, Allegra Gellar est plus que l'inventrice d'eXistenZ, elle en est la mère, la couveuse, entourant de soins sa création dont la ressemblance avec un fœtus est plus qu'évidente. Chair et esprit sont donc une nouvelle fois indistinctement associés. En faisant d'eXistenZ une entité organique, capable d'attraper des maladies, mais aussi proposant ses univers ludiques par le truchement de simili cordons ombilicaux, Cronenberg trace une idée folle, celle d'une transcendance spirituelle par le jeu vidéo, plus vrai que nature, transcendance rendue possible par une régression puérile au sens propre du terme. Les joueurs, en effet, liés à la matrice par un ombilicâble, découvrent l'univers eXistenZ (découvrent l'existence tout court dans le même temps qu'ils s'ouvrent à une conscience nouvelle) comme un nouveau-né découvrirait le monde qui l'entoure après son enfantement.

eXistenZ, c'est aussi une mise en abyme du travail scénaristique. L'arbitraire du scénariste (pourquoi telle situation est comme ça, pourquoi tel personnage fait ça, pourquoi tel autre dit ça) quand il laisse parler son imagination se répercute dans le jeu eXistenZ, où les situations sont pré-programmées, obéissent à un déterminisme irrévocable. "J'écris, donc vous êtes", disait Sutter Cane dans L'Antre de la folie (1994). Avec le jeu eXistenZ, Cronenberg s'auto-représente avec malice en scénariste tout-puissant, tirant les ficelles d'une réalité alternative contrôlée dans chacune de ses possibilités, et ironisant même sur le peu de développement de certains personnages ou sur les facilités des situations (comme quand Leigh et Law se sautent dessus sans raison, seulement parce que cela doit permettre une charge émotionnelle plus forte dans la scène suivante). Mais si cet opus est cohérent pour Cronenberg, c'est peut-être le film où exceptionnellement, j'ai le sentiment que le cinéaste se répète un peu. Videodrome (son chef-d'oeuvre pour moi) est en effet passé par là depuis longtemps et si la thématique du jeu vidéo est bien exploitée ici, difficile de ne pas penser qu'il n'y a pas quelques redites. Le Canadien fait une sorte de best-of de son univers (et quel best-of !), mais manque légèrement d'incisif. Il faut dire que l'intrigue (si on peut appeler ça comme ça dans ce cas précis) est parfois assez confuse. Autant dans le Festin Nu, Cronenberg disséminait quelques indices nous montrant que tout était le fruit de l'imagination de Weller sous acide, autant le spectateur d'eXistenZ se retrouve noyé dans une intrigue insoluble laissant constamment planer le doute sur le fin mot de l'histoire (ce qui est totalement logique, on reste dans l'ambiguïté sur le rapport réalité/virtualité), à gros renforts de coups de théâtres successifs dont l'enchaînement finit par être rédhibitoire. Les mises en abyme ont été tellement nombreuses tout le long du métrage que l'impact du final en est, selon moi, quelque peu amoindri. Reste qu'eXistenZ est une expérience très intéressante, pas nécessairement ce que Cronenberg a fait de mieux, mais prolongeant certaines thématiques abordées dans ses films antérieurs avec des accents encore une fois visionnaires. Une nouvelle pierre à l'édifice, en somme.
Federico
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Re: eXistenZ (David Cronenberg, 1999)

Message par Federico »

Je suis d'accord sur le fait que Cronenberg se répète mais c'est le cas de la plupart des cinéastes ayant un univers très personnel qui les démarque du commun. Sans doute suis-je très bon client ou très naïf mais cette mise en abyme scénaristique m'a fasciné. J'ai marché à fond et je le revois toujours avec un grand plaisir au point de n'être pas loin de le mettre tout en haut chez Cronenberg. Et pourtant ça se bouscule au portillon entre Videodrome, Crash et Dead Zone...
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Demi-Lune
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Re: eXistenZ (David Cronenberg, 1999)

Message par Demi-Lune »

Federico a écrit :Je suis d'accord sur le fait que Cronenberg se répète mais c'est le cas de la plupart des cinéastes ayant un univers très personnel qui les démarque du commun. Sans doute suis-je très bon client ou très naïf mais cette mise en abyme scénaristique m'a fasciné. J'ai marché à fond et je le revois toujours avec un grand plaisir au point de n'être pas loin de le mettre tout en haut chez Cronenberg. Et pourtant ça se bouscule au portillon entre Videodrome, Crash et Dead Zone...
Bien sûr, les grands cinéastes se répètent forcément... mais avec eXistenZ, c'est la première fois que j'ai senti que Cronenberg ne se répétait pas tant qu'il radotait un peu. J'ai prévu de revoir Vidéodrome, mais il me semble bien qu'une large partie du propos d'eXistenZ était contenu dans le chef-d'oeuvre de 1982. Dans chacun de ses films, Cronenberg traite des mêmes thématiques, tissant ainsi une toile d'araignée aux multiples interconnexions, mais il ne le fait jamais de la même façon, jamais sous le même angle. C'est ce qui fait que sa filmographie est aussi riche en diversité et malgré tout parfaitement cohérente. Sur ce film, je ressens un certain flottement, plein d'idées neuves et admirables venant se greffer aux acquis cronenbergiens, mais sans que cela soit totalement percutant. C'est assez dur à exprimer, en fait. Mais je le répète, j'aime vraiment eXistenZ malgré tout. Surtout pour son côté ludique et la puissance incroyable de certaines images concoctées par le Canadien fou. :wink:

Quant à Dead Zone, très bon aussi, mais c'est l'un des Cronenberg qui me laissent le plus frustré... car même si le sujet est cronenbergien, j'ai toujours cette impression que Cronenberg est bridé par le support de Stephen King, qu'il n'ose pas complètement greffer ses propres idées comme il le fera avec Le Festin nu. Il faut dire que l'enjeu du film était pour lui de taille, puisque c'est son premier film américain, devant lui permettre de rebondir après l'échec de Vidéodrome ; d'où peut-être cette position légèrement en retrait. Position qui donne d'ailleurs peut-être cette tonalité si mélancolique au film... Cela dit, cela reste une bien belle réussite, et peut-être le plus beau rôle de Christopher Walken avec Voyage au bout de l'enfer.
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Re: eXistenZ (David Cronenberg - 1999)

Message par Bogus »

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La confusion et le malaise règnent du début à la fin, quand commence le jeu (a-t-il déjà commencé?) et quand s'arrête-t-il? quel en est le but? On ne sait pas clairement dans quel espace-temps se déroule l'histoire... et en même temps le récit demeure constamment ludique et très efficace.
Le tour de force d' eXistenZ (titre ô combien intrigant) c'est qu'il repose finalement sur peu de chose, Cronenberg nous menant par le bout du nez avec en définitive 2 acteurs et quelques décors ordinaires, l'inquiétante musique d'Howard Shore achevant de captiver le spectateur.
Les performances de Jude Law et Jennifer Jason Leigh (et ne pas oublier la courte mais géniale apparition de Willem Dafoe) sont à l'image du film, drôle, sensuel et étrange.
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Re: eXistenZ (David Cronenberg - 1999)

Message par cinéfile »

Un (très) grand film !
Il figure en bonne place dans mon bilan 2015 d'ailleurs.

Trop sous-estimé à mon goût, mais sûrement le meilleur Cronenberg de ces dernières années.

Mention spéciale pour la scène de reconstitution du flingue (géniale)
Outerlimits
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Re: eXistenZ (David Cronenberg - 1999)

Message par Outerlimits »

Avec "Naked lunch", mon Cronenberg préféré, mais je ne le trouve pas en bluray français. Est-il sorti chez nous ? :?:
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