Il n'existe en effet pas de dvd pour ce film. Alléché par ce topic et le traitement de John Allen consacré à ce cinéaste, j'ai profité de la rétrospective Von Stroheim du Musée d'Orsay pour le découvrir.Boubakar a écrit :Cinephage est demandé sur ce topic !!!
D'ailleurs, existe-t-il un dvd français de Greed ?
Le fait est que je n'ai pas été déçu. Pourtant, ça commençait bizarrement : une annonce expliquant que seul un unique groupe ayant le droit d'accompagner la projection du film, on nous le montrerait sans aucun accompagnement musical. Un film muet sans accompagnement, c'est un peu sec, surtout dans une salle pleine... Pourtant, ça a marché.
Au départ, le récit est emprunt d'une ironie distanciée, assez plaisante, mais l'image est dès le départ fort riche en détails. On pense assister à une chronique de moeurs, plutôt mordante, d'ailleurs. Puis, progressivement, au fur et à mesure que le récit se déploie, les personnages s'épaississent, l'intrigue se noue, et si le récit reste ponctué d'éléments amusants, on se laisse vite prendre par l'engrenage.
A ce titre, un personnage féminin (joué par Zasu Pitts), au jeu à la limite de la caricature, donne malgré (ou à cause de) cela au drame une force étonnante : car sa transformation radicalise le propos, passant d'une figure très vraisemblable à une figure archétypale, tantôt drole, tantôt effrayante, mais totalement repoussante. Ce changement visuel d'un jeu très naturel à quelque chose de plus abstrait (ici et là, des inserts symboliques viennent souligner le propos, mais aussi et surtout son coté allégorique) rend le basculement acceptable et crédible sur le plan fictionnel.
Bref, le film passe au fil du récit d'un discours très naturaliste à quelque chose de plus symbolique, plus abstrait ou conceptuel, de façon très fluide et sans jamais perdre son public. La comédie de moeurs se radicalise, pour aboutir à des séquences finales d'une cruauté et d'une aridité drolement marquantes.
J'avoue que, du coup, je serais curieux de voir le montage intégral, tant dans cette version "courte" (mais qui est celle qu'on a vu pendant des décennies et qui a fait entrer le film dans la légende) je trouve une fluidité de récit qui rend chaque étape du parcours nécessaire et logique en même temps. Je craindrais qu'à trop s'étendre, on bascule de ce récit de montée en puissance dans la noirceur à quelque chose de plus chaotique, plus chargé en péripéties et moins tenu par une ligne de force.
Au final, Greed est un film riche par ses personnages, par sa narration fluide et chargée de symboles qui ponctuent le récit sans l'alourdir, par la beauté de ses décors (quelques extérieurs très joliment exploités, des intérieurs qui marchent très bien), qui touche à la fois dans l'humour et dans l'horreur des turpitudes qu'il décrit. Un film très marquant au final, et sans doute un chef d'oeuvre.