Les Démons de la liberté/La Cité sans voiles (Jules Dassin)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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La Rédac
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Les Démons de la liberté/La Cité sans voiles (Jules Dassin)

Message par La Rédac »

Et hop ! La chronique du coffret Jules Dassin sorti chez Wild Side par notre Jeremy Fox. J'en connais qui vont sauter sur cette édition.

:arrow: Les Démons de la liberté / La Cité sans voiles
Margo

Message par Margo »

Le lien pour lire la chronique en PDF sera rajouté dans l'heure :wink:
George Kaplan
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Message par George Kaplan »

Texte trés intéressant qui malgré les réticences de Jeremy donne envie de découvrir ces deux films. Je pense que les amateurs de films noirs seront comblés par ces éditions. Etonnant qu'il n'y ait pas plus de réactions sur le forum tant la réputation de ces deux films est forte dans l'univers du film noir (Naked City surtout)... :?
Sergius Karamzin
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Message par Sergius Karamzin »

Je les ai pas encore vu... :(
Vous voulez maroufler ? Je suis votre homme...
phylute
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Message par phylute »

Je pense que ces deux films, du fait de leur rareté, ne peuvent pas provoquer tellement de réaction. Il faut attendre un peu que les gens les voient. En tout cas perso, ça ne tardera pas beaucoup, même si Jeremy ne semble pas si enthousiaste :wink:
Les films sont à notre civilisation ce que les rêves sont à nos vies individuelles : ils en expriment le mystère et aident à définir la nature de ce que nous sommes et de ce que nous devenons. (Frank Pierson)
George Kaplan
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Message par George Kaplan »

Je pensais que la plupart des amateurs avaient vu Naked City. Ceci dit, ça me rassure, je ne suis pas seul :wink:
phylute
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Message par phylute »

Jamais eu l'occasion de le voir. Ceci dit je me suis peut-être débrouilél come un manche :| .
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noar13
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Message par noar13 »

faut vraiment être blasé pour bouder son plaisir devant brute force ...

j'ai pas vu le leroy ...

"un regard acerbe et impitoyable sur la société de l’époque, ce que Dassin et Brooks n’ont fait qu’effleurer ici, l’efficacité prenant le pas la plupart du temps sur la réflexion"

effleurer c'est vite dit ...

mais de toute facon tant mieux !!!
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

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Au pénitencier de Westgate, la cellule R-17 est occupée par six hommes parmi lesquels un comptable (Whit Bissell) ayant détourné de l’argent pour acheter un vison à son épouse, un soldat (Howard Duff) qui, durant la Seconde Guerre mondiale, s’est dénoncé pour un crime commis par sa fiancée, et un joueur (John Hoyt) trahi par sa compagne. S’y trouve aussi le gangster Joe Collins (Burt Lancaster) qui, sachant que sa femme malade n’acceptera d’être opérée qu’à condition qu’il soit à ses côtés, ne pense plus qu’à une chose, "se faire la belle". Excédés par la tyrannie et les brimades de Munsey (Hume Cronyn), le gardien-chef sadique qui souhaite secrètement prendre la place du directeur, les autres prisonniers sont prêts à se révolter et décident de prendre part à cette évasion annoncée.

En 1946, lorsqu’il tourne Brute Force, Jules Dassin n’en est pas à son premier essai. Il a déjà tourné sept films pour la MGM parmi lesquels quelques obscures comédies musicales. Aucun de ses sept titres ne restera dans les annales pas plus que dans les souvenirs ; malheureusement si l’on s’en réfère à Patrick Brion qui y trouve des choses intéressantes, heureusement d’après leur réalisateur qui les dénigre de A à Z. Jules Dassin a en effet toujours eu en sainte horreur sa première partie de carrière, haïssant par dessus tout le patron du studio, le despotique Louis B. Mayer. C’est le producteur Mark Hellinger qui lui offre la chance d’exercer son talent sur un matériau plus noir qu’à l’accoutumée en lui donnant l’occasion de réaliser Les Démons de la liberté (Brute Force) qui deviendra ainsi sa première œuvre mondialement reconnue et appréciée. Hellinger fut d’abord journaliste new-yorkais avant d’écrire des pièces de théâtre puis des scénarios pour la Warner Bros. Son premier succès en tant que scénariste sera The Roaring Twenties (Les Fantastiques années 20) de Raoul Walsh. Mais la production l’intéresse plus que l’écriture et, après avoir appris son métier dans l’ombre de Hal Wallis, il devient producteur indépendant en 1941. Cinq années plus tard, c'est la sortie de The Killers (Les Tueurs) de Robert Siodmak d’après Ernest Hemingway ; retentissant succès et apparition sur les devants de la scène d’un jeune et athlétique acteur au fort charisme :Burt Lancaster. Mark Hellinger pense aussitôt à sa nouvelle recrue pour tenir le premier rôle du prochain film qu’il décide de mettre en chantier : Brute Force.

C’est Humphrey Bogart qui avait donné à lire à Mark Hellinger le roman de Richard Brooks intitulé The Brick Foxhole qui sera porté à l'écran en 1947 par Edward Dmytryk sous le titre Crossfire (Feux croisés). Il apprécie énormément le livre. Démobilisé à la fin de la guerre, à peine rentré à Hollywood, Brooks est happé par le producteur qui l’engage immédiatement dans son équipe. Il sera scénariste jusqu'en 1950, date à laquelle il passera avec brio à la réalisation. Pour écrire Brute Force, Richard Brooks se sert de l’histoire d’un journaliste du San Francisco Examiner, Robert Patterson. Mark Hellinger organise pour lui des rencontres avec des directeurs de prison et des gardes de San Quentin. Pour l’époque, Brooks livre un scénario d’une rare violence sans aucun espoir ni rémission pour ses différents personnages. Mark Hellinger lui impose cependant d’y insérer quatre personnages féminins vus par l’intermédiaire de quatre flash-back qui sont autant de passages ratés, inutiles et ralentissant l’action. Ce sont les séquences au cours desquelles chaque prisonnier de la cellule revoit le moment qui l’a fait arriver là où il se trouve à présent, chacun amené dans cet enfer par la "faute" d’une femme. Loin de renforcer l’émotion et de nous rendre les personnages plus sympathiques (ils le sont déjà tous au départ), elles s’intègrent au contraire laborieusement à l’intrigue et s’accommodent assez mal de leur proximité avec le dur réalisme des autres scènes étouffantes se déroulant en prison. Cette concession à la sensiblerie que pouvait avoir le producteur en certaines occasions est l’une des causes de ma semi insatisfaction à la vision de ce film par ailleurs étonnamment sec et musclé.

Le film est bouclé en deux mois dans un garage de Universal faisant office de décor pour la prison. William Daniels assure la fonction de chef opérateur, travail bien éloigné mais tout aussi réussi que ceux qu’il a pu effectuer dans les années 1920 pour les films de Greta Garbo ou Erich Von Stroheim. Mark Hellinger réutilise cinq des acteurs de son hit The Killers et donne la chance au commentateur de base-ball Jay C. Fippen d’effectuer sa première apparition à l’écran. Sa silhouette de second rôle illuminera ensuite nombre de films, ceux entres autres de Nicholas Ray et d’Anthony Mann. Charles Bickford, le patriarche de nombreux westerns, réussit lui aussi une excellente interprétation. Quant à Burt Lancaster, il confirmera tout le bien qu’on pouvait en penser après sa percée spectaculaire dans le film noir de Siodmak. Son torse nu révélant une charpente sexy et athlétique fit beaucoup pour le succès du film. Cet érotisme masculin ajouté à la brutalité inhabituelle de Brute Force fera interdire ou censurer ce dernier dans certains pays comme le Danemark ou l’Australie. Si Jules Dassin est un peu moins sévère sur ce film que sur ses précédents, il n’en est pourtant pas entièrement satisfait parlant même plus tard en interview de « script idiot ». Mais le cinéaste a toujours eu l’habitude de dénigrer sa période américaine pour pouvoir valoriser ses œuvres européennes sur lesquelles il avait eu un contrôle absolu. Jules Dassin supportait mal la mainmise des producteurs hollywoodiens sur le travail des cinéastes. Ce qui peut expliquer aussi ces jugements lapidaires est la période sombre de "La Chasse aux sorcières" qu’il a beaucoup de mal à occulter. 1947 est l’instauration du soupçon dans les milieux cinématographiques avec les premières auditions de la commission Parnell Thomas enquêtant au nom du Congrès sur l’emprise communiste en leur sein.

Munsey, le gardien sadique qui fait tout pour rendre la révolte inévitable afin de mieux pouvoir la réprimer et devenir ainsi le directeur de la prison n’imite-t-il pas les comportements des politiciens de l’époque en mal de notoriété qui, comme McCarthy, n’hésiteront pas à trouver des boucs émissaires (en l’occurrence, les "Rouges"), en les chargeant de tous les maux et d’être à l’origine de la crise de confiance traversée par les USA pendant la Guerre Froide pour pouvoir se faire "mousser" en les éradiquant de la société bien-pensante et conservatrice ? Hume Cronyn est formidable et inquiétant dans ce rôle de bourreau psychopathe qui n’hésite pas à utiliser la torture aussi bien physique (avec du Wagner en arrière-fond pour couvrir les bruits, il n’hésite pas à frapper à la matraque certains prisonniers pour qu’ils acceptent de devenir des mouchards) que morale (par l’utilisation du mensonge afin de pousser les plus faibles au suicide) pour arriver à ses fins. Vicieux et peut-être pas insensible à la force musculaire et au corps de certains détenus (la séquence du début sous la pluie où l’on découvre pour la première fois Burt Lancaster est à ce propos tout à fait troublante), Munsey représente cette "Brute Force" que Dassin veut montrer comme vouée elle-même à terme à détruire la puissance qu’elle a fait acquérir à son détenteur. Le réalisateur et le scénariste tentent de dire que la prison ne fait que rendre les détenus encore plus mauvais qu’ils ne l’étaient avant de s’y trouver enfermés. Une noirceur radicale sans aucune issue car cette "force brutale" ne se situe finalement pas uniquement du côté de l’oppresseur mais s’est aussi emparée des détenus révoltés par tant d’injustices mais qui n’hésitent plus eux non plus quant il s’agit de tuer. Une vision pessimiste sur la condition humaine et une représentation de la violence engendrant la violence et n’apportant ainsi aucune solution satisfaisante d’un côté comme de l’autre des barreaux.

Brute Force conjugue donc, par l’intermédiaire d’un scénario carré et d’une mise en scène musclée, un réalisme proche du documentaire et une violence hallucinante pour l’époque. Il est le prototype des "films de prison" à venir mais, à cause de certaines concessions dues au producteur et au manque d’épaisseur des personnages, je ne le considère pas comme étant une grande réussite d’autant plus que quinze ans plus tôt, Mervyn LeRoy réalisait un pamphlet beaucoup plus fort, osé et virulent sur les prisons avec le sublime Je suis un évadé (I Was a Fugitive from a Chain Gang) qui n’hésitait pas en outre à porter un regard acerbe et impitoyable sur la société de l’époque, ce que Dassin et Brooks n’ont fait qu’effleurer ici, l’efficacité prenant le pas la plupart du temps sur la réflexion. Efficacité, à l’image de la puissante partition de Miklos Rozsa, qui trouve son apogée dans l’étonnante scène de révolte finale qui ne démérite pas du titre original du film. Les Démons de la liberté est un bon film en l’état mais nous ne pouvons que déplorer qu’un libéral comme Richard Brooks n’ait pas poussé plus loin ses idées. Il le fera par la suite dans se propres films. Mark Hellinger produit également l’année suivante The Naked City, second volet de la "trilogie américaine" de Dassin, qui s'achèvera avec Les Bas-fonds de Frisco en 1949. Hellinger ne verra jamais ce dernier ; il décède au début du tournage alors qu’il était également sur le point de s’associer avec Selznick et Bogart pour produire les films de l’acteur.
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Message par noar13 »

Jeremy Fox a écrit :
noar13 a écrit :faut vraiment être blasé pour bouder son plaisir devant brute force ...
faut vraiment être blasé pour bouder son plaisir devant Shane (remplacer par d'autres titres au choix)...
exact

ceux qui se prennent pas trop la tête et se posent pas autant de questions (si je veux trouver une reflexion poussée sur le milieu carceral je me procure un docu - d'ailleurs je vois pas de côté documentaire dans brute force??? - ou un bouquin, je compte pas sur hollywood et je me contrefous de l'esprit liberal de brooks)

y trouverons sans doute leur compte avec ce "simple" film de prison largement au dessus de la moyenne doté d'une realisation soignée et d'une magnifique photo, d'acteurs excellents, et d'un bad guy tooooo baaaaad :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

noar13 a écrit :
Jeremy Fox a écrit :
faut vraiment être blasé pour bouder son plaisir devant Shane (remplacer par d'autres titres au choix)...
exact

ceux qui se prennent pas trop la tête et se posent pas autant de questions (si je veux trouver une reflexion poussée sur le milieu carceral je me procure un docu - d'ailleurs je vois pas de côté documentaire dans brute force??? - ou un bouquin, je compte pas sur hollywood et je me contrefous de l'esprit liberal de brooks)

y trouverons sans doute leur compte avec ce "simple" film de prison largement au dessus de la moyenne doté d'une realisation soignée et d'une magnifique photo, d'acteurs excellents, et d'un bad guy tooooo baaaaad :mrgreen:
Je ne me prend jamais la tête en regardant un film et je ne me pose jamais trop de questions non plus. C'est au contraire le fait d'avoir éprouvé moyennement de plaisir qui m'a fait me pencher sur le pourquoi de cette déception pour pouvoir argumenter ma chronique. Car pour écrire un texte, tu es bien obligé de te creuser un peu la tête.

Tu sais bien que j'adore la série B décomplexée, la comédie musicale, les films d'aventures hollywoodiens et que la plupart du temps, ce n'est pas le genre de films à faire réfléchir. Donc me concernant, tu fais fausse route.

J'ai tout simplement trouvé le film bancal et j'ai essayé de savoir pourquoi. Mais après, certains pourront penser le contraire et ils n'auront certainement pas plus tort que moi. La preuve :wink:
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Message par noar13 »

Jeremy Fox a écrit :
noar13 a écrit :
exact

ceux qui se prennent pas trop la tête et se posent pas autant de questions (si je veux trouver une reflexion poussée sur le milieu carceral je me procure un docu - d'ailleurs je vois pas de côté documentaire dans brute force??? - ou un bouquin, je compte pas sur hollywood et je me contrefous de l'esprit liberal de brooks)

y trouverons sans doute leur compte avec ce "simple" film de prison largement au dessus de la moyenne doté d'une realisation soignée et d'une magnifique photo, d'acteurs excellents, et d'un bad guy tooooo baaaaad :mrgreen:
Je ne me prend jamais la tête en regardant un film et je ne me pose jamais trop de questions non plus. C'est au contraire le fait d'avoir éprouvé moyennement de plaisir qui m'a fait me pencher sur le pourquoi de cette déception pour pouvoir argumenter ma chronique. Car pour écrire un texte, tu es bien obligé de te creuser un peu la tête.

Tu sais bien que j'adore la série B décomplexée, la comédie musicale, les films d'aventures hollywoodiens et que la plupart du temps, ce n'est pas le genre de films à faire réfléchir. Donc me concernant, tu fais fausse route.
tout a fait,

j'ai sans doute fait une lecture trop rapide, mais en gros je n'ai retenu sur les points "decevants" que la partie évoquée plus haut dans la comparaison avec le leroy (et aussi les infos comme quoi dassin trouve le script mauvais) ...

sinon je suis intervenu sur le topic pour changer l'ambiance mitigée :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

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New York endormie ; il est une heure du matin. Dans un appartement de Manhattan, Jane Dexter, jeune mannequin, est assassinée par deux hommes dont l’un est à son tour tué par son complice. Dès l’aube, l’enquête est en route, menée par un vétéran des affaires criminelles, l’inspecteur Dan Muldoon (Barry Fitzgerald) et le novice Jimmy Halloran (Don Taylor), à la Brigade Criminelle depuis seulement six mois. Ils se mettent consciencieusement à effectuer leur labeur journalier dénué de tout héroïsme et comportant moult filatures, interrogatoires, réunions… Alors que la traque du meurtrier se poursuit dans les rues de Big Apple, les policiers découvrent que la jeune femme assassinée était liée à un gang spécialisé dans le trafic de joaillerie...


« There are eight million stories in The Naked City. This has been one of them. » Telle est la célèbre phrase finale de ce film noir qui marque un tournant historiquement très important pour le genre. Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle génération de cinéastes arrive, influencée par les images documentaires des combats. Germent dans l’esprit d’Hellinger des idées de tournage en environnement naturel combinées avec une approche semi documentaire d’un quelconque sujet. Le genre policier sera un prétexte au producteur pour faire en définitive un portrait de la ville de New York. Suivre des policiers dans leur fastidieuse enquête sera une occasion de pouvoir dépeindre toutes sortes de lieux, dans toutes sortes de lumières et à différents moments de la journée. « J'ai accepté de faire Naked City en dépit de l'histoire... J'ai dit oui, si on me laisse tourner dans les rues de New York, dans des intérieurs réels, avec des inconnus », déclarait Jules Dassin. Et ce sera le premier film tourné entièrement en décors naturels au cœur même des rues de New York, souvent qualifié pour cette raison de film "néo-réaliste américain". Jusqu’ici cantonné dans un univers empreint d’une extrême sophistication et d’un certain glamour (si l’on excepte les films de gangsters), le film noir devient avec ce film de Dassin un genre fondé sur beaucoup plus de réalisme et moins tourné vers le studio.

Pour connaître un peu la genèse de The Naked City, grâce à l’aide du passionnant livret inclus dans le coffret Wild Side, laissons parler Malvin Wald, l’auteur de l’histoire commanditée par Mark Hellinger lui-même, tout en ayant en tête le manque de modestie du bonhomme qui s’attribue lors du commentaire audio tous les mérites et idées du film y compris celle de tourner dans les rues de New York ainsi que l’invention de la fameuse formule finale. « J’avais bien une idée. Celle de suivre une enquête faite par la police de New York, qui à l’époque avait la réputation d’être incapable de trouver un marin sur un porte-avion. N’empêche que c’est comme ça que sont élucidés les crimes : pas par un détective à la Bogart, mais de façon fastidieuse, scientifique. Je voulais montrer tout le processus. Alors Hellinger me dit, ‘’qu’est-ce que vous savez sur la question ?’’ Rien, je lui fais, mais j’ai passé six mois dans la US Air Force à faire des documentaires sur des sujets dont je ne savais rien non plus. Je sais par contre me renseigner. Envoyez-moi à New York une semaine, et je vous ramène un sujet. Là-dessus, il m’a proposé mille dollars la semaine... Le maire de New York était très enthousiaste sur l’idée. Il voyait ça comme une occasion de valoriser un service qui avait toujours été la risée des New Yorkais... Hellinger ne comprenait pas ce que je voulais faire, et quand je lui ai dit que l’idéal serait de tout filmer dans les rues de New York, il était tout de suite prêt à abandonner. Mais quand il a montré mon truc à Jules Dassin, celui-ci a tout de suite compris. ‘’C’est une nouvelle forme de cinéma, Mark, je veux en être.’’ Il voulait juste faire réécrire le script par Albert Maltz, un écrivain respecté qui apporterait du poids à l’entreprise. Je connaissais Albert de réputation, et j’étais flatté. » Hellinger tenait en effet à avoir le nom d’un écrivain prestigieux en tête du générique. Celui-ci n’était pas encore sur la liste noire ; Albert Maltz fera en effet partie des "Dix de Hollywood" fichés par McCarthy, condamnés et emprisonnés pour outrage au Congrès.

Selon les vœux de Dassin, la ville de New York aurait donc du être la star du film et pourtant, elle ne le sera pas assez à son goût et au vu du résultat, on ne peut qu’abonder dans son sens. Il sera floué par Hellinger après le tournage, ce dernier ne tenant pas sa parole, jurant de ne rien toucher au film mais le faisant malgré tout entièrement remonter derrière son dos. Dépité du résultat obtenu, Dassin sortira en larmes de la projection lors de l’avant-première. C’était déjà le producteur qui avait ajouté les pénibles flash-back dans Brute Force ; ce sera encore lui qui aura l’idée de ce remontage et de l’omniprésence encombrante de la voix off (la sienne propre) pour commenter le film. Lors de l’ouverture de The Naked City sur de superbes vues de Manhattan filmées d’hélicoptères, la voix-off a tout à fait sa place pour nous le présenter ; le générique est fait oralement (à la Guitry) avant que le commentateur nous explique ce que le film va avoir d’innovant : « This motion picture is a bit different from most films you've ever seen…It was not photographed in a studio and the actors played out their roles on the streets, in the apartment houses, in the skyscrapers of New York itself… This is the City as it is - hot summer pavements, the children at play, the buildings in their naked stone, the people, without makeup... » Mais ensuite, même si elle nous délivre encore de superbes "Taglines" comme, à propos de la fille assassinée : « Yesterday she was just another pretty face. This morning she's the marmalade on everybody's toast », ou encore en conclusion, après que l’affaire ait été dénouée : « Her name, her face, her history were worth five cents a day for six days. Tomorrow a new case will hit the headlines », elle devient la plupart du temps plutôt lourde, redondante avec les images défilant sous nos yeux.

Pour en revenir à New York, nous aurions voulu encore plus ressentir sa respiration, sa vie propre, pouvoir prendre son pouls. Evidemment que cette vision à l’époque a du être formidablement novatrice mais à posteriori, après les innombrables autres films ayant été tournés dans des conditions identiques, force est de constater que l’intrigue assez peu enthousiasmante prend trop souvent le pas sur la description de la ville telle que l’aurait souhaitée le réalisateur. Le scénariste a du mal à bien imbriquer les différents éléments constitués par, d’une part l’aspect documentaire, de l’autre par l’intrigue policière proprement dite, sans oublier l’aspect hollywoodien qui demeure malgré tout encore bien prégnant ici, dans l’interprétation entre autres. Le contexte social et politique est bien présent mais discrètement et en filigrane. Tout ceci reste bien trop tiède. Le fait de vouloir décrire le travail quotidien et procédurier de la police dans ses aspects les moins glorieux, sans aucun glamour est bien évidemment très honorable mais encore eut-il fallu un scénario remarquablement écrit ou une vision très personnelle du metteur en scène pour que le spectateur ait quelque chose de solide sur quoi s’accrocher sous peine de rapidement s’ennuyer, ce qui est parfois le cas ici. A la même époque, les films produits par Louis De Rochemont ou Otto Lang pour la Fox et dirigés, pour une grande partie, par Henry Hathaway (13 rue Madeleine, Appelez Nord 777…) avaient eux aussi pour ambition de témoigner de la réalité brute mais bénéficiaient de scénarios bien plus solides et convaincants. La mayonnaise prenait un peu mieux.

Mais trêve de critique ! Si ce Naked City paraît quelque peu décevant, il demeure encore aujourd’hui le prototype qui a ouvert une brèche à toute une frange du film noir ou urbain dans laquelle se sont engouffrés des cinéastes comme Don Siegel, Robert Aldrich, Gordon Douglas, Martin Scorsese, William Friedkin et des centaines d’autres jusqu’aux créateurs de séries télévisées tel qu’aujourd’hui Law and Order. William Daniels innove en utilisant le plus possible des focales grand-angle pour dévoiler au maximum tous les recoins de la ville, inventant des projecteurs légers et souples d’emploi, se servant d’un camion avec miroir sans tain pour éviter que la foule ne regarde la caméra... Il obtiendra un Oscar mérité pour son remarquable travail : grâce à lui, des millions de spectateurs à travers le monde découvrent New York, les hommes qui y vivent, qui s’y pressent, qui y travaillent ; les enfants s’arrosant au milieu des rues surchauffées ; les jeunes filles faisant du lèche-vitrines ; le métro bondé. Le Williamsburg Bridge devient ainsi presque aussi célèbre par la séquence finale que l’Empire State Building par celle de King Kong.

Tout cela (la principale motivation de Dassin) ne représente finalement qu’un faible pourcentage de la durée du film, la quasi totalité se déroulant en intérieur. Ici, nous voyons nos policiers en pleine besogne dans les bureaux et appartements ; un travail de longue haleine, consciencieux, patient, laborieux et souvent frustrant, les journées se terminant parfois sans qu’aucun élément supplémentaire du puzzle n’ait put être décelé. Nous les apercevons également (trop) brièvement dans leurs vies quotidiennes. Le lieutenant Muldoon est un vieux de la vieille ayant déjà passé vingt-deux ans au sein de la Brigade Criminelle. Barry Fitzgerald a beau être excellent dans la peau de ce policier, il préfigure plus Columbo qu’un Inspecteur Lambda. Sa confrontation avec Howard Duff dans le rôle d’un menteur congénital est franchement savoureuse. Don Taylor est un peu fade dans la peau du jeune Halloran et Ted De Corsia n’hésite pas à cabotiner pour nous rendre son assassin franchement inquiétant. Comme on peut le constater, ce style d’interprétation n’est pas forcément en phase avec un film qui se serait voulu néoréaliste mais apporte une touche de fantaisie qui nous fait parfois oublier le caractère plutôt insignifiant de l’intrigue.

Le 4 mars 1948, Universal sort le film à New York. Le studio ne débourse pas un dollar dans sa campagne pour les Oscars, ne misant pas un centime sur les chances pour The Naked City de l’emporter. Les dirigeants tombent des nues lorsque le film de Jules Dassin reçoit trois nominations à la récompense suprême. Le réalisateur, malgré sa déception suite au mauvais coup que lui joua Hellinger, tourne encore Thieves' Highway dans les rues de San Francisco, puis, sur le point d'être inquiété pour ses prises de position, s'expatrie et part pour l'Angleterre où il tourne Night and the City (Les Forbans de la nuit), le réalisme de ses dernières œuvres étant talentueusement saupoudrée ici d’un surprenant expressionnisme qui fait de lui un film noir unique et magnifique, le seul chef-d’œuvre de son auteur mais quel chef-d’œuvre !
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Roy Neary
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Message par Roy Neary »

C'est justement la force du cinéma américain de porter un regard incisif et souvent dénonciateur sur la société derrière le cinéma dit de "genre". Après, chacun est libre de trouver le plaisir où il veut. Mais il ne fait pas mettre de côté les intentions sociales et politiques même si l'on ne s'intéresse qu'aux qualités esthétiques et spectaculaires de l'oeuvre. Noar, tu pourras trouver bon nombre de réflexions poussées sur tel ou tel sujet dans le cinéma, et quand les auteurs le font sans alourdir leurs films c'est là qu'on atteint la grandeur. Après, tu t'attaches aux éléments du film que tu veux, pas de problème, mais ne sous-estimes pas la portée d'un film surtout quand il y a une vraie ambition derrière de la part du scénariste et/ou du cinéaste. Tu as le droit de te foutre de l'esprit libéral de Richard Brooks, mais c'est passer à côté d'une composante essentielle de sa personnalité et surtout de son oeuvre.
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noar13
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Message par noar13 »

Jeremy Fox a écrit :
noar13 a écrit :
sinon je suis intervenu sur le topic pour changer l'ambiance mitigée :mrgreen:
Merci :mrgreen:
en fait j'ai pas ete super convaincant,..

brute force c'est genial !!

et c'est un comble ce film est taillé pour jeremy y a même une "composante" musicale avec le black qui sort toutes ses repliques en chantant
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