Braindead
En matière d’horreur, ne pas confondre vitesse et précipitation et savoir gérer ses effets est une condition de survie. Jackson prend donc le temps d’annoncer le programme : un virus inoculé par un redoutable singe-rat va transformer les habitants d’une bourgade entière en bidoche sanguinolente. Cible première idéale : la marâtre castratrice devenue monstre morfale puis baudruche grotesque, prête à avaler son rejeton après le "grand nettoyage". Avec la frénésie et l’inventivité orgiaques du Sam Raimi d’
Evil Dead, le cinéaste s’en donne donc à cœur joie et orchestre une gorissime farandole d’éviscérations drolatiques, de recompositions morphologiques et de mutilations dégueulasses, un jeu de massacre en forme de crescendo désopilant, dont le délire et la démesure burlesques forcent le respect.
4/6
Créatures célestes
Fait divers. Dans les années 50, en Nouvelle-Zélande, deux adolescentes qui rien ne devait rapprocher (l’une est brillante et jolie, l’autre boulotte et falote) s’éprennent l’une de l’autre. Jackson en tire une œuvre à l’étrangeté insidieuse, qui fait évoluer l’amitié obsessionnelle puis criminelle des héroïnes dans un climat fantasmatique à l’onirisme féérique. Si elle s’en prend aux mœurs conservatrices d’une société pudibonde, la chronique sociale s’efface devant le portrait psychologique, mais le cinéaste a la main lourde et finit par noyer le drame sous les excès outranciers de sa mise en scène – grands angulaires, panoramiques effrénés, zooms à gogos, ralentis… L’imaginaire est trop enjolivé, l’horreur trop hystérisée, et le film perd en mystère et en pouvoir de fascination.
3/6
Forgotten silver
Après avoir visionné par hasard des bobines abandonnées, le cinéaste cinéphile met à jour l’existence de Colin McKenzie, réalisateur avant-gardiste et visionnaire, oublié par l’histoire officielle. Petit à petit, il reconstitue une vie et une carrière extraordinaires, liées aux origines du septième art (émerveillement) mais marquées par une scoumoune embarrassante (là, on glisse imperceptiblement de l’exaltation au rire étouffé…). Évidemment tout est faux, et le plaisir que l’on prend à la mystification tient à son apparent premier degré. C’est une vraie fiction impertinente à la
Zelig, un canular d’autant plus drôle que chaque argument (parfaitement improbable) est exposé avec un grand sérieux, qui s’amuse à jouer de la manipulation artistique, du pouvoir des images et de la crédulité du spectateur.
5/6
Fantômes contre fantômes
Il y a les spectres d’opérette, gentils, bleuâtres, un peu éthérés, et un esprit maléfique pour de vrai, celui d’un serial killer, effrayant et pas amical du tout. Lorsqu’il se circonscrit aux délires de la farce fantastique mâtinée d’épouvante et de burlesque, le cinéaste fait des étincelles. La preuve avec ce défrisant patchwork de rigolade, de suspense et de démesure horrifique, mené à un train d’enfer avec une virtuosité assez étourdissante. On y passe d’un gag ravageur à une pure seringuée d’adrénaline en un clin d’œil, embarqué dans un train fantôme endiablé qui blackboule de la comédie de mœurs au thriller, en passant par le détournement de religiosité. Et si la fantaisie fonctionne si bien, c’est parce qu’elle est rigoureuse dans le délire : le réalisateur a le sens du tempo et du dosage d’effets.
5/6
Le seigneur des anneaux : La communauté de l’anneau
J’y suis allé fébrile, en me demandant comment un cinéaste pouvait loyalement se montrer à la hauteur de la mythologie inadaptable de Tolkien, et j’en suis sorti comblé de bonheur et d’émerveillement. Jackson et son équipe ont su trouver l’adéquation parfaite entre fidélité au matériau d’origine et efficience narrative, apport personnel et souscription à l’imaginaire collectif : charme champêtre de Cul-de-Sac, chevauchées ténébreuses des Nazguls, splendeur spectrale de la Moria… tout regorge d’héroïsme et de fantaisie, de bruit et de fureur, tout vibre et s’incarne avec un lyrisme galvanisant. Les personnages, les récits, les enjeux éminemment complexes du roman y sont développés en témoignant d’autant de respect que de limpidité, le long d’un spectacle grandiose porté par un souffle épique. Le rêve impossible est exaucé.
6/6
Top 10 Année 2001
Le seigneur des anneaux : Les deux tours
Si ma réception est un chouïa moins enthousiaste, c’est simplement parce que l’euphorie originelle, le choc ébloui de la découverte, se sont (juste un peu) émoussés. Mais je reste toujours aussi soufflé par la réussite du projet. Le cinéaste ose une structure symphonique plus élaborée, entremêle les récits et les aventures, élargit encore l’ampleur de la fresque en ouvrant sur des tableaux dantesques, merveilleux, à la fois plus âpres et plus poétiques. Dans un langage visuel très pur, dont l’emphase, les excès enluminés et les accès pompiers sont aussitôt digérées par la dynamique harmonieuse de l’ensemble, il approfondit à merveille les destinées collectives et individuelles, morales et spirituelles, qui forment le substrat mythologique de la légende. Une authentique chanson de geste moderne.
5/6
Le seigneur des anneaux : Le retour du roi
Sans surprise, la conclusion est à la hauteur des volets qui la précèdent ; c’est même une sacrée apothéose, élevant le grand spectacle à des hauteurs vertigineuses dont la concurrence ne s’est pas tout à fait remise depuis près de quinze ans. Dense et foisonnante, l’épopée rassemble ses enjeux initiatiques en un chapelet de scènes somptueuses : l’allumage des feux du Gondor, la chevauchée des Rohirrims ne sont que quelques merveilleux sommets d’une œuvre qui trouve la symbiose parfaite entre intime et démesure, et achève en beauté ce qui restera (de très loin) la plus éblouissante saga
fantasy offertes par le cinéma contemporain. À la fin, lorsque les quatre héros mesurent en silence le chemin parcouru, dans la chaleur retrouvée de leur village, une émotion intense et nostalgique recouvre le film. Chapeau bas.
5/6
Top 10 Année 2001
King Kong
La sincérité du cinéaste ne fait aucun doute, transpirant dans chaque image de cette lecture à peine modernisée du classique de Schoedsack et Cooper, qui en reprend amoureusement les motifs et les ingrédients en les dopant jusqu’à l’overdose. C’est bien le problème : Jackson est incapable de canaliser son enthousiasme, et ses ardeurs adolescentes font du spectacle foisonnant une sorte de gros machin boursouflé qui n’en finit pas de multiplier rallonges et inflations diverses, jusqu’à se faire presque écraser par ses effets bourrins, sa balourdise formelle (le tout-numérique assez moche), voire sa mièvrerie. Heureusement la sensibilité et les beaux yeux céruléens de Naomi Watts, le souffle de quelques séquences très réussies (j’aime beaucoup la première heure, pleine de promesses) sauvent les meubles.
3/6
Le Hobbit : Un voyage inattendu
Dix ans après le triomphe du
Seigneur des Anneaux, Jackson remonte six décennies en arrière dans la cosmogonie de la Terre du milieu, cherchant à gonfler le conte de Tolkien aux proportions de l’épopée. Il réinstalle ainsi le couvert et ressort du placard toute sa panoplie de narrateur éprouvé, tous ses tics un peu grossiers, en mode téléguidage permanent. Ce n’est donc pas ici qu’on trouvera l’once d’une surprise tant chaque péripétie, chaque développement narratif, chaque solution formelle relève de cet académisme paresseux qui est désormais le sien. Pourtant cela fonctionne plutôt bien car il a le sens de l’imaginaire et de l’aventure, et car le plaisir de retrouver cet univers, ces personnages, cette magie et ces créatures est suffisamment grand pour pallier aux défauts criants de l’ensemble.
4/6
Le Hobbit : La désolation de Smaug
Ça continue pareil, construit suivant le même patron, dans un format esthétique constitué de ces images virtuelles et de cette prose lourde qui commence à sentir sérieusement le réchauffé, malgré le déploiement d’un imaginaire syncrétique qui emprunte aussi bien aux frères Grimm qu’au cycle arthurien, aux légendes wagnériennes et aux mythes grecs. Assez informe, poussive, mal fichue tant dans sa narration que dans ses effets, l’aventure enchaîne des péripéties qui se suivent et se ressemblent dans une logique d’inflation fatiguant davantage qu’elle ne divertit, malgré quelques scènes réussies qui sauvent l’ensemble du désintérêt. Quant au roman, il est désormais bel et bien trahi : Legolas en grande tige jalouse, l’idylle entre Tauriel et le nain… L’écrivain doit se retourner dans sa tombe.
3/6
Le Hobbit : La bataille des cinq armées
Est-il besoin d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a déjà été dit ? La trilogie est si uniformément prévisible que les nuances d’opinion d’un épisode à l’autre relèvent désormais de l’état d’esprit au moment du visionnage. Dans les bons points, on relèvera donc un rythme plus soutenu que dans le second volet, une capacité presque miraculeuse à ne pas perdre l’attention du spectateur malgré un étiolement toujours plus prononcé de la matière narrative. Dans les mauvais points, le spectacle, sans n’assurer que le minimum syndical, n’en finit pas de régurgiter les mêmes automatismes industriels, la même emphase grossière, le même schématisme dramatique, jusqu’à une conclusion essoufflée qui confirme une fois pour toutes ce que l’on savait déjà : il était plus que temps d’arrêter les frais.
3/6
Mon top :
1.
Le seigneur des anneaux : La communauté de l’anneau (2001)
2.
Le seigneur des anneaux : Le retour du roi (2003)
3.
Le seigneur des anneaux : Les deux tours (2002)
4.
Fantômes contre fantômes (1996)
5.
Forgotten silver (1995)
Si je me laisse aller à mon regard le plus critique, je dirais que Jackson est un cinéaste franchement balourd, aux intentions et à la rhétorique régulièrement pachydermiques, mais dont l’enthousiasme fait souvent plaisir à voir. En écrivant ces quelques commentaires, je me rends compte cependant qu’il a réalisé quelques franches réussites – surtout, il est le réalisateur de la formidable adaptation du
Seigneur des Anneaux, et pour cela je lui dis bravo. Après, c’est très loin d’être un cinéaste que je citerais spontanément quand on me demande qui sont mes préférés…