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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Lumière d'en face

L'histoire

Georges Marceau, un conducteur de poids lourds qui rêve de s’établir à son compte, doit épouser Olivia. Sauvage, mais dévouée, celle-ci rêve d’une vie à deux. À la suite d’un accident de la route, Georges est grièvement blessé. Impuissant, nerveux et maladivement jaloux, ce dernier accepte de gérer un restaurant de routiers avec sa femme. Mais l’arrivée de Pietri, pompiste généreux et séduisant, vient tout remettre en cause...

Analyse et critique


Méconnu, alors qu’il a traversé tout le vingtième siècle, Georges Lacombe (1) fait partie de ces excellents réalisateurs tombés dans un oubli relatif. Assistant-réalisateur de René Clair entre 1924 et 1930, et de Jean Grémillon en 1928, il s’essaie une première fois à la réalisation avec La Zone (1928). Une demi-heure de reportage en pleine "zone". (2) Du vérisme mâtiné de réalisme social. Son premier long métrage, Un coup de téléphone (1932), l’amènera à proposer une série de films aux sujets variés, des comédies grinçantes (3) aux drames osés. (4) Son passage par la firme allemande Continentale, durant l’Occupation, lui vaut l’accord du public. Les films se suivent à un rythme épatant, et les spectateurs sont au rendez-vous : Montmartre-sur-Seine (1941), avec Édith Piaf, qui vaut plus pour sa bande originale que pour son scénario, Le Dernier des six (1941) et Le Journal tombe à cinq heures (1942), tous deux avec Pierre Fresnay, sont de véritables succès populaires. Il s’essaiera même à l’adaptation de Simenon (5) : Monsieur La Souris (1942), avec Raimu. L’après-guerre ne vaudra que pour le duo Marlene Dietrich / Jean Gabin, dans Martin Roumagnac (1946), et ses dernières œuvres, entre 1962 et 1970, restent télévisuelles. La période qui nous intéresse donc est cette décennie 1950, aux films déroutants, les plus intéressants de sa filmographie.


Film de commande, La Lumière d’en face s’inscrit dans le mouvement narratif des années 1950-1960 (6), qui se veut exemplaire : un narrateur introduit le cadre spatio-temporel, présente en quelques traits les principaux personnages et nous annonce une histoire étonnante. Les ouvertures restent classiques : le spectateur découvre l’issue d’un drame et un flash-back nous est proposé jusqu’à l’ultime quart d’heure. C’est alors l’occasion de nous présenter plus en détail les deux personnages principaux : Raymond Pellegrin (7), au jeu très classique, aux impulsions très théâtrales, et Brigitte Bardot, qui ne crève pas encore l’écran, mais qui bénéficie d’une photographie et d’une tenue la mettant en valeur. (8) Son personnage, Olivia, est au centre de tous les regards et de toutes les conversations. Le décor où va se dérouler l’intrigue est ingénieux : un hôtel-restaurant et une station-service se font face, séparés par une route nationale. Un "truc" scénaristique, à savoir une série de grands travaux, isolera la petite communauté l’espace de quelques semaines, accentuant désirs et frustrations.


À la suite d’un accident de la route, Georges Marceau, responsable de la mort de son meilleur ami, se retrouve malade et traumatisé. Comme il est condamné à devoir stopper tout excès (alcool, fête, sexe), nous assistons en quelque sorte à sa relégation sociale. Il ne correspond plus aux codes de l’époque : il est sobre, nerveux, impuissant et, surtout, il ne peut plus conduire. La scène de l’accident est intéressante parce qu’elle donne un aperçu des névroses de ce personnage : la mécanique l’excite, lui donne sa virilité, l’aide à combattre sa frustration... mais lui fait adopter une conduite trop brutale. Quand il doit quitter Olivia, il est au moins dans son camion. D’ailleurs, il lâchera à la fin du film : « Ma gonzesse à moi, c’est la route. » Face à lui, Pietri, joué par Roger Pigaut, est l’exact inverse : il est décontracté, charmeur, boit dès le matin, discute avec les filles et possède une moto rutilante. On aura compris que cette opposition de types et de conduites atteindra son climax via le personnage d’Olivia.


On l’a vu, tout est fait, avec le décor et la disposition scénique, pour signifier la frustration et l’excitation de chacun. Les personnages sont en sueur et Brigitte Bardot se dénude dans d’étonnantes charges érotiques. Une scène nous l’offre nue l’espace d’une seconde, une autre nous signifie ses seins. Où, lorsqu’elle passe du rez-de-chaussée, lieu public où elle subit les remarques et les regards déplacés des hommes, à l’étage, lieu privé où se trouve sa chambre, un sommet esthétique est atteint : ses chevilles, puis ses cuisses, ne sont filmées lentement que pour nous montrer ses fesses. La scène du baiser, qui résout la tension Bardot / Pigaut et permet de conclure le récit, est assez surréaliste : en pleine tempête (est-ce un mistral ?), nos deux personnages franchissent le Rubicon. L’adultère pour l’une, la trahison pour l’autre. Le désir exacerbé, ainsi que la sexualité refrénée, explosent à l’écran, décoiffent les têtes, bouffent les vêtements. Symboliquement, le vent fait aussi valser les certitudes et les positions acquises.


Un final complètement raté, car trop vite expédié, achèvera de rendre ce film décevant et bancal. Néanmoins, il y règne une telle étrangeté, une telle ambivalence, que l’ensemble est surprenant. Tout à la fois érotique et moraliste, exemplaire et audacieux, La Lumière d’en face tient trop à son cadre conventionnel. On aurait aimé plus de liberté, plus d’initiatives, permettant d’exploiter un trio d’acteur original. Sorti quelques mois avant Et Dieu... créa la femme, il annonce finalement le phénomène Bardot.


(1) Né en 1902, mort en 1990.
(2) Entourant Paris, ces parcelles de terrain étaient occupées par le prolétariat urbain et d’anciens paysans ayant subi à la fois la spéculation immobilière et l’exode rural. On y trouvait également un grand nombre de restaurants et de bars semi-clandestins qui profitaient du flottement des taxes et des douanes.
(3) Ce cochon de Morin, 1932.
(4) Jeunesse, 1934.
(5) Dont c’est déjà la septième adaptation à l’écran d’un de ses romans.
(6) Viendront par la suite Alfred Hitchcock présente… et La Quatrième dimension, qui ne font que reprendre les tonalités des romans de science-fiction. Dérivée des « penny dreadful » et des « pulp », cette poétique anthropologique aura eu de curieuses descendances.
(7) Disciple de Marcel Pagnol et de Sacha Guitry, cet acteur très populaire a tourné dans plus de 120 films, des années 1940 aux années 2000.
(8) Ce qui n’est pas sans rappeler
 Claudia Cardinale, dans Il était une fois dans l’Ouest, le talent dramatique en moins.

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La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 17 novembre 2016