La solitude du chanteur de fond, Chris Marker, 1974
J’ai vu hier soir ce documentaire d’une heure à la Cinémathèque. Les interprétations d’Yves Montand étaient assez lointaines dans ma mémoire, je n’avais que de vagues souvenirs de passages anciens à la télé et l’acteur m’était beaucoup plus familier. Je savais juste qu’il avait été considéré comme un très grand professionnel de la chanson.
Chris Marker était un ancien ami de Simone Signoret, depuis l’âge du lycée, et il avait été très proche du couple Montand – Signoret. Yves Montand est d’ailleurs en voix-off dans Le Joli Mai (1962) et il intervenait, ainsi que Simone Signoret, dans le Fond de l’air est rouge (1977).
Ce documentaire extrêmement dynamique suit Yves Montand durant la préparation d’un concert donné en février 1974 à l’Olympia pour les réfugiés chiliens en France. Les séquences font alterner séances de préparation chez le chanteur avec son pianiste, Bob Castella, puis séances de répétition à l’Olympia avec l’orchestre, avec des extraits du concert lui-même.
Dans le travail de préparation, il y a une urgence, une sorte de défi à relever qu’Yves Montand se lance à lui-même que je n’ai pas compris de prime abord, je mettais cela sur le compte du rythme de la réalisation ou du caractère de l’artiste. Je viens d’en comprendre la raison en effectuant quelques recherches sur le film. Yves Montand n’avait pas fait de scène depuis 1968, sa décision brutale de faire cette soirée ne lui laissait que douze jours pour se préparer. Le film a donc été tourné pendant les douze jours qui restaient à Montand pour mettre au point tout un nouveau spectacle…on comprend mieux ainsi le titre et l’allusion à une course de fond.
Le résultat est vraiment impressionnant. Yves Montand avait débuté dans le spectacle comme chauffeur de salle, à 17 ans, dans un cabaret de Marseille, avant de prendre son essor durant la guerre avec l’aide d’Edith Piaf. En 1974, il avait donc presque quarante ans de carrière et Chris Marker sait parfaitement faire ressortir d’une part le très grand professionnalisme de la bête de scène, d’autre part l’immense talent et la grande poésie de l’artiste.
Par la mise en scène de ses prestations, sa maîtrise des partitions, sa gestion des éclairages, Yves Montand fait tout reposer sur ses épaules tout en sachant parfaitement gérer le caractère de ses musiciens. Son travail sur une partition avec le pianiste Bob Castella est à la fois brillant, un peu terrifiant (ça gueule !) et très touchant par la complicité entre les deux hommes.
Pour ce qui est du talent de l’artiste, Chris Marker met bien en valeur la poésie de la gestuelle de Montand, la sensualité qui guide le jeu de ses mains. Mais ce qui m’a le plus soufflé, c’est un dialogue entre Montand et l’un des musiciens, un guitariste, je crois.
Montand veut donner un ton jazzy à une chanson classique, ce musicien n’y arrive pas, et dans un dialogue avec lui, Montand lui fait avouer qu’il a peur, que ce n’est pas son style habituel et qu’il n’aura pas le temps de travailler assez pour être bon le soir du spectacle.
Montand lui répond qu’il n’est pas Ella Fitzgerald, que c’est peut-être un peu prétentieux pour lui de vouloir jouer à ça avec cette chanson, mais que le texte est moyen et que c’est le truc qu’il a trouvé pour lui donner de la valeur. Il explique qu’au final tout reposera sur lui, qui est au devant de la scène. Soit il y aura de la grâce dans la salle et tout le monde jouera parfaitement, soit il ne sera pas bon et c’est lui qui ne sera pas bon. Là-dessus, on coupe sur le soir du spectacle, et, rassurez-vous, c’est excellent.
Sinon, ce sont quand même Chris Marker et Yves Montand, alors, même en douze jours de boulot, on trouve le temps de parler politique. J’ai bien aimé d’Yves Montand : "qu’est-ce qui est le mieux entre défendre une bonne cause en étant de mauvaise foi, ou défendre une mauvaise cause en étant de bonne foi ? ". Il donne aussi sa définition du féminisme…très italienne, dirons-nous

. Par contre, il n’y a pas de chats dans le film, à moins que le chat ne soit le héros du film.
Un excellent moment, en tout cas, et un documentaire qui donne toute sa taille à l’immense artiste qu’a été Yves Montand. C’est plus rafraîchissant que les histoires d’ADN. J’ai aussi noté que le documentaire existait en DVD, en bonus de "Montand International".