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Critique de film
Le film

Rachel et l'étranger

(Rachel and the Stranger)

L'histoire

Dans les paysages sauvages de l’Ohio à l’époque des pionniers, David Harvey (William Holden) vient de perdre sa femme et se retrouve seul avec son fils. Son épouse défunte ayant toujours souhaité que son garçon ait une bonne éducation malgré leurs conditions de vie difficile, David décide d’aller chercher une nouvelle épouse en ville malgré les protestations de son rejeton qui ne désire pas de remplaçante pour sa mère. Pour respecter les traditions, on le marie à Rachel (Loretta Young), servante qu’il rachète pour l’emmener dans ses montagnes. La vie reprend donc son cours mais les deux "hommes" se montrent froids et distants envers Rachel, la traitant plus en esclave et femme d’intérieur qu’en épouse et mère. Il faudra l’arrivée de Jim (Robert Mitchum), un trappeur et le meilleur ami de David, et son incrustation dans la famille suite à son béguin pour Rachel qu’il traite comme une reine, pour éveiller en David des sentiments insoupçonnés : la jalousie, le respect et l’amour. Rachel devient donc le déclencheur d’une prise de conscience au sujet du véritable rôle de la femme au sein de la famille mais aussi un “objet” de rivalité entre les deux amis qui étaient déjà auparavant entrés en “compétition amoureuse” pour la défunte…

Analyse et critique

Après L’Ange et le Mauvais Garçon de James Edward Grant et Four Faces West de Alfred E. Green, c’est avec Rachel and the Stranger la troisième fois en à peine deux ans que le western tente d’éradiquer la violence de ses intrigues. Ce sont trois westerns que l’on pourrait qualifier de ‘familiaux’, se focalisant plus sur les romances et histoires d’amitié que sur toute autre chose, les scènes d’action étant quasiment inexistantes. Sans atteindre loin de là des sommets, ce sont trois westerns assez inhabituels pour l’époque, tous trois très agréables à suivre notamment grâce à leur interprétation. Après John Wayne et Gail Russell, Joel McCrea et Frances Dee, nous avons affaire ici à un trio composé de William Holden et Robert Mitchum, tous deux tournants autour de Loretta Young qui avait déjà été trois ans plus tôt l’héroïne de Along Came Jones aux côtés de Gary Cooper. Moins touchant que L’Ange et le Mauvais Garçon, moins ‘radical’ que le curieux Four Faces West qui ne dérogeait jamais à son idée de départ (aucun coups de feu, aucune méchanceté), Rachel and The Stranger n’en est pas moins un assez joli film qui pourra plaire même à ceux qui ne supportent pas le genre car, hormis le décorum et une attaque indienne vers le final, le reste du canevas aurait très bien pu se dérouler à une autre époque et en un autre lieu.

A travers le bref aperçu de l’intrigue, on devine que le "blacklisté" Waldo Salt a écrit (sans être crédité, liste noire obligeait) un joli scénario, légèrement ambigu (grâce au personnage de Robert Mitchum), sensible, féministe et progressiste, s’attaquant à toutes formes de préjugés (notamment le machisme, Loretta Young fustigeant à un moment donné la virilité avec virulence) et plutôt atypique à l’intérieur du genre (certains n'y verront d'ailleurs sans doute pas un western). Dans une veine identique à celle qu’avait tracé L’Ange et le Mauvais Garçon l’année précédente, un western pudique (superbe première séquence au cours de laquelle on apprend la mort de la première épouse), tendre et apaisé avec un arrière fond de chronique paysanne américaine comme avait pu l’être le magnifique Jody et le Faon (The Yearling) mais qui n’arrive malheureusement pas à concrétiser toutes ses promesses par la seule faute d’une mise en scène sans éclat de Norman Foster et l’ajout pour le final d’une scène d’action malvenue et techniquement sans relief, très certainement amenée là pour satisfaire les amateurs d’émotions fortes qui devaient jusqu’alors se sentir lésés. Très dommage d’autant que le dernier quart d’heure se trouve franchement gâché par cette intrusion de la violence qui n’avait pas lieu d’être et qui se révèle de plus être très banale et sans véritable puissance dramatique.

Mais en oubliant ce final sans intérêt, une bien jolie histoire mettant en scène dans de beaux décors naturels (le fort que l’on atteint en traversant le fleuve à l’aide d’un bac, la cabane pas loin de la rivière…) trois personnages très bien croqués, interprétés avec énormément de conviction par William Holden, Loretta Young et un Robert Mitchum charismatique qui en profite pour nous faire découvrir un autre de ses grands talents, celui de chanteur. C’est avec ce film une première ; pour l’occasion, il interpréte ici pas moins de six très courtes chansons non plaquées mais au contraire parfaitement intégrées à l’intrigue dont la superbe « Foolish Pride ». C’est aussi la première fois qu’il tient son rôle ‘d’ambigu nonchalant’ pour lequel on l’appréciera tant tout au long de sa fabuleuse carrière. Alors qu’il était on ne peut plus sérieux dans Pursued (La Vallée de la Peur) de Raoul Walsh, ici, en habit de ‘pasteur’, avec son flegme légendaire et sa voix traînante, il préfigure également un peu son personnage de La Nuit du Chasseur et il n’est d’ailleurs pas impossible que Charles Laughton se soit inspiré d’un plan de ce film lorsqu’on voit en contre plongée arriver le grand Bob à cheval en chantant. Il se trouve aussi un quatrième important protagoniste, un jeune garçon plutôt bien campé par l’espiègle Gary Gray. Ce quatuor nous octroiera 80 minutes durant, charme, cocasserie et tendresse avec néanmoins quelques séquences équivoques lorsque Jim tente de séduire Rachel.

Car le cœur de l’intrigue est constitué par ce triangle amoureux pour le moins amusant. Le brave David (William Holden) est un homme de principes assez rigide ; il découvre qu’il existe de l’amour entre lui et la femme qu’il a été obligé d’épouser (pour les convenances) suite à la jalousie qu’il éprouve dès l’arrivée de Jim (Robert Mitchum), son meilleur ami, qui vient passer quelques jours en leur compagnie. En effet ce dernier avait déjà essayé de lui prendre sa première femme défunte et il tente de recommencer avec Rachel. Bien plus civilisé que David, parfaitement éduqué, d’une galanterie incongrue dans la région, Jim plait immédiatement à Rachel. Alors que David se comportait comme un rustre envers Rachel, on le voit maintenant changer de comportement du tout au tout mais avec une maladresse assez touchante, se mettre à avoir des intentions, lui mettre la main sur l’épaule, la remercier… Une espèce de combat de coqs s’engage, qui finit par se transformer en un véritable pugilat mais cette rivalité est vue avec beaucoup d’humour et de légèreté. On comprend d’autant moins ce que vient faire l’attaque des Shawnees par là-dessus mais nous en avions déjà parlé. Bref, malgré la fadeur de la réalisation et un final bâclé, une assez belle réussite qui fut non moins que la plus grosse recette de la RKO en cette année 1948 !! Loin d'être inoubliable mais d'une fraîcheur pas déplaisante !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 septembre 2006