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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Chemins de la haute ville

(Room at the top)

L'histoire

D'extraction modeste, Joe Lampton est devenu employé de mairie d'une petite ville industrielle du Yorkshire. Joe est ambitieux et prêt à tout pour réussir. Il va ainsi séduire Susan, la fille insignifiante d'un gros industriel, que son père va éloigner, appréciant peu cette union. Joe devient alors l'amant d'Alice, et un sentiment profond naît entre eux.

Analyse et critique

Room at the Top est le film qui lance tardivement la brillante carrière de réalisateur de Jack Clayton. Ce premier film arrive alors qu'il approche la quarantaine et qu'il officie au sein du cinéma anglais depuis 25 ans à divers postes : enfant acteur sur le film Dark Red Roses (1929), garçon de courses, monteur puis assistant réalisateur pour Alexander Korda sur L'Espion noir (1939) ou Le Voleur de Bagdad (1940). C'est durant l'après-guerre - où, mobilisé, il réalisera le court métrage Naples Is a Battlefield (1944) - et au contact de John Huston dont il est le producteur - sur Moulin Rouge (1952) et Plus fort que le diable (1953) - que le désir de réaliser le prend à son tour. Cela se concrétisera d'abord par le court métrage The Bespoke Overcoat dans lequel il adapte la nouvelle de Nicolas Gogol, Le Manteau, dont l'action est transposée dans un entrepôt de vêtements de l’East End de Londres. Ce galop d'essai est salué et obtiendra de nombreuses récompenses, ce qui lui permettra de réaliser Les Chemins de la haute ville adapté d'un roman de John Braine paru en 1957.

Le succès du film sera d'ailleurs la cause d'un malentendu concernant Clayton, qui va l'associer au mouvement du Free Cinema et des Angry Young Men tels que Tony Richardson, John Schlesinger ou Lindsay Anderson. Clayton clarifiera les choses en signant le fort éloigné et tout aussi brillant Les Innocents (1961) dans la foulée et il n'aura de cesse de se rendre insaisissable par la suite avec des œuvres très dissemblables - encore que son Gatsby le Magnifique (1974) paraît être un prolongement logique de Room at The Top. Pourtant, à bien y regarder, la singularité de Clayton est déjà claire dès ce premier film qui offre une sorte de pendant anglais d'Une Place au soleil (1951), en fait le chaînon manquant entre le classique de George Stevens et Match Point (2005) de Woody Allen. La séquence d'ouverture nous présentant le héros Joe Lampton (Laurence Harvey) nous induit au départ en erreur sur le personnage. D'abord sans visage, alangui sur sa banquette de train et faisant des ronds de fumée, Joe dévoile une figure carnassière et conquérante dès ses premiers pas dans cette ville où il espère bien s'élever. Son ambition le guide naturellement vers ce qui brille, à savoir Susan Brown (Heather Sears), la fille de l'homme le plus riche de la ville. Ses tentatives de séduction infructueuses, les humiliations qui lui rappellent insidieusement son milieu modeste et son inculture vont pourtant révéler un être vulnérable et manquant d'assurance sous ses beaux airs. Quand l'inexpérience de certains se traduit par une certaine naïveté, celle de Joe se dévoilera par sa superficialité et son envie des classes aisées. L'expression de ses sentiments pour Susan ne s'exprime qu'en termes matériels, comme lorsqu'il parle d'elle à sa tante en commençant par évoquer la fortune de son père.

Loin d'être le cynique sans états d'âme que l'on soupçonne au départ, Joe est simplement un être qui n'a pas encore vécu et aimé. Arraché à son foyer par la guerre et ayant perdu ses parents dans un bombardement, il laisse deviner par ses manques son sentiment d'insécurité qu'il pense résoudre par la réussite sociale. Il va pourtant s'accomplir dans la romance adultère qu'il va nouer avec Alice Aisgill (Simone Signoret), une Française plus âgée que lui et mal mariée. Alice représente à la fois une sorte de figure maternelle pour Joe, un être transcendant le clivage des classes anglaises par sa nationalité française et surtout une personne le mettant en confiance et lui permettant enfin d'être lui-même. Laurence Harvey est formidable, laissant peu à peu tomber son masque calculateur pour se révéler plus faillible. Hésitant entre ses ambitions, sa séduction intéressée de Susan et son amour sincère pour Alice, le personnage est autant tiraillé dans son for intérieur que par son entourage. Les deux liaisons sont immorales, l'une par sa nature adultère mais cachée et l'autre par le rapprochement de classes impensable et s'affichant devant tous d'un œil négatif, prolétaires comme nantis. Simone Signoret se montre tout aussi touchante, apportant une retenue et une finesse bouleversantes à ce personnage mesuré et passionné. L'actrice dégage une sensibilité délicate qui contient et apaise la tension et la fureur de Laurence Harvey, jusqu'à en tirer le meilleur lorsqu'il dévoilera ses sentiments. Le rôle initialement envisagé pour Jean Simmons ou Vivien Leigh lui fut finalement confié dans cette Angleterre encore très puritaine où il était difficile pour une actrice anglaise d'endosser un rôle aussi ouvertement amoral - se souvenir que l'adultère de Brève Rencontre de David Lean (1945) reste chaste. D'où la pirouette de faire de ce personnage une Française et le choix de l'actrice.

Jack Clayton filme d'ailleurs les scènes charnelles avec une tension érotique inédite, signifiant par ses partis pris et dans l'intrigue même cette Angleterre changeante d'après-guerre (l'histoire se déroule à la fin des années 40 et certains décors portent encore les stigmates du Blitz). Le finale est donc assez paradoxal puisque l'élévation sociale semble désormais possible mais se paie à un prix bien douloureux. Les carcans passés semblent surmontés mais à condition d'y laisser une partie de son âme (emportée par la chape de plomb de cette cité industrielle grisâtre, quand les rares moments lumineux auront été intimes comme cette fuite en campagne) comme le montrera le mariage final aux allures d'enterrement où Joe gagne et perd tout dans le même mouvement. Les Chemins de la haute ville est un grand film qui sera un triomphe et recevra de multiples nominations et récompenses, notamment pour Simone Signoret, Prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes 1959 et surtout Oscar de la meilleure actrice faisant d'elle la première Française à obtenir ce prix.

DANS LES SALLES

 LES CHEMINS DE LA HAUTE VILLE
 UN FILm de JACK CLAYTON (1959)

DISTRIBUTEUR : LES FILMS DU CAMELIA
DATE DE SORTIE : 16 OCTOBRE 2019

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La Chronique du

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 16 octobre 2019