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Critique de film
Le film

Le Grand Sam

(North to Alaska)

L'histoire

1900. Les trois aventuriers, Sam McCord (John Wayne), George Pratt (Stewart Granger) et son petit frère Billy (Fabian), viennent de découvrir un filon d’or sur le détroit de Behring au Nord de l’Alaska. Maintenant qu’il a fait fortune, George confie à son ami Sam la mission d’aller chercher à Seattle la ‘fiancée’ française qu’il a rencontrée trois ans plus tôt mais qu’il n’a plus revue depuis. Pendant ce temps, il bâtira avec l’aide de son frère le futur nid douillet matrimonial. Arrivé en ville, Sam retrouve cette femme déjà mariée. Qu’à cela ne tienne ! Il suffit simplement de trouver une remplaçante en lui faisant miroiter la fortune et le mariage : il ramène donc avec lui une autre française, courtisane de son état, Michelle (Capucine), à qui il raconte que c’est lui qu’elle devra épouser. Pendant le voyage de retour, ils s’éprennent l’un de l’autre. Comment va t’elle réagir au moment des présentations à son véritable promis surtout qu’en plus des deux hommes, le jeune frère Billy tombe, lui aussi, sous le charme de sa ‘peut-être’ future belle-sœur...

Analyse et critique

Tout au long de sa prolifique carrière, Henry Hathaway n’a pas souvent abordé le genre de la comédie et n’a eu que de très rares occasions d’insuffler de l’humour dans ses autres films. Après trois westerns graves, au ton assez noirs, tournés dans les années 50 (L’Attaque de la malle-poste - Rawhide ; Le Jardin du diable – Garden of Evil ; La Fureur des hommes – From Hell to Texas), en ce début de nouvelle décennie le cinéaste s’accorde une petite récréation en réalisant une comédie westernienne bon enfant vraiment très agréable à regarder. Cette adaptation d’une pièce de théâtre située au milieu de décors westerniens s’avère aussi cocasse sur le papier qu’à l’écran, son potentiel de sympathie étant bel et bien présent grâce avant tout à un John Wayne décontracté et tout à son aise ainsi qu’à Ernie Kovacs dont on ne dira jamais assez le potentiel comique trop mal exploité tout au long de sa carrière (il fut souvent fabuleux sous la direction du cinéaste Richard Quine). Puisque l’on a déjà utilisé le terme ‘western’, une première mise au point est nécessaire pour les fanatiques du genre qui risqueraient une désagréable surprise : ce film n’a presque de ‘western’ que son décor, l’action ‘sérieuse’ se limitant à une seule séquence en extérieurs (d’ailleurs très efficace) se déroulant au milieu d’un gisement aurifère.

Ma mémoire me jouait néanmoins des tours puisque là où je parlais assez récemment de "western quasi-burlesque" et Jacques Rivette, encore plus radical, "d’un rodéo du splastick", seules les deux séquences de bagarres homériques encadrant le film pourraient répondre à ces définitions. Mais comme ce sont les deux morceaux de bravoure, nous finissons certainement par ne plus nous rappeler que de ceux-ci, d’où l’exagération de ces formulations qui n’ont à vrai dire pas lieu d’être. Ces deux scènes parfaitement réglées n’auraient en fait pas déplu à un Blake Edwards même si ce dernier aurait peut-être eu la main un peu moins lourde. Les coups pleuvent, les gags abondent, les cascades spectaculaires sont nombreuses, les acteurs et les figurants s’en donnent à cœur joie : depuis La Maison des sept péchés (Seven Sinners) de Tay Garnett, nous n’avions peut-être plus jamais vu de bagarre aussi ‘énormes’ et John Wayne se sentira presque obligé de renouveler l’expérience dans les westerns de Andrew V.McLaglen des années suivantes, Le Grand McLintock ou Les Géants de l’Ouest (The Undefeated). En fait, cette scène finale de bagarre dans la boue des rues de Nome n’était pas prévue dans le scénario initial laissé en rade par John Lee Mahin et Martin Rackin. Hathaway a du faire appel en dernière minute à un homme qui ne sera pas crédité au générique, Wendell Mayes, qui introduira ce monstrueux pugilat qui clôt l’histoire. Pour tout dire, le film ne devait même pas être comique au départ, l’idée étant venue en cours de route !

Le scénario du film est donc à l’origine une pièce de théâtre, une sorte de vaudeville sur le mariage, l’amour et l’amitié. Le film démarre sur les chapeaux de roue par un premier quart d’heure se déroulant à Nome parfaitement bien écrit. Le personnage joué par John Wayne assène sans tarder ses idées sur le mariage en tant qu’entrave à la liberté : "Ce qui est bien en Alaska, c’est que le mariage n’y sévit pas encore : il faut que le pays reste libre" dira t’il à son associé qui lui ne pense qu’à convoler en juste noce. Quand par la suite, Sam découvrira que la fiancée de son amie n’a pas eu le courage d’attendre et s’est empressée de se remarier, il dira "On peut compter deux fois plus sur un cheval que sur une femme". Ensuite, devant participer à un concours de bûcherons mais ne voulant pas perdre la future épouse de son amie, il lui donne pour chaperon, l’homme même qui vient de vouloir la violenter et à qui pour ce fait il vient de flanquer un énorme coup dans la figure ! Enfin, lors du voyage en bateau au cours duquel il ramène une femme de substitution à George, il lui assène sans plus attendre ses idées machistes sur les femmes : "Une femme qui rend un homme malheureux au lieu d’en rendre plusieurs heureux n’a pas mon suffrage". A bas le mariage et les épouses semble donc être le leitmotiv du film jusqu’à ce que Sam tombe amoureux à son tour. Comme on peut s’en rendre compte, de la joyeuseté mais point trop d’originalité dans ce vaudeville sans conséquences et pas bien méchant, idéal pour un visionnage en famille.

John Lee Mahin a prouvé par ailleurs son immense talent avec par exemple son magnifique scénario pour Dieu seul le sait (Heaven Knows, Mr. Allison) de John Huston ainsi que, pas plus tard que l’année précédente, celui très réussi de Les Cavaliers (The Horse Soldiers) de John Ford. Même si ses capacités dans le domaine comique sont moindres, il ne s'en sort néanmoins pas trop mal ; tout comme le réalisateur qui, même s’il n’exploite pas assez le potentiel comique de son intrigue et des situations qu’elle comporte, reste efficace en multiples occasions, certaines séquences comme la tentative pour George de rendre jaloux Sam étant d’une grande drôlerie. On peut aussi regretter que Henry Hathaway n’utilise pas pleinement non plus les possibilités que lui offrait une intrigue se déroulant en Alaska, le nombre de films ayant pour cadre géographique cette région des États-Unis n’étant pas légion : c’est peu de dire que nous sommes loin de ce qu’a fait Anthony Mann avec Je suis un aventurier (The Far Country). Les rues boueuses ne sont là que pour salir nos héros lors de la bagarre finale et, contrairement au film de Mann dans lequel les paysages étaient magnifiés par son génie de l’appréhension de l’espace et par sa sensibilité, Hathaway ne profite pas au maximum des somptueux décors naturels qu’il a à sa disposition : d’ailleurs le lieu idyllique où se trouve le futur havre de paix des époux s’avère être le même décor naturel que celui de la cabane dans 100 Dollars pour un shérif (True Grit), endroit que Lucien Ballard mettra encore beaucoup mieux en valeur que Leon Shamroy.

Quant au casting, il n’est pas exempt de légers défauts : Stewart Granger, l’inoubliable Jeremy Fox (Les Contrebandiers de Moonfleet), Beau Brummel (dans le film du même nom) ou André Moreau (Scaramouche), ne semble pas toujours dans son élément dans le registre comique et le jeune Fabian, qui par ailleurs chante assez bien, ne possède que très peu de charisme, sa longue scène avec Capucine tombant parfois à plat. Capucine justement qui, malgré sa charmante silhouette et son accent français très sympathique, est loin de posséder le pouvoir de séduction et le talent que pouvaient avoir les plus grandes partenaires du Duke, à savoir Maureen O’Hara, Joanne Dru, Angie Dickinson ou Vera Miles. Le couple qu’elle forme avec John Wayne n’est à cause d’elle qu’à moitié crédible, paraissant parfois se demander ce qu’elle fait dans cette bouffonnerie. John Wayne, quant à lui, est par contre excellent dans ce registre (mais ce n’était pas non plus une première pour lui, John Ford l’ayant préparé à ce genre de personnages dans L’homme tranquille - The Quiet Man par exemple) et il faut avoir vu ses inénarrables moues, cris et grimaces lorsqu’une situation l’énerve ou le dégoûte. Dommage également que les scénaristes n’aient pas tenu à étoffer le rôle de trouble-fête roué que joue avec un abattage vraiment convaincant un Ernie Kovacs survolté ! En voilà un acteur sous-exploité qui aurait pu devenir un grand comique s’il avait pu avoir des rôles à sa mesure ! En résumé, une comédie pas déshonorante, assez chaleureuse, décontractée et sans prétention mais qui aurait mérité une mise en scène plus dynamique, moins languissante parfois, ainsi qu’un scénario plus travaillé et plus mordant. Ceci étant dit, ne boudons pas notre plaisir : la vision de cette comédie peut s’avérer extrêmement distrayante et je n’hésiterais pas à le revoir étant quasi certain d’y trouver à nouveau le même contentement.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 26 mai 2003