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Critique de film
Le film

Rébellion

(Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu)

L'histoire

Japon, 1725, sous l’Ere Edo. Fatigué par les intrigues de clan, le sabreur Isaburo Sasahara décide de prendre sa retraite. Peu de temps après, le seigneur répudie son épouse Dame Ichi et demande que Yogoro, le fils de Sasahara, la prenne pour femme. Les Sasahara hésitent, car nul n’ignore la tendance de la jeune femme à la rage hystérique, mais finissent par accepter. A leur grande surprise, elle se révèle une épouse modèle, qui donnera naissance à une petite fille et apportera le bonheur dans leur foyer. Pourtant, deux ans plus tard, le seigneur exige son retour au château.

Analyse et critique

Rebellion peut être mis en parallèle avec son jumeau, réalisé cinq ans auparavant, Hara-Kiri (aka Seppuku, 1962). Tous deux se présentent comme des critiques du système féodal nippon et la révolte d’un homme face aux puissants, c'est-à-dire la contestation d’un système où les hommes naissent avec une fonction et les devoirs qui leur échoient, et où la notion de choix individuel est une hérésie. Il s’inscrit dans le genre du Jidai Geki, terme que l’on traduira par ‘film historique’. Si le genre avait connu le succès avant guerre, sa production avait été totalement interdite durant l’occupation par le SCAP – ‘Commandement des Forces Alliées’ – qui craignait que ces films ne se révèlent être un vecteur de propagande pour les valeurs féodales traditionnelles. Le Jidai Geki connut donc un renouveau au début des années 50 à la suite du succès international de Rashomon d’Akira Kurosawa. Kobayashi lui-même servit brillamment le genre avec Hara-Kiri. Mais au moment d’entamer la production de Rebellion, le Jidai Geki commençait à tomber en désuétude, et la Toho se montra plus que réticente à l’idée de financer ce projet coûteux, qui fut en fin de compte sauvé par l’implication de la compagnie Mifune Prodctions que venait de fonder Toshiro Mifune. (1)

On l’a dit, Rebellion, de même que Hara-Kiri, critique le système féodal, et par conséquent tout un pan du film de samouraïs traditionnel, mais il s’inscrit aussi dans une tradition, car les histoires de sabreurs révoltés fleurissaient déjà dans les années 20. Ceux qui attendent de voir s’enchaîner les affrontements et s’entrechoquer les lames seront donc déçus, car Rebellion ne se situe pas tout à fait dans cette catégorie, encore que l’assaut final de la maison des Sasahara et le tant attendu face à face Mifune/Nakadaï tiennent leurs promesses. L’intérêt est ailleurs, sans soute dans le parcours de cet homme, magnifiquement campé – mais ça n’étonnera personne – par Toshirô Mifune, un homme qui après une vie passée au service de son seigneur se voit dépossédé de ce qui lui apportait de la joie au crépuscule de son existence, une famille recomposée, un petit fils, et indirectement son ami de longue date, qui périra de sa propre main… C’est pourtant la perte de toutes ces valeurs féodales en lesquelles il croyait qui lui permettra de se réaliser finalement en tant qu’être humain, et dont les dernières paroles seront ‘pour la première fois, je me sens vraiment vivant’. Sasahara, personnage camusien ne trouvant son salut que dans la révolte. Mais une révolte dont la portée est hélas limitée. Car comme dans Hara-Kiri, où toute trace du combat final est effacée, et où l’on donne aux seppukus des motifs ‘honorables’, Masaki Kobayashi insiste sur le fait qu’aucune trace ne sera conservée de ces barouds d’honneur, car seuls les seigneurs écrivent l’histoire.

Masaki Kobayashi conte cette tragédie avec épure, et la force de son sens visuel fait encore une fois merveille. On notera par exemple ces magnifiques plans contemplatifs sur les toits, construisant un univers cloisonné souvent filmé en contre-plongée, d’où toute échappatoire est exclue. Ces plans, cadrés dans un scope noir et blanc réellement impressionnant, servent une intrigue sans doute moins alambiquée que celle de Hara-Kiri, mais dont la narration n’en reste pas moins admirable. Si celui-ci comportait de nombreux flash-backs se mêlant avec subtilité à la narration, Rebellion ne comprend qu’un unique retour en arrière, mais dont se souviendront tous les spectateurs : l’explication, toute en sobriété et arrêts sur image, exprime bien mieux le destin tragique de Dame Ichi et son expulsion du château qu’une longue séquence mélodramatique. Mais il faut également relever l’utilisation de la musique de Toru Takemitsu, qui au lieu de surligner lourdement l’action préfère œuvrer dans le minimalisme. Comme le confiait Kobayashi, ‘Avant de travailler avec Takemitsu,
mes films
débordaient de musique. Ce débit incessant tend à devenir

monotone. Mais Takemitsu s’en sert afin de rompre la monotonie. Les moments où il place la musique prennent le spectateur par surprise, et le réalisateur se dit « C’est extraordinaire ! Il est parvenu à insuffler de la vie à cette séquence. »’
(2)

Un film austère, donc, mais à la grande beauté plastique, d’une plus grande sobriété que son aîné Hara-Kiri, mais qui n’en reste pas moins passionnant pour qui se laissera porter par ce Jidai Geki servi par un trio d’interprètes remarquable.

1. Stuart Galbraith IV, The Emperor and the Wolf: The Lives and Films of Akira Kurosawa and Toshiro Mifune ( Faber and Faber, 2001), p. 410
2. Op. cit. page 415

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Frank Suzanne - le 25 octobre 2005