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Critique de film
Le film

Le Cavalier de la mort

(Man in the Saddle)

L'histoire

Le modeste Rancher Owen Merritt (Randolph Scott) n’est pas à la fête. Il vient d'être abandonné par la jolie mais pragmatique Laure Bidwell (Joan Leslie) qui le trouvait trop peu ambitieux. Ne voulant pas attendre que la fortune tombe du ciel, elle se jette dans les bras du "Cattle Baron" Will Isham (Alexander Knox) qui, lui, ne recule devant rien pour agrandir son domaine (« I've never owned half of anything. ») Elle l’épouse tout en lui avouant qu’il s’agit d’un mariage purement intéressé. Mécontent de ne pas être aimé et jaloux de son ex-rival, Will Isham va essayer de s’en débarrasser s'adjoignant à cet effet les services de l’inquiétant Fay Dutcher (Richard Rober). Owen était pourtant résigné à supporter le voisinage de ce 'despote' mais le jour où deux de ses hommes sont assassinés par des tueurs à gages au service d’Isham, il décide de ne plus se laisser faire et au contraire de riposter. Dans sa lutte, il obtiendra l’aide de la jeune Nan (Ellen Drew), amoureuse de lui mais elle-même assidûment poursuivie par un dangereux psychopathe faisant partie des hommes de main de Will Isham, l’inquiétant Hugh Clagg (John Russell)...

Analyse et critique

La série de six westerns que De Toth réalisera avec l’acteur, si elle n’atteint pas (loin s’en faut) les cimes de la série des Boetticher, contient pas mal de très belles choses à commencer par cette première collaboration produite par Harry Joe Brown. De toute manière, ce n’est pas compliqué : les amateurs de série B ne risquent guère d’être déçu quand ils tomberont sur un western de Randolph Scott produit sous l’égide du studio Columbia. Il y avait eu Gunfighters de George Waggner, Coroner Creek de Ray Enright, The Nevadan de Gordon Douglas et Santa Fe d’Irving Pichel, tous quatre ne serait-ce que plaisant. Man in the Saddle est encore un cran au-dessus, sans cependant atteindre des sommets et jouant toujours dans la cour de la série B, encore faut-il le savoir pour ceux qui n’en sont pas fan.

Né en Hongrie en 1912, fils d’un officier des Hussards, André De Toth entre dans l’industrie cinématographique en 1931. Touche-à-tout, il sera tour à tour scénariste, monteur, acteur puis assistant réalisateur. En 1939, expatrié en Angleterre, on le voit au générique d’œuvres de Zoltan Korda telles que Le Voleur de Bagdad. Il gagne ensuite les USA où il débute en conduisant des camions avant d’être de nouveau engagé par un autre réfugié, le même Korda qui le place réalisateur de seconde équipe sur Le Livre de la jungle. Il devient cinéaste attitré dès l’année suivante se spécialisant dans les films de genre, aussi à l’aise dans l’aventure, les thrillers ou les films d’espionnage. Entre-temps, parmi ses plus belles réussites, il faut noter sa participation au scénario du magnifique La Cible humaine (The Gunfighter) d’Henry King pour lequel il manquera de peu l’Oscar. Répétons-le, surnommé ‘4ème borgne d’Hollywood’ (les trois autres étant John Ford, Raoul Walsh et Fritz Lang), De Toth a donc, dans le domaine du western (quantitativement le genre le plus représenté dans sa filmographie), succédé à Ray Enright et précédé Budd Boetticher dans l’illustration du mythe de l’acteur rigide au "visage de pierre", Randolph Scott.

Le Cavalier de la mort est l’un des meilleurs parmi les six films que Randolph Scott tournera sous la direction d’André de Toth. Il contient déjà toutes les figures de style et les ‘thématiques’ que le cinéaste développera dans ses autres westerns. En tout cas, après Quand les Tambours s’arrêteront (Apache Drums) d’Hugo Fregonese, ce western prouvait à nouveau à ceux qui en auraient douté que la série B dans ce domaine pouvait être esthétiquement et sylistiquement très 'chiadée' !! Il faut voir l’utilisation qui est faite des ombres, des sources de lumière et de la couleur, Charles Lawton Jr s’amusant à éclairer des séquences sombres (et elles sont légions dans le courant du film dont quasiment la moitié se déroule de nuit) par des tâches de couleur justement : les roues jaunes de la carriole d’Alexander Knox lors de la première séquence, toujours le jaune des lampes dans le clair-obscur des bureaux ou des chambres, encore le jaune en premier plan d’une bouteille en verre qui va se faire ‘éclater’ deux secondes après, le vert des tables de jeux dans la pénombre du saloon… Ce jeu sur les ombres et les couleurs, cette stylisation inhabituelle dans un western atteindra son sommet lors du gunfight dans l’obscurité puis, bien avant Yojimbo, lors du duel final se déroulant (sans aucune intervention de la musique) au milieu d'une tempête de vent et de poussière. Plastiquement, le style de la photo et de la mise en scène s’apparente dans l’ensemble assez à expressionnisme ; il en va de même lorsque De Toth filme de longues chevauchées nocturnes à contre-jour (à l’aide de nuits américaines ici parfaitement bien utilisées).

Hormis ses belles idées de mise en scène, Man in the Saddle bénéficie d’une histoire assez prenante. En provenance directe du film noir, un certain fatalisme règne sur ce film ; Owen Merritt cherche à fuir un passé qui ne cesse de le poursuivre. Owen ayant été quittée par la femme qu’il aimait par dessus tout l’a pourtant toujours constamment sous les yeux, cette dernière se retrouvant être sa voisine ; et il faut que son époux soit son pire ennemi. Au début, Owen est résigné, ne sachant pas quoi faire, dans quel camp se situer, se laissant même aller à boire pour oublier ses peines de cœur. Que ses amis se fassent tuer devant lui ne le fait réagir, pas bouger le petit doigt pour se révolter et réagir comme un ‘héros’ qu’il serait censé être, série B et Randolph Scott obligent ! Il faudra des pertes humaines plus proches ou répétées un peu trop souvent pour qu’il commence à retrousser ses manches. Randolph Scott interprète au départ un personnage plutôt ambigu, nous faisant souvent nous demander (tout au moins durant la première demi-heure) quelle est sa motivation. De Toth et son scénariste Kenneth Gamet aiment donc à brouiller les pistes mais tout cela devient plus limpide et manichéen une fois que leur valeureux héros a ouvert les yeux. Dès la séquence du Stampede, l’histoire, toujours bien écrite, devient alors plus convenue.

Donc au final, malgré une certaine complexité, une intrigue riche en rebondissements et constamment dynamique (ce n’est pas pour rien qu’Owen Merritt lâche laconiquement cette phrase à un moment du film : « No Time to Talk »), rien de bien neuf ni de très original contrairement à ce qu’aurait pu nous faire croire le prologue. Hormis quelques surprises plutôt bienvenues et des coups de théâtres incessants, le scénario devient plus sage et traditionnel à mi parcours. L’histoire de Ernest Haycox (l’auteur de ‘Stagecoach’ qu’a adapté John Ford pour La Chevauchée Fantastique) fait néanmoins que l’on s’attarde sur les différents personnages, la plupart motivés par un code de l’honneur qu’ils se sont d’emblée définis, guidés ainsi par une certaine loyauté ; malgré la faible durée du film, nous avons donc le temps de nous y attacher car tous soigneusement écrits et interprétés y compris les deux rôles féminins. De l’action, il y en a à la pelle dans Le Cavalier de la mort (à noter surtout la bagarre démesurée à poings nus entre Randolph Scott et John Russell au bord des cascades ; bravo aux cascadeurs même si ces derniers ressemblent assez peu aux acteurs qu’ils doublent), les protagonistes nous sont proches car intéressants et psychologiquement bien fouillés, les relations qui les unissent ou désunissent assez fortes et, plastiquement parlant, nous l’avons déjà abordés, c’est tout à fait réussi d’autant plus que les paysages sont très variés (de la sécheresse rocailleuse de Lone Pine à de vastes étendues verdoyantes) et très photogéniques, filmés souvent à l’aide d'une succession de panoramiques à 180°, très élaborés, la figure de style préférée du cinéaste.

Parmi les autres points positifs, rajoutons y la présence de Cameron Mitchell, des ‘punchlines’ parfois assez drôles, un bon score de George Duning et une très belle ballade chantée par l’un des chanteurs de Country les plus populaires de l’époque, Tennessee Ernie Ford que l’on peut même voir dans ses œuvres puisqu’en plus du générique, il la réinterprète lors d’une séquence de veillée de cow-boys autour d’un feu de camp. Dommage que certaines facilités viennent enrayer l’harmonie du ton presque mélodramatique des vingt premières minutes ; les scénaristes n’auraient jamais du y intégrer cet humour malvenu surtout confié au personnage du mexicain interprété par Alfonso Bedoya. Dommage aussi cette fin on ne peut plus abrupte. Mais bon, tout ceci n’est pas bien grave ; nous sommes bel et bien devant une série B comme on les aime avec un Randolph Scott dont on ne dira jamais assez qu’il fut l’incarnation parfaite du cow-boy 'classique' hollywoodien, ici encore une fois parfait.

 

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 28 avril 2006