Hideo Gosha (1929 - 1992)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52282
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Hideo Gosha

Message par Boubakar »

Dans l'ombre du loup (1982)

A la suite de grave problèmes personnels, et suite à un accident de bus qui avait failli emporter sa fille unique, Gosha avait opté pour un virement dans sa carrière. Avec l'aide de la Toei il s'est lancé dans ce film-là, qui parait assez personnel (Gosha était ce qu'on appelle un "enfant de la honte"), et pour l'instant le plus réussi de cette "vague" geishas et yakusas.
C'est filmé avec une telle discrétion et une telle pudeur qu'on est emporté par cette histoire, au fond tragique, où la cruauté des hommes sur leurs geishas est terrible à voir, mais cela donne un film passionnant malgré tout.
Seuls subsistent une certaine lenteur, une réalisation un peu plate, et des passage musicaux qui ralentissent considérablement le récit.

Et Tatsuya Nakadai est encore une fois génial (décidément, un de mes acteurs japonais préférés), avec une sacrée présence, et Masako Natsume est aussi très émouvante (bien que des contraintes publicitaires l'empêchent de s'exprimer pleinement dans son rôle :? ), et on la regarde avec d'autant plus de tristesse qu'elle est décédée très jeune, d'une leucémie.
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52282
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Hideo Gosha

Message par Boubakar »

Y a que moi qui ai acheté les Gosha ? :lol:

Tokyo Bordello (1987)

Des 5 films parus dans cette "collection Geishas", celui-ci est le meilleur du lot (et le plus accessible).
C'est, au fond, une histoire d'amour, qui finit de la façon la plus mortelle qui soit
Spoiler (cliquez pour afficher)
l'incendie, accidentelle, de la maison close, est à ce titre impressionnant, et plus encore que le couple "fautif" continuait à faire l'amour dans les flammes
, tout en détruisant une industrie du plaisir.
Et puis, les acteurs sont très biens, comme Yuko Natori et Satoko Ninomiya, et ne semblent pas feindre la douleur tellement elles ont l'air habitées par leurs rôles. on a aussi droit à une scène lesbienne pas piquée des hannetons...
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hideo Gosha

Message par bruce randylan »

J'attends qu'ils soient à 9.99 euros. :mrgreen:

De tout façon, je suis pas pressé vu que j'ai pas finit de voir mes coffrets HKvideo :oops:
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99641
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Hideo Gosha

Message par Jeremy Fox »

Jericho
Cadreur
Messages : 4436
Inscription : 25 nov. 06, 10:14

Re: Hideo Gosha

Message par Jericho »

De bonnes initiatives !
Image
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hideo Gosha

Message par bruce randylan »

Chasseurs des ténèbres (1979)

Image

Un ronin amnésique est embauché comme garde du corps d'un chef de clan. Il est rapidement plongé au centre d'une guerre des gangs et de rivalité pour prendre le pouvoir en interne.

Un très bon chambara pour Gosha qui semble conscient que la décennie qui se clôture laissera définitivement la place à des réalisations plus criardes et tapageuses. Son film a quelques chose de crépusculaire dans son approche du classicisme studio qui atteint ici une certaine perfection : le sens du scope, les cadrages millimétrés, la photographie somptueuse, sa direction artistique remarquable, les décors soignés. Pour autant, la réalisation de Gosha ne se repose pas sur ses lauriers et fait preuve d'une belle variété avec notamment un découpage virtuose qui multiplie les angles de prises de vue lors de scènes de dialogues. L'idée n'est pas seulement d'éviter l'académisme mais aussi de témoigner visuellement des jeux et des tensions autour des rapports de force et d'intimidation entre les nombreux protagonistes.
Et Gosha a déjà un pied tourné vers le "futur" avec déjà un certain nombres de références aux comic books comme ces grands tissus aux motifs imprimés représentant des visages de démons. Mais toujours avec une certaine retenue et une sobriété apparente.
Si le film fonctionne, c'est bien par le travail de mise en scène de Gosha qui ne manque d'idées pour créer de la tension et dynamiser formellement des scènes qui sont un peu brouillon il faut avouer. Le scénario est en effet pour le mois nébuleux, se contentant de recycler des formules et des schémas déjà mis en boîtes dans de précédentes œuvres (y compris par Gosha). Comme les acteurs sont sacrément charismatiques et que les personnages sont suffisamment développés, l'émotion parvient à s'installer durant le dernier tiers, ce qui permet d'échapper à un virage mélodramatique pour aller dans le pur romantisme tragique (ah ce travelling arrière dans un couloir totalement obscur laissant les amants agoniser dans une pièce se rétrécissant :) ).
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
Beule
Réalisateur de seconde équipe
Messages : 5742
Inscription : 12 avr. 03, 22:11

Re: Hideo Gosha

Message par Beule »

Le sang du damné (Gohiki no shinshi, 1966)
Image
Un jeune cadre manipulateur sur le point de toucher son Graal voit ses rêves de réussite sociale se briser du jour au lendemain. Responsable d'un accident de la route ayant entraîné la mort d'un père de famille et de sa fille, il est emprisonné deux ans. Sans espoir de rebond aucun alors que se profile sa libération, il accepte un contrat aussi juteux qu'opaque que lui propose son compagnon de cellule.

Le seul film de Gosha à ne pas relever directement du jidai-geki durant les années 60 est un polar écrit à l'encre de jais. L'hommage au film noir américain, dont il reprend toute ou partie des canons esthétiques, est évident. Sa peinture des bas-fonds (cabarets pouilleux, docks, station d'épuration, casse de ferrailleurs) mine un sens aigü du naturalisme de cette même opacité sourde et déformante qui contaminait Night and the city. Le postulat de l'intrigue offre aussi, un temps, des réminiscences certaines de The killers (le hitman questionnant le sens de son contrat), Gosha et sa coscénariste Yasuko Ôno introduisant même dans la galerie des pourchassés, un personnage d'ancien boxeur prometteur (Ichirô Nakatani), dont la main a été brisée parce qu'il n'avait pas accepté de se «coucher».

Pour autant Le sang du damné n'a rien d'un simple décalque. Dans la concision signifiante de deux séquences pré et post accident, Gosha synthétise admirablement les lignes de force de la dénonciation entreprise par Kurosawa tout au long des Salauds dorment en paix pour cristalliser la spéciosité des valeurs japonaises emblématiques. Fidélité à la famille, au clan, , sens du devoir affiché... ne forment plus qu'un paravent de respectabilité ambivalente et hypocrite, corrompue par la cupidité d'une société s'adonnant au capitalisme le plus sauvage.

Puni par le ciel pour sans arrivisme forcené, Oira semble avoir versé dans un nihilisme sans retour comme en témoigne l'acceptance résignée d'un contrat qui doit l'amener à «effacer» trois inconnus. Mais même les âmes en apparence les plus noires ou désillusionnées peuvent laisser transparaître une flammèche de compassion. En témoigne cette touchante scène qui voit une entraîneuse - froide intermédiaire du contrat - renverser une poubelle pour permettre à un chien famélique de se repaître de son contenu. C'est le ravivement progressif de cette propension à la compassion que magnifie le travail de Gosha, relayé par la composition toute en nuances de Nakadai, qui sait donner corps, par soubresauts, à l'assemblage du puzzle d'une humanité disséminée bien avant son incarcération.

Cette renaissance n'a rien de rectiligne. Dans un premier temps, incapable de passer à l'acte, Oira épanche les cœurs de ces cibles désignées sans doute davantage par appât du gain que par compassion véritable. Mais, simple auditeur, il en vient – et le spectateur de concert - à prendre le pouls du ressentiment de ces trois laissés-pour-compte de la société, agglutinés dans un plan symbolique contre un infranchissable grillage et détaillant envieusement, d'en bas, cette caste aisée et oisive qui semble les toiser sur les hauteurs de la ville. Insidieux, l'infléchissement compassionnel n'en est pas moins perceptible, et la mise en scène de Gosha, comme souvent, témoigne d'un effarent pouvoir de captation des liens intimes, intangibles, que peuvent tisser entre eux les personnages. Ainsi, à l'évidence, et en dépit de ses motivations de façade, ceux que Oira noue réellement avec les trois malfrats, aussi subits soient-ils, sont plus authentiques qu'aucune relation de son passé contrefait.

Toutefois, il ne saurait être question de véritable rédemption dans la mesure où, de proche en proche, Nakadai échoue à sauver la mise aux malfrats qu'il contacte, abattus par deux tueurs de la bande qu'ils avaient spoliée deux ans plus tôt, et ne parvient donc pas à se laver de son péché originel. Ce processus de rédemption ne serait donc pas complet sans la rencontre de l' orpheline Tomoe, incarnée par la petite Yukari Uehara, qui littéralement crève l'écran – je suis à ce titre admiratif du talent du cinéaste à diriger d'aussi jeunes enfants avec un tel brio, comme en attesteront encore plus tard Dans l'ombre du loup ou Kai. Bien que réellement touché par sa détresse, Oida ne la considère pas moins, dans un premier temps, comme un fardeau moral de plus (elle est la fille de sa première «cible») qu'il tente d'occulter. L'obstination, l'attachement spontané, viscéral, que lui témoignera la gamine seront le vecteur de son humanité recouvrée. C'est peu dire que leur relation offre au récit des moments d'une grâce infinie, à l'image de cette séquence où Tomoe, furieuse que Kunie Tanaka s'en prenne à son «protecteur», le frappe de sa chaussure, sous l'œil abasourdi d'un Nakadai qui n'aurait jamais imaginé pouvoir susciter un amour entier. Pivot du film, elle offre les prémices d'une responsabilité et d'un lien filial redécouverts, que la mise en scène n'aura de cesse de renforcer par petites touches successives, presque impressionnistes. Jusqu'au final amer et beau, d'une tonalité sacrificielle qui n'est pas sans évoquer Moonfleet.


Tokyo Bordello (Yoshiwara enjô, 1987)
Image
À la fin de l'ère Meiji, une jeune femme issue d'une riche famille ruinée est vendue au plus luxueux établissement de Yoshiwara qui vit alors ses derniers «feux». Passant de la révolte à l'intégration, elle gravira progressivement les échelons d'une hiérachie quasi féodale pour devenir l'utime grande geisha de ce quartier des plaisirs historique de Tokyo.

La première séquence post générique de Yoshiwara enjô est tétanisante. Elle s'ouvre sur une miséreuse prostituée syphilitique poursuivie par une bande de gamins dans la Grand Rue de Yoshiwara, bientôt rattrapée, agressée et humiliée. Un léger changement d'axe nous révèle un point de vue ; celui de la fenêtre, ouverte sur la rue, du cabinet d'un médecin indifférent à tout, qui vient tanser le groupe pour avoir perturbé sa quiétude avant de s'en retourner procéder à l'examen gynécologique d'une jeune fille (Yûko Natori) comme il en irait pour une simple pièce de bétail. Tout cela sous l' œil très satisfait d'un proxénète (Mikio Narita :« le docteur doit bien examiner l'outil qui te servira tous les jours ») qui ne se trouble pas davantage quand il apprend que Hisano n'est plus vierge. Cette information n'est pas de nature à contrarier la juteuse transaction qu'il s'apprête à réaliser. Paradoxalement, par ce qu'elle induit d'assentiment normé, institutionnalisé, la scène surpasse encore, dans sa froide abjection, celle de Yôkirô où, sous le regard concupiscent des yakuzas – marginaux - le zegen Ken Ogata se livrait lui-même à la sonde vaginale d'une épouse vendue par son mari.

Ce qui suit au cours d'un premier acte initiatique confinant peu ou prou la jeune Hisano au rôle d'observatrice attentive des us et coutumes de la prestigieuse maison de geishas dans laquelle elle a été placée, est du même tonneau. Distante et secrète, la mise en scène de Gosha met à plat les arcanes d'un monde en vase clos, aux connotations pénitentiaires et d'apparence figé dans une intemporalité inexpugnable. Çà et là, elle sait aussi traquer ces petits détails discrets mais suffisamment signifiants pour mettre à nu le travestissement d'un monde en trompe-l'œil, en apparence passéiste, en apparence régi selon un système de castes pyramidal au sommet duquel règneraient les Grandes Geishas, mais en vérité uniquement inféodé au mercantilisme le plus débridée. Un gardien du temple des plaisirs peut bien se livrer à un rituel de bénédiction séculaire, la prière des geishas, cadrées dans un somptueux tableau en plongée, en appelle uniformément à la prodigalité du client. Chaque matin, la déférence dont fait preuve le directeur très en retrait de l'établissement n'est qu'une pose, que sous-tend l'implacable logique du tiroir-caisse et du retour sur investissement.

En fonction de leur capacité de résilience, les pensionnaires s'extirpent de ces vitrines qui les offrent à la concupiscence du chaland pour toucher du doigt une respectabilité de façade ou a contrario glissent vers la prostitution la plus triviale ; celle des maisons closes périphériques auxquelles elles sont revendues. Symptomatiquement, la généreuse et révoltée Kiku (Rino Katase) se complait dans la dénonciation frontale d'une exploitation de bétail, quand la grande geisha Kokonoé (Sayoko Ninomiya), non moins lucide, recourt à la parabole poétique pour décoder le mode de fonctionnement de Yoshiwara, témoignant par là même d'une adéquation plus symbiotique à son environnement : « Il y a 48 espèces de cerisiers à Yoshiwara. Certains fleurissent vite, d'autres moins vite (...) La vie des cerisiers ne dure que le temps de leur floraison. Les cerisiers sans fleurs n'ont pas leur place ici».

Malheureusement, cet exposé est si riche et foudroyant qu'il dilapide rapidement sa substance. Privé des ressorts mélodramatiques à l'œuvre sur Yôkirô ou Kai, Gosha peine à entretenir l'intérêt de son étude de milieu. Sa mise en scène résolument classique n'est que trop rarement perturbée par ces soubresauts spasmodiques qui sont comme une signature personnelle. Ils sont ici comme déportés dans un processus discursif, dévolus aux personnages périphériques, telle la séquence de l'effondrement et du suicide public de la Grande Geisha Yoshizato, qui, aussi admirable et révoltante qu'elle soit, n'offre que peu de prise à un véritable rebond narratif.

Sous ses dehors de superproduction opulente, Yoshiwara enjô s'avère en fait une production indépendante, au budget-relativement- modeste. Si au premier abord, décors outdoor et costumes flattent l'œil, la minutieuse reconstitution trahit assez rapidement ses limites en terme de variété. La Grand Rue, les abords du canal sombre au pied d'un bordel miteux exploités in situ pour quelques séquences parmi les plus glauques (l'avortement de Hisano), la porte d'accès au quartier, et, bien entendu, le vaste décor intérieur du palais des plaisirs, sont à peu de chose près les seuls lieux investis par l'action. Peut-être à l'étroit dans ces décors contingentés, Gosha semble parfois abdiquer et s'en remettre au flair visuel éprouvé de don fidèle collaborateur Fujio Morita. Mais l'itération d'axes de caméra et de valeurs de plan immuables pour saisir la saisonnalité des défilés processionnaires et rituels du quartier n'est guère convaincante. Au ressenti d'enlisement narratif s'ajoute bientôt celui d'une redite visuelle. Une fois n'est pas coutume, l'académisme guette.

Restent quelques détails bienvenus pour donner un peu de relief contestataire à cette étude figée sans doute à dessein. Ce violoniste ambulant, notamment, qui sautille allègrement au sein des badauds en entonnant de douloureuses et lucides complaintes sur les turpitudes de la vie des geishas dont personne ne semble relever l'acuité.
Reste surtout la magistrale séquence finale de l'incendie. Là, Gosha et Morita retrouvent tout leur peps pour déchaîner un brasier d'une splendeur plastique et d'une intensité organique hors du commun. Un enfer palpable, suffocant et paradoxalement salvateur.
Dernière modification par Beule le 12 févr. 19, 09:27, modifié 1 fois.
Image
Avatar de l’utilisateur
Jack Griffin
Goinfrard
Messages : 12389
Inscription : 17 févr. 05, 19:45

Re: Hideo Gosha (1929 - 1992)

Message par Jack Griffin »

Content de te relire Beule.
Avatar de l’utilisateur
Beule
Réalisateur de seconde équipe
Messages : 5742
Inscription : 12 avr. 03, 22:11

Re: Hideo Gosha (1929 - 1992)

Message par Beule »

Kita no hotaru (titre us : Fireflies in the north soit Lucioles du nord, 1984)
Image
Hiver 1883. Un directeur de prison despotique fait face à une insurrection fomentée avec l'aide de celle dont il s'est épris.

Le premier mérite de cette superproduction pénitentiaire est d'éclairer un pan méconnu de l'histoire du Japon : la déportation massive, au début des années 1880, de prisonniers – pour beaucoup des détenus politiques - vers l'île d'Hokkaido annexée une dizaine d'années plus tôt. La colonisation de cette région inhospitalière constituait un enjeu vital pour le gouvernement Meiji. À terme, l'île devait devenir le grenier agricole d'un Japon engagé dans une industrialisation à marche forcée. Mais les conditions climatiques extrêmes qui sévissent sur la partie septentrionale de l'archipel nippon entravaient la progression de sa colonisation. Les prisonniers déportés constituèrent une main d'œuvre sacrifiable, allouée à l'édification du réseau routier indispensable à la matérialisation de ce projet d'envergure. Pour faire simple, c'est un peu la préfiguration du modèle de goulag soviétique en terre de soleil levant que nous dévoilent Gosha et son scénariste d'élection de l'époque Kôji Takada, alors même que le Japon, s'il a restauré le pouvoir de l'Empereur, n'a pas encore versé dans le totalitarisme.

Ce panorama politico-historique documenté ne constitue toutefois qu'un socle fertile offert à l'épanouissement endogène de la corruption des valeurs humaines. La radiographie de l'enfer carcéral élaboré de toute pièce par un fonctionnaire plus que zêlé, Kiyoshi Tsukigara, premier directeur avéré de la prison de Kabato, semble en effet assembler fil-à-fil les mailles d'un portrait de monstre déshumanisé, se comportant en véritable potentat local. Tsukigara ne serait qu'un affairiste corrompu jusqu'à la moelle, qui s'arroge le droit de vie ou de mort, tant sur ses prisonniers que sur ses subalternes à l'occasion fautifs, et dont le joug tutélaire s'affirme aussi sur les populations périphériques au noyau pénitentiaire ; sur les femmes de détenus en particulier, dont la détresse humaine est exploitée sans vergogne par une mère maquerelle qui est sa maîtresse (Mari Natsuki) et sa protégée. Oui mais...
Image
C'est oublier l'éloquence du plan d'intronisation de Nakadai à l'écran pour exprimer son allégeance au tout-puissant dieu éclairé du Japon. Occupé à diriger un exercice militaire, il y est affublé de cette perruque rouge hirsute qui est la coiffe distinctive de la Garde Impériale, laquelle mata notamment les dernières oppositions claniques lors de la rébellion de Satsuma en 1877 – les samouraïs vaincus formant d'ailleurs le gros du contingent des prisonniers politiques. La narration savamment éclatée dans toute la première partie juxtapose et entrechoque les séquences plus qu'elle ne cherche à les lier, pour ainsi diffuser une somme subreptice de détails, troublants par leur perceptible antinomie, qui mettent constamment en accusation ce que l'on prenait pour acquis de ce démiurge mégalomane présumé. Elle tempère le dossier à charge en opacifiant le portrait de la bête ou, à tout le moins, permet d'éclairer la dichotomie profonde du personnage à l'aune de son imprégnation par le chaos ambiant né de la collusion des valeurs pyramidales séculaires et d'une forme de cynisme libéral importé de l'occident. Au bout du compte, elle en vient à restaurer l'image consumée d'une nature originelle infiniment plus polie, celle d'un samouraï de basse extraction mû par une certaine conscience progressiste, étouffée depuis sous les assauts conjugués d'un ego surdimentionné et de son enivrement du pouvoir. Celle d'un homme de bonne volonté qui s'est dévoyé jusqu'à s'ériger en caricature de ce contre quoi il s'était initialement insurgé : un chef de clan omnipotent à la manière d'antan, dénué de toute conscience humaniste.

L'une des belles trouvailles d'écriture est d'associer la prise de conscience de son dévoiement par le « héros » à la cécité dont il est bientôt affligé (à la suite d'un attentat qui offre à Gosha l'occasion de démontrer que son primat dans l'art du chanbara graphique reste incontesté). C'est lorsque son infirmité le prive de la jouissance visuelle du panorama exhaustif de son pouvoir que Tsukigara, dans un repli sur soi, « ouvre les yeux » sur son fourvoiement et peut mesurer son échec accablant. Et le tyran anéanti de perméabiliser enfin ses sentiments en un admirable plan métaphorique qui grave à la dérobée dans le reflet d'un miroir, l'union consentie - et non plus coercitive – de deux amants.
Image
Yu (Shima Iwashita) est cette amante. Et la plénitude apaisée du tableau se trouble du voile de l'hypothétique spéciosité. Car elle est dans les faits l'épouse loyale de l'influent détenu Ojika (Shigeru Tsuyuguchi), farouche opposant à l'occidentalisation qui entend l'utiliser comme bras armé de sa vengeance et discréditer le gouvernement oligarchique en faisant évader les 1300 prisonniers de Kabato. Qu'importe. Pour Tsukigara cet amour révélé sera le moteur de sa rédemption morale.

Cette rédemption est probablement la plus spectaculaire de toute l'œuvre de Gosha. Elle s'accomplit en creux de la grande aventure offerte par l'insurrection puis la traque des hommes d'Ojika, en parallèle d'un itinéraire physique tourmenté à travers le grand nord nippon dont Goshe et son chef opérateur Fujio Morita captent à merveille la nature indomptée en une succession de saisissants tableaux alternant entre désolation et souveraine splendeur plastique. Mais, à la différence des grands westerns de Mann dont il épouse les préceptes, en un tracé que le destin inscrira à rebours pour qu'enfin Tsukigara boucle la boucle en purgeant l'enfer carcéral dont il fut l'architecte.
Image
Il est regrettable que la profusion de sous-intrigues périphériques, avec leur lot de personnages insuffisamment ou – c'est selon – trop caractérisés, rende parfois la narration plutôt nébuleuse dans toute la première partie. Malheureusement, cette prodigalité feuilletonesque est un peu le péché mignon de Gosha depuis Kumokiri Nizaemon et Chasseurs des ténèbres. Il est dommage aussi que dans une recherche effrénée du divertissement, le cinéaste use et abuse complaisamment des recettes qui ont contribué à son succès. Ainsi aurait-il pu faire l'économie de ces catfights, ici démultipliés jusqu'à plus soif, qui même resserrés, ne sont pas sans engendrer une certaine lassitude. D'autant que l'effet recherché ne fut cette fois pas atteint. Cette superproduction hybride fut en son temps un échec commercial sans appel.

Mais en dépit de ces indiscutables scories, elle mérite amplement d'être sortie de l'anonymat dans lequel elle est restée tenue depuis. Quant à sa conclusion en forme de célébration presque incongrue d'un appétit épicurien recouvré, elle se hisse sans mal dans mon panthéon personnel des plus belles fins de l'œuvre de Gosha, aux côtés de Goyokin ou Dans l'ombre du loup.
Image
Avatar de l’utilisateur
Duane Jones
Doublure lumière
Messages : 653
Inscription : 5 nov. 21, 13:43
Localisation : Pittsburgh
Contact :

Re: Hideo Gosha (1929 - 1992)

Message par Duane Jones »

Découverte hier de Bandit contre samouraïs à la durée excessive de 2 h 43. Mélange de films de casse et de chanbara. Une première heure bien confuse où j'avais dû mal à discerner les enjeux, ça restait tout à fait regardable grâce de formidables scènes d'action et de bien belles japonaises dénudées. Par la suite les enjeux deviennent plus clairs et le film gagne en émotion. La réalisation et la lumière sont toujours largement au-dessus du lot même si on est pas dans Goyokin. Tatsuya Nakadaï fait les gros yeux et utilise merveilleusement sa voix. Shima Iwashita est sublime. A noter la présence de Joe Shishido dans un petit rôle. Pas un grand film mais un bon divertissement sans temps mort.
Répondre