Lola (Jacques Demy - 1961)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Anorya
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Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Anorya »

Je vais aussi le recopier en topic Demy... :o


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Nantes, 1960. Lola, chanteuse de cabaret, élève un garçon dont le père, Michel, est parti depuis sept ans. Elle l'attend, elle chante, danse et aime éventuellement les marins qui passent. Roland Cassard, ami d'enfance retrouvé par hasard, devient très amoureux d'elle. Mais elle attend Michel...

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Lola s'ouvre sur l'image d'une cadillac se rangeant près d'une plage tandis que s'inscrit le titre et sa dédicace à Max Ophüls. Dès le début, Jacques Demy fait coïncider une image de l'Amérique, du voyage et du retour à l'élégance d'un maître du cinéma, ce qui annonce en partie non seulement le film mais aussi la carrière de Demy. En somme, toute l'oeuvre du cinéaste semble presqu'ici contenue en germe et ne demandant qu'à éclore. La référence à Ophüls est ici loin d'être vaine puisqu'en plus d'être une admiration commune au sein des amis critiques et cinéastes des Cahiers du Cinéma (Jacques Demy étant ami avec Godard, ce dernier lui présente son producteur Georges de Beauregard qui financera ce premier film (*)), elle se retrouve à la fois citée dans certains plans du film (des résurgences du Plaisir semblent revenir ça et là), mais c'est la mise en scène de Demy qui épate et renvoie discrètement à celle d'Ophüls. Sans jamais trop le montrer, elle fait pourtant montre d'un savoir faire à la fois subtil et épatant, toujours élégante donc. Aérienne presque, à l'image du film, mi-amusé, rêveur, amer et pourtant toujours tendre. Ce qu'on retrouve aussi dans la bande originale alternant entre la gravité et le sacré de Beethoven et Bach et la musique jazzy de Michel Legrand. Un Legrand qui continuera sa collaboration avec Demy sur toute sa filmographie quasiment (Une chambre en ville, c'est Michel Colombier et Le joueur de flûte, Donovan).


C'est un film de gens qui se croisent en retours cycliques le temps de quelques jours et surtout de beaux portraits de femmes à des âges et temps différents. Lola qui veut plaire mais sans jamais blesser a été inspirée des souvenirs du cinéaste alors enfant à Nantes.

"Je me souviens que celle qui était Lola et qui était une petite fille de dix ans qui habitait le même immeuble que moi prenait de l'argent dans le sac de sa mère pour m'emmener à la foire. J'avais neuf ans et après la classe on partait à la foire tous les deux. Ce sont des souvenirs impérissables. Et ça me plaisait beaucoup de faire quelque chose sur la fidélité à un souvenir, et d'y mêler ces souvenirs de Nantes, de l'époque où j'étais au collège et où je séchais les cours pour aller au cinéma... Le moment où l'on cherche sa vie, sa raison d'être. Et le film est fait d'un mélange, ainsi... (...)"

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Portraits de femmes et retours cycliques puisqu'à travers Lola, la jeune Cécile et sa mère se dessinnent des liens et thèmes voulus par un Demy qui multiplie les échos dans son propre film. Le vrai prénom de Lola est donc Cécile tout comme la jeune fille du film. Jeune héroïne qui veut devenir danseuse (le métier qu'exerce Lola), ce que lui interdit sa mère... qui l'a probablement été (une photo en portrait que regarde hâtivement Roland. Enfin Roland était tombé amoureux de Lola quand, plus jeune, il était déguisé à une fête foraine en marin... Ici la jeune Cécile devient amie avec un marin américain de passage, va avec lui à la fête foraine, fait de l'auto-tamponeuse, du manège... A cette séquence qui semble immortalisée à jamais par un Prélude n°1 en C mineur (BWV 846) du clavier bien tempéré de Bach, le temps semble ralentir, s'arrêter. Cécile sort avec le jeune Frankie du manège et quelque chose se passe alors, de magique. Quelque chose qui tient du temps suspendu, sans doute encore plus fort que le moment où le jeune Doinel s'amuse hors de la gravité dans la centrifugeuse de la fête dans les 400 coups.


La magie dans Lola, elle est aussi dans ce noir et blanc à couper au couteau de Raoul Coutard, cette démarche de Lola, ces personnages finement écrits à l'image des dialogues dont les répliques peuvent souvent devenir cultes ("touche mes cheveux, on dirait de la soie !") quand elles ne transparaissent pas d'une manière documentaire de filmer en cela limitée par le budget du film assez réduit (45 millions d'anciens francs soit 68602 euros et 6 centimes). Une réduction qui freine les ambitions de Demy qui voulait passer à la couleur dès ce film, mettre des numéros de comédie musicale et des acteurs connus. Il se rattrapera aisément par la suite comme l'Histoire l'a montré. Le plus étonnant c'est qu'à l'époque, si Lola séduit, c'est quand même globalement un four (43385 entrées sur les quelques semaines d'exploitations). Est-ce que le court-métrage de Godard et Truffaut, une histoire d'eau projeté en première partie n'aurait-il pas d'emblée énervé certains spectateurs n'en pouvant plus de voir encore les jeunes turcs de la Nouvelle Vague (plus qu'omniprésents de 59 à 63) et donc ensuite faussé leur jugement ? Est-ce que Lola n'était-il pas un peu trop en avance ? C'est sans doute ici qu'il faut chercher puisque les décennies suivantes, il fut redécouvert avec émerveillement par toutes les générations et dorénavant son éclat de diamant précieux n'en est que plus conservé jalousement par tous les cinéphiles comme un petit trésor, votre serviteur y compris.

5/6.






(*) A noter que Demy renvoie l'ascenseur à Godard avec humour puisque dans l'un des dialogues du film, Roland évoque qu'il avait un copain à Paris, un certain Michel Poiccard mais que "celui-ci a mal tourné et s'est fait descendre" ! :mrgreen:
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Watkinssien
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Re: Lola (Jacques Demy - 1960)

Message par Watkinssien »

Dédié à Max Ophüls, le premier long-métrage de Demy est une oeuvre importante du cinéma français. Celle de la reconnaissance immédiate d'un cinéaste plus que prometteur et qui marquera (et déroutera) les belles pages du septième art.

Demy ne va pas par quatre chemins, il réalise une oeuvre fourre-tout, d'une harmonie exceptionnelle.

Il signe un film d'une totale liberté, proche des intentions artistiques des films de la Nouvelle Vague de par le contexte, mais veut fondre son style sur un renouvellement du réalisme poétique cher à Carné et à Duvivier. Cependant, tout ceci ne semble pas lui suffire, il mêle également les revendications totalement assumées du mélodrame, dans son sens le plus noble, celui qui raconte une histoire avec des élans lyriques en contrepoint d'un rythme complètement musical. Il offre une peinture saisissante d'une ville (sa Nantes natale), de manière à la fois poétique et sociologique, tout en jouant sur la logique du rêve, celle de Lola, personnage demyen par excellence. Une femme partagée par des amours qu'elle ne sait pas abstraites ou concrètes.

Le sentiment amoureux chez Demy est toujours l'élément contenu de son romanesque pur. C'est pourquoi son cinéma déconcerte les cyniques.
En revanche, il est impensable de contester la puissance de la mise en scène, qui se révèle être un tourbillon d'idées créatives comme on en voit peu dans le cinéma français. Oscillant entre passé et présent, fantasme et réalité, comédie musicale et tragédie psychologique, Lola est un chef-d'oeuvre absolu, empli de charme, de classe, de grâce, à l'image de la splendide Anouk Aimée.
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Demi-Lune
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Demi-Lune »

Découvert hier soir sur Arte et sentiment un peu mitigé. :oops:
Le film récupère les bons cotés de la Nouvelle Vague (superbe photo très contrastée de Coutard, la fraîcheur et la liberté de ton, la rythmique du montage, l'importance du cadre nantais, etc) tout en annonçant déjà un univers personnel fort. Comme après lui La baie des anges, Lola prouve que l'identité de Demy ne se résume pas à des coloris et des chansons, mais que son âme reste bien à chercher du côté de l'apprentissage amoureux, de l'idéal féminin et des aléas du destin. En outre, dans les deux films le réalisme en noir et blanc ne fait pas obstacle à la tendresse si particulière du cinéaste, cette forme de paix, d'optimisme et de plaisir de vivre communicatifs malgré les difficultés vécues par les personnages. Bon thème de Michel Legrand.
La petite musique de Demy est donc déjà à l’œuvre et c'est à la fois une source de satisfaction et de frustration, les chassés-croisés amoureux de Lola renvoyant fatalement à ceux, mieux gérés, des Demoiselles de Rochefort. Dans tous les cas Demy attache dès son premier film une importance pour la sublimation de la femme, qui sous les traits de Lola possède la même candeur, la même attractivité et les mêmes mystères du cœur que les futures Geneviève, Delphine ou Solange. Demy est un grand créateur de femmes à qui il confie quelques dialogues mémorables et Lola ne doit pas faire oublier les beaux personnages connexes que sont la mère célibataire et sa fille de 14 ans.
D'un autre côté, l'interprétation est parfois un peu juste ou terne hélas (sans compter que le jeu maniéré d'Anouk Aimée peut autant fasciner qu'agacer) et le scénario, dans ses entrecroisements, n'est pas très passionnant à suivre. Il y a quelques détails marginaux qui font tiquer (comme l'utilisation de la 7e de Beethov' pour un film qui ne mérite pas tant de faste) mais c'est surtout dans ses moments d'émotion qu'on voit que Demy tâtonne encore un peu : les retrouvailles finales laissent indifférentes, tout comme globalement le devenir de tous les protagonistes.
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Watkinssien
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Watkinssien »

Demi-Lune a écrit :
D'un autre côté, l'interprétation est parfois un peu juste ou terne hélas (sans compter que le jeu maniéré d'Anouk Aimée peut autant fasciner qu'agacer) et le scénario, dans ses entrecroisements, n'est pas très passionnant à suivre. Il y a quelques détails marginaux qui font tiquer (comme l'utilisation de la 7e de Beethov' pour un film qui ne mérite pas tant de faste) mais c'est surtout dans ses moments d'émotion qu'on voit que Demy tâtonne encore un peu : les retrouvailles finales laissent indifférentes, tout comme globalement le devenir de tous les protagonistes.
Le scénario suit des trajectoires liées au temps et à la variation des sentiments, et c'est vrai que je ne me lasse jamais de ses soubresauts à la fois réalistes et poétiques.


Quant à l'utilisation de Beethoven, je la trouve sublimement émouvante (il faut dire que le visuel suit bien aussi).

:oops:
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Mr-Orange »

Premier long métrage de Demy, et coup d'essai coup de maître comme on dit. La comparaison avec les Demoiselles de Rochefort (l'un de mes films préférés) est inévitable avec tous ces marins qui déambulent dans la ville, cette recherche de l'amour, la magnifique musique de Michel Legrand qui s'avère être l'un des plus grands compositeurs pour le cinéma. Si l'approche de l'amour parfait dans ce film s'avère moins rêveur (tout le film l'est moins de toutes façons, Nantes n'est pas Rochefort) et utopiste que dans le film avec Deneuve et Dorléac, il est davantage réaliste car tout le monde ne peut finir heureux quand plusieurs hommes aiment une même femme. Sinon la mise en scène est parfaitement maitrisée, et même si certains personnages féminins peuvent s'avérer parfois énervants (mais c'est la direction d'acteurs qui le veut, on adhère ou on adhère pas), Jacques Demy signe-là un très bon film déjà bien affirmé dans l'univers musical qu'il créera plus tard.
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hansolo
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par hansolo »

Decouverte.
Quel bonheur!
La mélodie du récit de Cassard (Les Parapluies ...) irradie le film de sa beauté.
Superbe classique qui doit encore prendre de l'ampleur si on voit les films de la trilogie - dont c'est le premier volet - a la suite.
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Supfiction
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Supfiction »

hansolo a écrit :Decouverte.
Quel bonheur!
La mélodie du récit de Cassard (Les Parapluies ...) irradie le film de sa beauté.
Superbe classique qui doit encore prendre de l'ampleur si on voit les films de la trilogie - dont c'est le premier volet - a la suite.
Mince, j’ai vu les films mais je n’avais jamais réalisé que c’était une trilogie.
Je ne sais pas pourquoi, le nom de Roland Cassard me fait systématiquement marrer.

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Max Schreck
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Re: Lola (Jacques Demy - 1961)

Message par Max Schreck »

Supfiction a écrit :
Mince, j’ai vu les films mais je n’avais jamais réalisé que c’était une trilogie.
Oui c'est le Demy Cinematic Universe.
« Vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur. » (Roland Cassard)
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