SPOILERS
Encore une pépite qu’on n’attendait pas et qui fait rudement plaisir, surtout venant de cette partie du monde. Je suis très heureux de voir un film potentiellement grand public provenant de ces pays-là. Ce n’est pas un retournement de veste de ma part mais une heureuse constatation car c’est avec ce genre de film, à l’histoire prenante et universelle, que ces cinémas difficiles à monter et marginaux dans nos pays peuvent se démocratiser aux yeux du grand public. Cela change un peu des régulières œuvres cinéphiles (possiblement réussies mais certainement un peu élitistes aussi) qui peuvent décourager les curieux.
Je vais déjà retenir le nom d’Asghar Farhadi qui fait ici un travail remarquable, tant dans la mise en scène (intense et intimiste à la fois) que dans l’écriture. Je m’aperçois après quelques recherches que j’ai vu son précédent film
A PROPOS D’ELLY il y a deux ans. Or j’y ai pensé tout à l’heure pendant la projection sans savoir qu’il s’agissait du même auteur. Car on retrouve dans les deux films la capacité à construire un scénario qui marie vision sociale et réalisme du quotidien tout en racontant une histoire avec un angle qui la rend absolument passionnante et très cinématographique : UNE SEPARATION est un drame domestique qui prend des allures de thriller. La triste séparation du couple est ainsi balayée par un drame social qui est tourné de façon très prenante, il y a un vrai suspense et un réel malaise. On est surpris par le caractère spectaculaire de ces situations presque anodines densifiées par le regard de Farhadi.
La petite cerise sur le gâteau c’est que l’écriture reflète en même temps des caractéristiques sociales de l’Iran. UNE SEPARATION, en plus du divorce du couple principal, peut aussi être vue comme celle d’une société divisée entre riches et pauvres, ou entre religieux pratiquants et non pratiquants. Le film fait se rencontrer tous ces univers différents et opposés grâce à ses personnages. Mais comme dans A PROPOS D’ELLY le cadre est moderne et l’illustration plus nuancée, avec des personnages éloignés des clichés conservateurs ou rétrogrades. Le couple principal se révèle souvent tolérant, ouvert, sans pratiquer la religion (même si les femmes portent le tchador). L’aide-soignante et son mari se reposent, eux, beaucoup plus sur l’Islam. Ils sont pauvres, moins éduqués, et soumis au Coran. Le film montre une religion qui, pratiquée à la lettre, n’est pas en phase avec son temps, ou en contradiction avec l’innocence du geste. L’aide-soignante, par exemple, ne peut toucher un autre homme que son mari : or elle est obligée d’aider le vieillard ce qui lui cause des tourments intérieurs très difficiles à concilier. C’est par de simples exemples comme celui-ci que le film pose un regard assez juste sur les contradictions de traditions solidement ancrées. Et, englobant la question religieuse, on analyse également la place de la femme et ses libertés au sein de la société iranienne : celle-ci, quand le respect de la religion est trop assidu, devient immobilisée par les contraintes. Par exemple elle ne peut avouer à son mari qu’elle travaille chez un célibataire. La femme est encore soumise à l’accord du mari, dans quelque situation que ce soit.
La scène finale semble résumer la vision désabusée du cinéaste : le clivage traditionnel de la culture iranienne entre l’homme et la femme est encore très solide, même avec des personnages modernes, tolérants, ancrés dans leur époque. Car si l’épouse fait preuve de bonne volonté en proposant de revenir, le mari campe sur ses positions et « obtient séparation ». Le plus triste, évidemment, c’est qu’il y a une victime : l’enfant. Farhadi insiste régulièrement tout au long du film sur le regard de cette jeune fille et de l’importance de ce regard sur ses parents (le père est très préoccupé par le jugement que sa fille peut avoir de lui). Mais elle est une victime silencieuse qui voit son cocon familial exploser et à qui on impose un choix immoral pour un enfant, lorsque le juge lui demande avec qui elle voudra aller vivre. C’est un moment extrêmement triste qui montre avec force et cruauté le désastre d’un monde adulte enraciné dans des habitudes intouchables, incapable d’offrir une stabilité à ses enfants.