Les Conquérants du Nouveau Monde (Unconquered, 1947) de Cecil B. DeMille
PARAMOUNT
Sortie USA : 24 septembre 1947
Après
Une Aventure de Buffalo Bill (
The Plainsman),
Pacific Express (
Union Pacific) et
Les Tuniques Ecarlates (
North West Mounted Police),
Unconquered est le 4ème et ultime western parlant de Cecil B. DeMille et à cette date le plus gros budget qu’il ait eu à sa disposition. Au final, nous nous trouvons devant un corpus assez cohérent dans sa stylistique et dans la façon qu’à le cinéaste de narrer une histoire ; un ensemble de quatre films très représentatifs de la manière de travailler de Cecil B. DeMille, homme de spectacle avant tout mais aimant prendre son temps pour délayer ses intrigues, décrire son univers coloré. Si
The Plainsman demeure le plus homogène, le plus équilibré et le plus harmonieux, les suivants auront eu au moins le mérite de nous faire voyager à des époques et lieux différents et assez dépaysants, le réalisateur n’ayant par ailleurs pas lésiné sur les moyens pour nous en mettre plein la vue, son talent de conteur et de peintre ayant accompli le reste sans pour autant éviter les lourdeurs caractéristiques de son cinéma à grand spectacle.

1763 en Angleterre. Abigail Martha Hale (Paulette Goddard) est accusée d’un crime ; on lui propose de choisir entre deux condamnations : la potence dans l’immédiat ou quatorze années d’esclavage dans les colonies d’Amérique du Nord. Elle choisit la seconde solution et se trouve donc déportée en Virginie. A bord du bateau qui la transporte vers le Nouveau Monde, elle est mise aux enchères, le marchand de fourrures Martin Garth (Howard Da Silva) souhaitant fortement l’emporter pour se venger de l’humiliation qu’elle lui a fait subir, une gifle en pleine face et devant tous les marins après qu’il ait tenté de l’embrasser. Mais c’est le Capitaine Christopher Holden (Gary Cooper), officier de la milice de Virginie, et ses ’46 cents’ supplémentaires qui la gagne pour mieux lui rendre sa liberté. Ce dernier quitte le navire pour rejoindre sa fiancée qui lui annonce ne pas avoir pu attendre et s’être déjà marié avec son frère. Quant à Abigail, sans son sauveur à bord, elle n’a pas la force de s’opposer à ce que son contrat ‘d’émancipation’ soit brulé par Garth qui s’avère être en fait un sinistre trafiquant d’armes ; de nouveau esclave, elle se retrouve à servir dans une taverne. Par ses ventes d’armes, Garth attise la haine des différentes tribus indiennes envers les colons ; Pontiac, chef des Ottawa, organise la révolte lançant des raids sur tous les forts de la région. Holden est chargé d’aller apporter des ‘ceintures de paix’ aux indiens mais, attaqué en chemin, il se réfugie à Fort Pitt (futur Pittsburgh) où il retrouve et délivre une seconde fois Abigail des griffes de ses cruels maîtres. Peine perdue, elle se fait enlever par les indiens peu après, suite à la jalousie d’Hannah (Katherine DeMille), fille du chef des Sennecca et épouse de Garth, qui ne supportait pas de voir ce dernier tourner autour de cette femme blanche. Désobéissant à son commandant lui ayant demandé de bruler la ville afin que rien ne tombe aux mains des ‘sauvages’, Holden préfère d’abord aller délivrer sa jolie ‘esclave’…

… Et nous n’en sommes qu’à mi-parcours, la seconde partie versant dans l’aventure alors que la première heure avait été plutôt dévolue à la mise en place de l’intrigue, à la présentation des personnages et de la situation politique de l’époque. Depuis le début de la décennie avec
Sur la Piste des Mohawks (
Drums Along the Mohawk),
Le Premier Rebelle (
Allegheny Uprising) et
Le Grand Passage (
Northwest Passage), le 18ème siècle n’avait plus été abordé dans le domaine du western.
Unconquered, tiré d’un roman de Neil Swanson sur la révolte de Pontiac en Virginie contre les britanniques, nous replonge dans une époque qui n’avait encore pas connu la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, toujours à l’aide d’un Technicolor rutilant et d’une débauche de moyens considérable ; nous nous trouvons devant un beau spectacle foisonnant et parfois passionnant malgré les défauts habituels qui entachent une majorité des films du réalisateur, une certaine lourdeur dans le traitement et la caractérisation des personnages, un certain kitsch de l’imagerie et une propension à faire durer les scènes dialoguées plus qu’à l’accoutumée. Mais, comme pour
The Plainsman, ces défauts se transforment ici en qualités tout au moins durant la première heure : la description des personnages, aussi typée soit-elle, fonctionne parfaitement, la plastique du film est sublime grâce au violent contraste des couleurs et au scintillement des costumes, enfin l’étirement des séquences ne s’avère ici jamais gênante permettant au contraire de mieux nous familiariser avec les personnages d’autant que les dialogues sont de bonne qualité.

Alors bien évidemment que tout ceci est d’une naïveté confondante mais l’art de conteur du cinéaste, son brio à mélanger histoire et romance, épique et intimisme, nous ramène en quelque sorte à l’enfance, époque où nous jubilions devant un héros comme Holden, brave, courageux, noble et honnête, où nous ne nous offusquions pas, bien au contraire, de ce que Paulette Goddard soit toujours parfaitement bien maquillée y compris lorsqu’elle se retrouve en haillons, où nous ne nous scandalisions pas lorsque l’on nous présentait des Indiens les plus vindicatifs et sanguinaires qui soient… Ca faisait partie du spectacle hollywoodien et en ce qui me concerne, cette candeur ne me gêne pas plus que ça aujourd’hui encore. D’ailleurs, dans tous les ‘pré-westerns’, que ce soient ceux de Ford ou de Vidor, les Indiens ont toujours été, plus que des ‘méchants’, des trouble-fêtes dont on comprenait les motivations mais avec qui les colons devaient se battre s’ils voulaient pouvoir vivre en paix. Aucun jugement, des faits historiques relatés avec plus ou moins d’honnêteté ; avec DeMille, plutôt moins, ses indiens cruels nous étant décrits, avec un pittoresque qui met parfois mal à l’aise, presque comme des demeurés. Ceci étant dit, ça participe aussi de sa volonté à vouloir constamment mélanger souci d’authenticité et kitsch le plus extravagant ; il s’agit de sa patte reconnaissable entre toutes avec aussi sa tendance à l’emphase et son découpage assez théâtral en actes et scènes toutes d’importantes longueurs. Paradoxalement, alors que la première heure me semble parfaite en ce sens, d’une belle fluidité, la partie plus épique et la plus mouvementée en terme d’action me parait parfois se trainer et manquer singulièrement de vitalité et ce, à partir de la séquence de torture dans le camp indien. Car si B. DeMille n’a pas son pareil pour nous offrir de superbes tableaux par son génie du cadrage, du gros plan, du positionnement de ses acteurs et de la disposition des couleurs, je ne lui ai presque jamais trouvé un sens du rythme qui
me convienne d’où ses scènes d’action qui m’ont presque toujours déçu hormis dans
The Plainsman qui est pour moi, rappelons le, un modèle du genre.
‘The Perils of Paulette’ comme l’ont dénommé certains (en référence au serial ‘
The Perils of Pauline’) n’est finalement pas aussi ample, baroque et délirant que je l’aurais souhaité et si le ressenti final est positif, je ne peux m’empêcher de regretter plus de nervosité dans les morceaux de bravoure et plus de sérieux dans sa seconde partie que, soyez-en informés, beaucoup préfèrent d’ailleurs à la première. Concernant un casting plutôt correct à défaut d’être génial, Paulette Goddard, comme dans
Les Tuniques écarlates, a toujours tendance a en faire un peu trop mais elle reste néanmoins ici dans les clous, Gary Cooper est parfait en héros pur et dur même si son personnage manque d’épaisseur ainsi qu’Howard Da Silva qu’on se délecte à détester. Parmi les seconds couteaux, un Ward Bond trop en retrait, un Boris Karloff hiératique qu’on ne reconnait pas immédiatement sous sa coiffe d’inquiétant chef indien et la propre fille du réalisateur dans le rôle assez touchant de l’indienne, épouse du trafiquant d’armes et qui va se sacrifier par amour. Ils bénéficient tous de superbes costumes et progressent au milieu de magnifiques décors et de superbes paysages verdoyants pour notre plus grand plaisir. On trouve aussi au cours de la première heure pas mal de notations intéressantes, notamment sur l’établissement des frontières entre les états par des astronomes ayant du jongler avec pas mal de paramètres afin d’effectuer leurs tracés cartographiques.

DeMille était un plasticien hors-pair (je m'en suis rendu compte effectivement) et son ultime western est là pour nous le prouver,
Les Dix Commandements finissant d’entériner le fait dix ans plus tard ; concernant le reste, je vous laisse juge, le film ayant aussi bien ses admirateurs passionnés que ses violents détracteurs. Plus proche des premiers, j’arrive cependant à comprendre les arguments des seconds. Une chose est certaine,
Unconquered est du pur DeMille, ce qui confirme le statut d’auteur de ce dernier, un film d'aventure bariolé au charme certain à défaut de m'apparaître comme une oeuvre de première importance.