Un cœur pris au piège
Il est le naïf et richissime fils d’une bonne famille, essayant d’oublier dans son penchant pour la zoologie exotique les candidates velléitaires au beau mariage. Elle est une arnaqueuse invétérée dont le cynisme va être mis à rude épreuve lorsqu’elle va tenter de lui mettre le grappin dessus. Situation attendue à laquelle Sturges apporte son grain de folie bien particulier, son goût du bavardage extravagant, son refus de la logique traditionnelle, ses personnages azimutés qui font dérailler le récit dans une cocasserie à tout rompre. Si la satire est virulente, son objet importe moins que le mouvement de pensée qu’elle manifeste, sa dialectique propre. Vive, savoureuse, parfois délirante, cette comédie est emmenée par un duo de grand style : Henry Fonda, gauche et touchant, et Barbara Stanwick, canaille et délurée.
4/6
Top 10 Année 1941
Les voyages de Sullivan
Passé une entrée en matière explosive en forme de course-poursuite texaveryesque, le film se range quelque peu et emprunte un sentier à la fois plus prévisible et plus retors, qui vise à réfléchir le propre statut de son auteur en le confrontant à la réalité sociale des victimes populaires, laissés-pour-compte jetés par milliers sur les routes, stigmates tardifs de la Grande Dépression. Servi par un don de la mise en scène qui semble éliminer ou déplacer les embûches à mesure qu’elles se présentent, le cinéaste problématise sans le moindre esprit de sérieux la légitimité du rire, emploie les armes de la fable pour imposer sa foi aux yeux de l’hypocrite spectateur, et use d’une savante série de jeux de miroir (Veronika Lake caricaturant sa mèche blonde puis se déguisant en garçon) pour faire pétiller son cocktail.
4/6
Madame et ses flirts
S’il existe un plafond d’excentricité au-delà duquel la comédie américaine n’ose pas s’aventurer, alors Sturges le pulvérise ici allègrement, avec une conscience diabolique de ses propres effets. Une femme décide de quitter son mari, celui-ci se lance dans une course folle pour la reconquérir – on le comprend, c’est Claudette Colbert et elle sacrément choupinette. La route de la dame croise celles d’un roi du hot-dog en grand chapeau jouant les bonnes fées ou d’une convention de chasseurs richissimes et avinés qui transforment les wagons d’un train en hilarant terrain de ball-trap. Surchauffé comme une chaudière sous pression, tout ce délire décape les bonnes mœurs et détourne les conventions romantiques pour mieux faire triompher une morale à la liberté rieuse qui laisse ravi et surpris. Un régal.
5/6
Top 10 Année 1942
Miracle au village
Comme il y a un Capraland, décor de l’Amérique idéalisée, il existe un Sturgesland, reflet d’une Amérique désacralisée. Ici c’est une bourgade provinciale où, en plein effort de guerre, un brave benêt bredouillant prend en charge une jeune fille engrossée lors d’une nuit de bringue par un GI sitôt volatilisé : antihéros bousculant toutes les conventions de la valorisante
american way of life. L’énormité des situations est crédibilisée par la gestion du flashback à suspense (quel est donc ce miracle annoncé dès le début ?), et le déluge visuel et musical qui accompagne sa révélation a pour effet de masquer sa non-conformité à la morale hollywoodienne. Quant à la mise en scène, elle valorise la mécanique à la Feydeau du scénario et la brillance des répliques en mariant fluidité du montage et mobilité des plans.
4/6
Top 10 Année 1944
Infidèlement vôtre
Pas facile à vivre, la jalousie pathologique. Un prestigieux chef d’orchestre en fait l’expérience, qui décide au beau milieu d’un concert d’assassiner son épouse infidèle. Par sa construction à opportunités variables et à fantasmes contraires, la comédie a sans doute compté parmi les plus neuves et audacieuses de son époque. Ne reste aujourd’hui que le déroulé d’une idée qui s’épuise vite, un humour burlesque mais un peu lourd cherchant à cataloguer la folie ordinaire en chargeant le ridicule des paranoïas amoureuses et du retour cinglant au réel. Le résultat est assez mou du genou, parce qu’il passe par des échanges dialogués où s’ébroue à l’étroit le délire logique de l’auteur, et parce qu’on y mesure un peu trop le hiatus entre une situation fantaisiste et l’effort à en rendre plausible le postulat verbal.
3/6
Mon top :
1.
Madame et ses flirts (1942)
2.
Un cœur pris au piège (1941)
3.
Les voyages de Sullivan (1941)
4.
Miracle au village (1944)
5.
Infidèlement vôtre (1948)
Plein d’une virtuosité malicieuse, de dialogues et de gags visuels qui frisent parfois le slapstick et le cartoon, le cinéma de Preston Sturges, mouvementé, bavard, complètement fou, est celui d’un maître de la comédie américaine. Son influence sur bien d’autres rois du genre (Wilder notamment) est sans doute énorme.