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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Feux de l'été

(The Long Hot Summer)

L'histoire

Ben Quick (Paul Newman) est un jeune fermier itinérant ; il n’arrive jamais à se fixer très longtemps par le fait d’être chassé de chaque ville peu de temps après son arrivée. En effet, sa réputation d’incendiaire (qu’il tient en fait de son père) fait qu’à chaque feu déclenché on l’accuse du méfait. Il arrive à Frenchmen’s Bend (Mississippi) où il se fait prendre en stop par deux jeunes femmes, Eula (Lee Remick) et Clara (Joanne Woodward), respectivement fille et belle-fille de Will Varner (Orson Welles), l’homme qui tient la ville sous sa coupe et qui règne en despote sur sa propre famille. Ayant appris la venue de Ben et connaissant le vagabond de renom, afin de le mettre dans sa poche plutôt que de se faire incendier son domaine Will lui offre une habitation et un travail. Son rêve étant de s’assurer une descendance nombreuse et vigoureuse, il pousse sa fille dans les bras de ce "bel étalon" qu’il sent capable de lui donner de beaux garçons en pleine santé. En effet, il ne compte plus pour cela ni sur son fils, le faible Jody (Anthony Franciosa), malgré le fait que l’épouse de ce dernier soit sensuelle en diable, ni sur le riche fiancé actuel de sa fille Clara (Richard Anderson), trop proche de sa mère et probablement impuissant. Arriviste, Ben approuve les idées et les désidératas de son employeur ; le voilà non seulement gérant d’un de ses magasins mais invité à venir vivre dans sa demeure. L’ambiance au sein du domaine risque d’être chaude et tendue, Jody en ayant assez de se faire humilier et de se voir prendre sa place au sein de la hiérarchie familiale par un étranger sans scrupules...

Analyse et critique

Improbable et détonante fusion "sudiste" entre William Faulkner (l'histoire du film est une mixtion de plusieurs nouvelles de l'écrivain), Tennessee Williams (pour l'ambiance délétère et tendue) et Erskine Caldwell (pour l'humour et le monde décrit aux alentours), le troisième film de Martin Ritt oscille ainsi sans cesse entre drame, chronique et bouffonnerie. Pas toujours satisfaisant du fait de ne sembler jamais savoir sur quel pied danser, The Long, Hot Summer est néanmoins souvent fort réjouissant, démontrant une fois encore le talent, pourtant très souvent critiqué par la critique française, de ce metteur en scène venu de la télévision au milieu des années 50 en compagnie d'autres cinéastes de sa génération issus du même vivier : Delbert et Daniel Mann, Sidney Lumet ou Arthur Penn. Claude Chabrol dans les Cahiers du Cinéma (N°150) écrivait à propos de la filmographie du réalisateur : "Tout dans cette œuvre n'est que petitesse, grisaille et médiocrité." Il est possible que ce soit le cas pour le remake qu'il fit de Rashomon de Kurosawa (The Outrage en 1964) ou son adaptation de The Sound and the Fury de Faulkner qui font vraiment l'unanimité contre eux, mais des films comme Paris Blues, Hud (Le Plus sauvage d'entre tous), L'Espion qui venait du froid, Hombre ou Norma Rae ne méritent pas d'être expédiés de la sorte tandis que The Molly Maguires (Traître sur commande), son chef-d'œuvre, est même digne de tous les éloges.

Né à New York, Martin Ritt fut tout d'abord garçon boucher (une de ses aventures qu'il eut au sein de cette profession serait à l'origine de l'idée de départ du scénario de Marty de Delbert Mann). Il fit ensuite des études de droit avant de se lancer dans le métier de comédien, d'abord au théâtre (entre autres sous la direction d'Elia Kazan) puis au cinéma pour quelques films. Il passa ensuite à la mise en scène, toujours au théâtre, avant de s'installer définitivement derrière la caméra. Son premier film date de 1957 et se déroulait dans le milieu du syndicalisme des dockers avec Sidney Poitier en tête d’affiche ; Edge of the City (L'Homme qui tua la peur) obtint un succès d’estime. Pour ce coup d’essai, on loua surtout la formidable direction d’acteurs de Martin Ritt. Et c'est effectivement sur ce point que Les Feux de l'été se fait le plus remarquer. Si le cinéaste est un mal aimé de la critique française, il n'en est rien aux Etats-Unis puisque ses "films de prestige" récoltèrent une moisson d'Oscars, Paul Newman remportant même le prix d'interprétation masculine à Cannes pour justement The Long, Hot Summer. Quoi qu'il en soit, on ne pourra pas reprocher au réalisateur son caractère ; cinéaste réputé pour sa gentillesse et sa discrétion, il demeurera toute sa vie fidèle à ses idéaux "gauchistes", aussi bien dans sa vie privée que professionnelle (il en payera les pots cassés puisqu'il fera partie de la tristement fameuse "Liste noire").

Les Feux de l'été est non seulement son premier film avec le couple Paul Newman / Joanne Woodward (qui, pour la petite histoire, se forma aussi dans la vie à l'occasion de ce tournage) mais également avec un duo de scénaristes qui écrivit toujours ensemble et auquel il restera très souvent fidèle : Irving Ravetch et Harriet Frank Jr., dont l'autre titre de gloire dans le mélodrame en dehors des films de Martin Ritt fut le mémorable Celui par qui le scandale arrive (Home from the Hill) de Vincente Minnelli. Les Feux de l'été fait partie de toute une vague de mélodrames produit par Jerry Wald, homme qui s'était spécialisé dès les années 40 dans ce genre dont les beaux jours eurent lieu durant les années 50 en parallèle avec l'apparition du Cinémascope. Pourtant, si l'on compare souvent ce film avec les mélos de Minnelli, les "soap operas" tel Peyton Place de Mark Robson, Picnic de Joshua Logan, voire encore les adaptations de Tennessee Williams par Richard Brooks, il s'en éloigne pourtant beaucoup à mon avis par le fait de ne pas sembler rechercher la tension, le drame ni le lyrisme à tout prix, paraissant parfois même parodier ces modèles en les dynamitant par un humour presque vulgaire. Martin Ritt marche (expressément ou non)  sur une corde raide, tanguant sans cesse entre mélodrame et comédie acerbe, voire clownesque : "A Fun Southern Soap" ai-je lu sous la plume d'un internaute ; une expression qui me semble parfaitement résumer le ton et l'ambiance de ce film !

Ce qui est certain c'est qu'il ne faut pas penser y retrouver l'univers de Faulkner, même si le film adapte quelques-unes de ses nouvelles dont Barn Burning et The Spotted Horses ainsi surtout que son roman The Hamlet. On se rapproche effectivement plus du Picnic de Joshua Logan - sans pourtant presque jamais sombrer dans le ridicule total de ce dernier - et de l'univers du dramaturge Tennessee Williams version Richard Brooks - le film fait souvent penser à La Chatte sur un toit brûlant (The Cat on a Hot Tin Roof) avec également Paul Newman en tête d'affiche. L'histoire est celle d'un homme dont l'arrivée dans une petite ville du Sud des Etats-Unis va troubler l'ordre établi et perturber la vie de la famille "dirigeante". Sa réputation d'incendiaire le précédant partout où il passe (et même si elle est infondée), il est immédiatement soupçonné par la population et il lui faut une force de caractère hors du commun pour passer outre les mauvaises langues et pour arriver à se faire une place au sein de cette communauté qui lui est d'emblée hostile.

Ben Quick, ce "banni" a priori invulnérable et dépourvu d'humanité, ne se laisse jamais démonter, s'étant probablement forgé son tempérament impassible à force de se voir rejeté de partout et de se retrouver constamment isolé. D'une intelligence remarquable, il a des idées précises et bien arrêtées sur ce qu'il veut obtenir. Ambitieux, cynique, arrogant, jouant à la perfection de son corps musclé et de son sourire enjôleur, il est sûr de lui, de son charme, de son humour et de son pouvoir d'attraction sexuelle : « Well, I can see you don't like me, but you're gonna have me. It's gonna be you and me... » dit-il à Clara, la femme qui le ferait accéder au sommet des affaires de la ville tout en satisfaisant sa quête de pouvoir et d'honorabilité. Paul Newman est parfait dans ce rôle, jouant de son regard électrique, de son sourire carnassier, de sa virilité affichée et de la manière de faire tomber son chapeau juste au-dessus de ses yeux. A priori un arriviste sans scrupules qui, par roublardise, arrive à se faire apprécier de l'homme qui tient la ville sous sa coupe afin d'arriver à se faire ouvrir les portes de la famille ; il sera le révélateur de la personnalité cachée de chacun, déclenchant conflits et catharsis qui permettront un dénouement heureux et apaisé ; un happy-end cependant sacrément raté, à l'opposé du ton qui régnait jusqu'à présent sur l'histoire. Pour en finir avec Ben, s'il pouvait passer pour un homme tout à fait haïssable, par l'intermédiaire de Clara il révèlera pourtant quelques trésors cachés d'humanité et d'éthique sous sa dure carapace : « Story of my life. Why don't nobody ever wanna talk to me peaceable ? » Ces révélations au compte-gouttes nous rendent le personnage attachant et nous permettent de nous y raccrocher puis de continuer à suivre son parcours avec empathie.

Le patriarche despote, c'est un hallucinant Orson Welles dont le cabotinage à outrance sera jugé soit foncièrement agaçant ou bien fortement jubilatoire. Grâce à (ou à cause de) ce personnage haut en couleur, vulgaire et picaresque, Les Feux de l'été ne sombre jamais dans le drame et c'est lui qui tire même le film vers le cocasse. Will Varner est une sorte de Falstaff moderne, grossier et surexcité, qui quand il arrive en ville le fait savoir à tous les habitants à coups de klaxon, et dont le jeu favori une fois entré chez lui est de chercher avec délectation à humilier les membres de sa famille. Orson Welles s'amuse comme un petit fou à faire le bouffon, d'autant que les maquilleurs lui ont octroyé un faux nez grotesque et enduit son visage de fond de teint afin qu'il puisse en faire des tonnes dans ce personnage qui a presque vingt ans de plus que l'âge que le comédien avait à l'époque. Amateurs de finesse, passez votre chemin ; Welles endosse ici le rôle souvent dévolu à Burl Ives mais avec une exagération disproportionnée qui fait que le film est un véritable festival dédié au comédien. Il faut dire que le personnage qu'il interprète vaut son pesant de cacahuètes ; Will Varner qui ne cherche qu'à se faire respecter en utilisant l'intimidation passe son temps à intriguer, à s'amuser à rabaisser ses proches, à leur faire des suggestions immorales. Il faut l'avoir vu se moquer de son fils en sachant que ce dernier s'est fait rouler dans la farine par Ben (désopilante séquence de la "chasse aux trésors"), proposer à sa fille de mettre Ben (« A big stud horse ») dans son lit, se réjouir de voir, sous le nez même de son époux, sa belle fille Eula se faire siffler par une bande de jeunes loups en rut cachés derrière la haie du jardin où toute la famille est attablée (« They don't have to see her, they can smell her »). Eula est campée par une Lee Remick que nous n'aurons plus souvent l'occasion de voir dans un rôle aussi déluré ; écervelée et ô combien sensuelle, elle est une sorte de Red Hot Riding Hood de Tex Avery, éveillant sans cesse les sens de son époux mais se refusant à lui au dernier moment.

Mais le gros Will nous apparaît néanmoins sympathique lorsqu'il se trouve en compagnie de sa maîtresse remarquablement interprétée par Angela Lansbury, dont on aurait souhaité qu'elle eusse eu un rôle plus étoffé. Sa présence aimante aux côtés de ce monstre d'abjection adoucit ce dernier et le rendrait presque humain le temps de quelques instants. Son idée fixe de se faire épouser par Will fait de ce personnage secondaire l'un des plus attachants de cette histoire, comme l'était la même année celui assez ressemblant de Marlene Dietrich face encore à Orson Welles dans La Soif du mal (Touch of Evil). Restent les personnages des deux enfants du patriarche, respectivement joués par Anthony Franciosa et Joanne Woodward. Le fils Jody est l'homme faible de la famille, celui que son père aime par-dessus tout harceler moralement devant les autres ; un rôle pas évident dont le comédien se sort avec les honneurs même s'il semble ne pas faire le poids face à ses prestigieux partenaires. Dommage que la dernière séquence qu'il partage avec Orson Welles soit aussi invraisemblable, voire même ridicule comme d'ailleurs toutes les dernières minutes du film. L'homme "qui faillit être son beau-frère" est interprété par Richard Anderson dans le rôle d'un riche prétendant d'âge mûr toujours sous la coupe de sa mère et probablement impuissant ou homosexuel ; les scénaristes ne donneront pas assez d'informations supplémentaires à ce sujet.

Enfin, puisque nous avons fait le tour de tous les protagonistes principaux de l'intrigue, reste celui qui nous démontre que tout n'est pas pourri au sein de la famille Varner et qu'il subsiste un ilot d'espoir et de douceur confiné mais bien réel à l'intérieur de ce petit monde mal dégrossi ; et c'est Clara qui offre à Joanne Woodward l'un de ses premiers grands rôles. Institutrice âgée de 24 ans, de prime abord assez vulnérable, elle est pourtant la seule à tenter de résister à son père. Si elle est toujours vierge, ce n'est pas par choix mais parce ce qu'elle ne souhaite pas aller avec le premier venu. Il suffit d'entendre la conversation qu'elle a au début du film avec une amie pour se rendre compte qu'elles parlent de sexe sans honte ni gêne, ne s'encombrant pas de détours. C'est juste qu'elles voudraient qu'apparaisse dans leur vie un homme moins vulgaire que ceux qui hantent leur patelin, pour assouvir leurs désirs bien réels sans avoir l'impression de se souiller : « I'm not trembling little rabbit, full of smoldering unsatisfied desires but a full-grown, intelligent woman, who will not be bought and sold... » dira Clara à Ben qui la considère à tort comme une fille "coincée". C'est d'ailleurs elle qui lui apprendra l'humilité et la dignité ; en retour, en toute fin de film, il lui fera découvrir la sexualité qu'elle acceptera enfin après que Ben a dévoilé son humanité. Femme intelligente aux principes nobles, elle est déterminée et ne sombre jamais dans la voie que souhaiterait lui voir prendre son père, qui ne compte sur elle uniquement que pour "s'accoupler et lui donner des petits-fils". « I've spent my whole life around men who push and shove and shout and think they can make anything happen just by being aggressive, and I'm not anxious to have another one around the place. » Un bien beau personnage que les scénaristes ont offert à Mme Paul Newman !

Les Feux de l'été est un film d'acteurs avec comme il se doit une interprétation de haut niveau. Le scénario n'est pas toujours très fluide, ressemblant parfois à une suite de sketchs (la vente des chevaux, la chasse au trésor...), mais l'ensemble bien que bancal est loin d'être déplaisant d'autant que Martin Ritt s'avère loin d'être médiocre derrière sa caméra, qu'Alex North nous gratifie d'un superbe score (en plus de la chanson titre écrite par Sammy Cahn et interprétée par Jimmie Rodgers) et que Joseph LaShelle nous délivre une splendide photographie. La douce campagne verdoyante du Mississippi est magnifiée par une très belle utilisation du Cinémascope et un Technicolor resplendissant ; même s'il est dommage que les plans rapprochés soient souvent tournés en studio, ce qui vient casser un peu l'harmonie plastique de l'ensemble. Il s'agit d'une œuvre moins forte que ce à quoi l'on s'attendait en s'imaginant tomber sur un mélodrame flamboyant à la Minnelli, mais on se délecte d'un récit sans arrêt cocasse et aux dialogues qui font mouche. On peut regretter que les tentatives de faire poindre l'émotion soient moins réussies que le reste (hormis les séquences réunissant les deux amants à la ville) et aboutissent à un final aussi pénible, et notamment la réconciliation hautement improbable et grand guignol entre le père et le fils. Si vous savez d'emblée qu'il ne faut pas prendre le film trop au sérieux comme on aurait facilement eu tendance à le faire, si vous vous attendez au contraire à tomber sur un pastiche de "soap opera", alors peut-être aurez-vous la chance d'apprécier cette longue et chaude saison estivale vécue sous forme de farce, une "sex-comedy" souvent truculente entre Tennessee Williams et Tex Avery !

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Par Erick Maurel - le 5 juin 2012