La Charge fantastique (They Died with their Boots On, 1941) de Raoul Walsh
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Sortie USA : 21 novembre 1941
Une hagiographie du tristement célèbre Général Custer qui s'avère être dans le même temps (même s'il ne s'agit pas de son thème principal) l'un des premiers grands westerns pro-indiens (la conclusion du film ne laisse planer aucun doute là-dessus) : quel beau paradoxe pour un très grand film !
En 1857, le fringant cadet George Armstrong Custer (Errol Flynn) arrive à la célèbre école militaire de West Point. Il s'y révèle aussi brillant dans le maniement des armes et des hommes qu’indiscipliné ; il est ainsi le plus mal noté des élèves de sa promotion. L’arrivée au pouvoir d'Abraham Lincoln provoque la guerre civile. Cantonné dans les bureaux à Washington, Custer ronge son frein mais, grâce au Général Winfield Scott (Sidney Greenstreet), il voit son rêve se réaliser : il est envoyé dans un régiment de cavalerie participant activement aux combats. En 1861, désobéissant aux ordres de retrait lors de la bataille de Bull Run, il attaque l’armée ennemie et en sort victorieux. Il reçoit ainsi sa première médaille. Custer est par erreur promu Général de brigade et, chargeant lui-même à la tête de ses troupes du Michigan, il provoque l’abandon de Jeb Stuart ; il permet ainsi aux camp nordiste de remporter une éclatante victoire à Gettysburg. Il devient dès lors un héros national et, à la fin de la Guerre de Sécession, épouse Elisabeth Bacon (Olivia de Havilland), qu’il avait rencontrée à West Point et dont il était immédiatement tombé amoureux. Custer refuse de cautionner les opérations financières louches d'une compagnie ferroviaire voulant profiter de la gloire nouvelle attachée à son nom. L'inactivité commence à lui peser et il se met à boire ; c’est Elisabeth qui va solliciter auprès des hautes instances militaires une nouvelle affectation pour son époux. Sacrifiant son confort, elle accepte de le suivre pour Fort Lincoln au Dakota où Custer va devoir désormais "pacifier" la région perturbée par le grondement de colère des tribus indiennes. Il fait régner une discipline de fer sur ses hommes, fait arrêter le chef sioux Crazy Horse (Anthony Quinn) et, sans se soucier des procédures légales, met fin au trafic d’armes et d’alcool qu’entretenait avec les Indiens son ennemi de toujours, Ned Sharp (Arthur Kennedy)... Crazy Horse s’évade et, lors d’une nouvelle rencontre avec Custer, lui promet que son peuple cessera les combats à condition qu’on lui laisse le petit territoire des Black Hills, sanctuaire pour son peuple. Par esprit de vengeance et afin que son vil commerce reprenne, Ned Sharp fait courir le bruit que de l’or a été découvert dans les Black Hills. Cette nouvelle provoque la ruée des prospecteurs et les Indiens qui avaient signé un traité de paix reprennent le sentier de la guerre. Après maintes autres péripéties, Custer décide de les affronter malgré l'infériorité numérique et, le 25 juin 1876, il se retrouve face à face avec Crazy Horse à Little Big Horn...

Voilà le résumé 'succinct' d’un scénario d’une richesse inouïe au niveau de l’intrigue, narrant en à peine 140 minutes vingt années de la carrière fulgurante et mouvementée de George Armstrong Custer. Il est clair que ce que nous montre Raoul Walsh de la Cavalerie américaine et de Custer est d’une totale fantaisie, une vision idéalisée et peu conforme aux faits. Mais l’on sait qu’un film ne doit pas nécessairement être le reflet exact d’une quelconque réalité pour pouvoir prétendre à la réussite ; la preuve flagrante se dévoile sous nos yeux avec le magistral
They Died with their Boots On. Il a souvent été question de révisionnisme à son propos. Cela aurait été le cas si le film avait pris la défense des Tuniques bleues et des politiciens en cautionnant les massacres des tribus indiennes. Il n’en est rien ! Walsh, prenant ses distances avec l’Histoire avec un mépris absolu du réel, et laissant tomber les aspects ambigus et contestés du vrai Custer, préfère en faire une figure épique et mythique chargée d’exprimer les valeurs qu’il juge essentielles (liberté et démocratie) et son culte de l’héroïsme. Nous nous trouvons ainsi devant une fresque biographique monumentale, une hagiographie "Bigger Than Life" nous mettant face à face avec un homme exubérant et éminemment sympathique qui ose dire ce qu’il pense, prenant fait et cause pour les Indiens, refusant toutes formes de compromissions et n’hésitant pas à aller à l’encontre de la hiérarchie pour foncer tête baissée et suivre ses propres instincts. Son sacrifice final voit la victoire des Indiens dont il s’était fait le défenseur mais nous savons très bien que ses derniers sont des morts en sursis : ils se firent par la suite massacrer ou parquer presque jusqu’au dernier.

Avec Michael Curtiz, Errol Flynn venait de tourner d’inoubliables grands films d’aventures et westerns. Fatigué de la direction dictatoriale de l’autrichien qui devait réaliser le film, Errol Flynn refuse de tourner une nouvelle fois avec lui.
They Died with Their Boots On marque donc la rencontre de l’acteur avec son second réalisateur d’élection, Raoul Walsh. Il marque aussi l’ultime rencontre de l’acteur avec celle qui fut sa partenaire d'élection, Olivia de Havilland : la dernière scène qu’ils partagent dans ce magnifique western est peut-être la plus touchante de toute la filmographie du cinéaste ; difficile de ne pas être profondément ému par ce moment assez unique ! Comment oublier le discours d’un Custer se sachant condamné, sa tendre déclaration d’amour à son épouse, leurs adieux et le travelling arrière qui clôture la séquence sur une Elisabeth bouleversée, pressentant avoir vu son mari pour la dernière fois de sa vie, ce qui provoque son évanouissement. Le très beau thème d’amour que Max Steiner a composé pour le film finit de rendre encore plus mémorables ces sublimes minutes. Notre élégant, vigoureux et charismatique moustachu tient ici l’un des plus beaux rôles de sa carrière. Dès sa première apparition (qui rappelle étrangement celle de d’Artagnan dans le roman d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires), il conquiert le spectateur : à la fois arrogant, prétentieux mais aussi brave, fier («
Je suis prêt à jouer s’il le faut mon argent, mon épée et ma vie mais jamais le nom que je porte »), naïf, noble («
La gloire a un avantage sur l’argent, on l’emporte avec soi en mourant ») et plein d’humour, il ne peut inspirer dès le départ que la plus profonde des sympathies. Adorateur de Murat, dont il aime à reprendre les tenues vestimentaires, survolté quand il chevauche au son du canon sabre en main, le Custer de Flynn est l’incarnation exemplaire du héros tel qu’aimait à le voir le public de l’époque. Sa gouaille, son rire, son sourire et son humour fonctionnent toujours autant sur les spectateurs que nous sommes aujourd’hui. Olivia de Havilland se tire très bien de ce rôle un peu ingrat car légèrement sacrifiée ; elle trouve même l’occasion d’être de la plus belle séquence du film déjà évoquée plus haut. Aux côtés de ce couple étincelant, nous trouvons une tripotée de seconds rôles tous excellents à commencer par un Sidney Greenstreet au meilleur de sa forme dans le rôle du Général Scott. Arthur Kennedy est un salaud assez convaincant même si un peu en retrait.

Cette succession de pages glorieuses, commencée dans la comédie assez débridée (que d’humour durant la première heure !) pour finir dans la tragédie, a bénéficié d’énormes moyens permettant d’en faire une fresque d’une grande envergure. Rude et sincère, d’une vigueur jamais démentie, d’un rythme constamment soutenu, le film de Walsh est presque irréprochable aussi bien en ce qui concerne son ample scénario que sa mise en scène. Ne s’embarrassant pas de psychologie, il fonce bille en tête et n’arrive pas à faire décrocher le spectateur pris dans un tourbillon de mouvements qui ne subit aucune baisse de régime. Non content de réaliser un spectacle parfaitement maîtrisé, il nous ravit en montrant à l’écran des Indiens dignes et braves : Crazy Horse n’est ainsi pas décrit comme un sauvage mais comme une figure noble, victime des Blancs et de l’Histoire, les trafiquants sans scrupules et les politiciens véreux étant montrés par Walsh comme les seuls responsables de ce désastre. Encore une preuve du non-racisme et du non-bellicisme du film à travers cette simple phrase de Custer-Flynn à propos des tribus indiennes en colère : «
Si j’étais à leur place, je ferais pareil ». Totalement fantaisiste mais pour la bonne cause !
Et qu’en est-il de cette "charge" justement, celle qui vient clore le film avec une belle splendeur épique et lyrique ? Le jeune général, ayant fait stopper son cheval qui glisse avant de s’arrêter, se retrouve seul au milieu de ses hommes (la plupart tombés à ses pieds), sabre à la main à côté du fanion du 7ème de cavalerie, la chanson irlandaise Garryowen (devenue entre-temps l’hymne du régiment) se faisant entendre avec force persuasion par derrière. Cette image ayant valeur d’icône de l’héroïsme possède une puissance étonnante. Mais laissons s’exprimer, à propos de la mise en scène de cette séquence qui résume assez bien le style du réalisateur à son apogée, l’un des journalistes ayant le mieux écrit sur Raoul Walsh, Jacques Lourcelles : «…
la charge finale où triomphe le style unique de Walsh, alliant comme personne n’a su le faire l’ampleur à la trépidation, la frénésie des plans rapprochés à la sérénité grandiose des plans d’ensemble, véritables tableaux, égaux en génie à la plus belle peinture américaine, et, par exemple, à celle de Remington que Walsh adorait. »
Petit bémol pour conclure cet avis. Le fait de les voir dans l'ordre de leurs sorties et l'ayant donc visionné peu de temps après les westerns que Flynn tourna avec Michael Curtiz, je dois avouer désormais une petite préférence tout à fait subjective pour la mise en scène des westerns de ce dernier plus sensible à l'aspect plastique, plus racée et plus virtuose, celle de Walsh semblant plus rustre en comparaison. Cette différence se retrouve également dans des éléments à priori anodins comme les toiles peintes ou la musique, beaucoup moins poétiques et délicates ici que dans
Virginia City par exemple. Bref, un très grand film que j'aurais néanmoins voulu voir réalisé par le réalisateur d'origine autrichienne. Attention cependant, j'adore le cinéma de Raoul Walsh, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
