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Critique de film
Le film

Mandrin

L'histoire

Louis Mandrin, tonnelier de son état, s'insurge contre l'oppression militaire et économique qui accable le bon peuple de France. Déclaré hors-la-loi, il prend la tête d'une armée de fortune, paysanne et prolétarienne, pour défier l'autorité royale. Partagé entre Antoinette, sa fiancée, et Myrtille, une Bohémienne, il devra composer avec une réputation de « Robin des Bois ».

Analyse et critique

Jean-Paul Le Chanois, comme Claude Autan-Lara, Marcel Carné, Jean Delannoy ou Julien Duvivier, fait partie de ces réalisateurs très actifs de l'après-guerre. Il n'y a pas eu de véritable renouvellement générationnel : il faudra attendre la Nouvelle Vague pour que cette question, enfin posée, fâche et trouve sa réponse artistique. Très productif durant les années 1950 (1), Jean-Paul Le Chanois a débuté sa carrière cinématographique à bonne école : aux côtés de Jean Renoir. Lié au groupe Octobre, communiste, il filme la Résistance, celle du Vercors, avant de rejoindre le fameux Comité de Libération du Cinéma Français. Ce Comité, qui influera d'une manière décisive sur la représentation cinématographique, et donc plastique, de la France résistante, lui permit de se constituer un réseau et une stature qu'il avait tout juste commencés à mettre en place. Jusqu'aux années 1950 donc, Jean-Paul Le Chanois réalise des films qui s'efforcent d'articuler esthétique et discours social. Le néoréalisme italien est alors en plein essor.

Les succès populaires qu'il obtient par la suite sont dus à une intelligente alchimie entre comédie de mœurs et problèmes contemporains - Papa, maman, la bonne et moi (1955), Le Cas du docteur Laurent (1957), Par-dessus le mur (1961). En ce sens, Mandrin, qui date de 1962, est un film à part dans sa filmographie : à la différence d'un André Hunebelle ou d'un Delannoy, Le Chanois n'a jamais véritablement goûté aux films de cape et d'épée. Arrivé sur le tard donc, il bénéficie de la popularité d'un genre en pleine apogée. Fanfan la Tulipe (1952), Les Trois mousquetaires (1953), Le Vicomte de Bragelonne (1954), La Tour, prends garde ! (1957), Le Bossu (1959), Le Capitan (1960), Le Capitaine Fracasse (1961)... Des classiques encore acclamés à notre époque, chorégraphiés presque toujours par Claude Carliez, maître d'armes de génie. Un compromis sera adopté par Jean-Paul Le Chanois : d'accord pour faire un film de cape et d'épée, mais sur un héros populaire, non-noble.


Car finalement, qui est Mandrin ? Et pourquoi avoir choisi ce personnage plutôt qu'un autre ? Originaire du Dauphiné, Louis Mandrin serait né aux alentours de 1725. (2) Bagarreur, il s'oppose rapidement aux paiements d'impôts et incarne la colère du peuple contre le fisc. Il intègre logiquement des groupes de contrebandiers, joignant ainsi le geste à la parole, et en devient le chef. À la tête d'une armée de plusieurs centaines d'hommes, il harcèle les fermiers généraux, organise des ventes publiques de biens importés de Suisse et de Savoie. Le peuple se reconnaît en lui, Voltaire le chante, Louis XV s'inquiète. Alors qu'il est finalement arrêté puis condamné à mort, son œuvre contestataire, véritable précurseur de l'action directe, sera réinvesti durant la Commune de Paris. Resté populaire en Dauphiné et en Savoie, Mandrin l'est beaucoup moins dans le reste de la France. Originaire de Passy, pays du Mont-Blanc, Jean-Paul Le Chanois a manifestement voulu revitaliser cette figure polymorphe du « bandit des pauvres », du « Robin des bois français ».


Pour exploiter une figure mythique, autant ne pas trop s'embarrasser d'Histoire. Clairement, Mandrin n'est ni une reconstitution historique, ni un exposé fidèle. Ce qui compte, et ce qui sera développé, c'est la révolte d'un homme rendant possible la révolte des hommes. L'expérience maquisarde de Le Chanois trouve son écho dans les escarmouches opérées par les troupes de Mandrin, véritables batailles rangées. L'idéalisme, qui fait partie intégrante de la construction narrative du film, a pour conséquence de transformer un contrebandier, certes incarnation des intérêts économiques de la paysannerie du XVIIIème siècle, en un héros prolétarien. C'est tout l'intelligence de Mandrin, d'avoir réussi à exploiter un genre relativement dépolitisé pour en faire une comédie populaire de classe. Il n'est qu'à voir les séquences où Jean-Paul Le Chanois montre comment le nom de Mandrin se fait connaître à travers toute la région, sur fond de « Bonnes gens gardez l'espérance / Rejoignez les soldats de Mandrin », pour s'en convaincre. Reprenant La complainte de Mandrin, chant populaire de la Commune de Paris, mais avec des paroles inédites, le thème du film illustre le procédé idéologique du film : un ensemble (personnages, codes, décors, musique) au service d'un message. Ici, les psychologies et les destins seront totalement codés : les nobles, exception faite d'un idiot de marquis et d'une belle « traitre à sa classe », sont mauvais, les paysans sont bons, la luxure et le cynisme seront sanctionnés par la mort, la recherche du bien commun trouvera sa récompense dans et par la lutte.


Les Bohémiens, présents dans le film, correspondent eux aussi à un type prédéfini. C'est peu dire que Mandrin n'est pas un film réaliste : comique, il l'est par la qualité de ses dialogues et la naïveté des épisodes. La violence, par exemple, n'est pas représentée : qu'elle soit économique ou physique, nulle figure émaciée, nulle perle de sang. Tout juste quelques vêtements salis, tout juste quelques éraflures. Les personnages agonisent à loisir, ayant tout juste le temps d'adresser un salut fraternel aux camarades poursuivant la lutte. Le risque, justement pointé par Le Canard enchainé (26 décembre 1962), est bien évidemment de faire passer une révolte paysanne qui a secoué toute une partie de la France pour une joyeuse vengeance potache.

On l'aura compris, Mandrin ne brille pas par son génie : faux raccords, manque de figurants, plans masquant à peine de multiples défauts techniques, problèmes de post-synchronisation... L'agilité de Georges Rivière compense mal le jeu des acteurs secondaires : seul Georges Wilson, à la rigueur, tient son personnage. Les scènes de combat, pourtant orchestrées par Claude Carliez, sont trop convenues. Seul reste l'enthousiasme, qui transpire de ce film qu'on imagine tourné dans la bonne humeur. Un message politique et humain relativement consensuel, qui saura amadouer les plus réfractaires, et une vision populaire de l'Histoire, qui en elle-même reste intéressante. En ces temps apathiques et cyniques, c'est un visionnage divertissant et salutaire que nous offre Gaumont. Mandrin, reviens, ils sont devenus fous !


(1) Une très bonne biographie de Jean-Paul Le Chanois, écrite par Philippe Renard et préfacée par Gérard Oury, s'appelle justement Un cinéaste des années 50 : Jean-Paul Le Chanois.
(2) L'opuscule « Abrégé de la vie de Louis Mandrin, chef de contrebandiers en France » est disponible dans la collection Allia.

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La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 17 mars 2016