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Critique de film
Le film

La Folie de l'or

(Cripple Creek)

L'histoire

1893. La dernière ruée vers l’or a pris fin et le minerai commence à manquer. Quelques mines sont encore en activité dont celle de Cripple Creek au Colorado ; sauf que les convois du minerai brut sont dérobés par une bande qui semble remarquablement bien organisée. Les USA connaissant à cette période une forte récession, cette disparition du précieux métal n’arrange pas les affaires du pays. Le gouvernement américain demande alors de l’aide à ses services secrets pour éviter que la pénurie ne s’accentue encore faute à ces vols. C’est ainsi que, se faisant passer pour des hors-la-loi texans afin d’infiltrer le gang de trafiquants, Bret (George Montgomery) et Larry (Jerome Courtland) rejoignent un partenaire déjà dans la place, Strap (Richard Egan), le frère de Larry. Ce dernier est croupier dans le saloon dont le tenancier (William Bishop) est soupçonné d’être une des têtes pensantes de la bande. Le propriétaire des écuries (John Dehner) ainsi que le shérif de la ville (Roy Roberts) pourraient également être mêlés à ce trafic d’or. L’enquête va s’avérer délicate et dangereuse pour nos trois agents fédéraux, d’autant qu’une dizaine de leurs prédécesseurs ont déjà péri sous les balles des bandits...

Analyse et critique

Un background certes typiquement westernien (l’époque, les costumes, les décors, d’homériques bagarres de saloon, de girondes "hôtesses de bar", de frénétiques chevauchées, des coups de feu qui crépitent sans arrêt...) mais également de très nombreux éléments du film noir ou du film policier (des convois d’or dérobés et volatilisés, des hommes de loi tués au cours de leurs enquêtes, des agents du gouvernements qui infiltrent de dangereux gangs, des notables mêlés à un trafic d'or destiné à "l’exportation", des chantages, des trahisons et de l'espionnage ainsi qu'un twist final totalement inattendu) ainsi que pas mal de références aux serials (la fonderie d’or cachée dans les sous-sols d’une ville fantôme, le laboratoire souterrain, de mystérieux protagonistes chinois) pour un buddy western de série réalisé sans génie mais correctement écrit et plutôt bien mené, que portent sur leurs épaules deux personnages ayant constamment le sourire aux lèvres interprétés par les très charmants George Montgomery et Jerome Courtland.

Si l’acteur principal - George Montgomery - n’est pas bien connu en France, il a tourné dans d’innombrables westerns et possède de nombreux fans parmi les aficionados du genre. S’il ne possède ni le charisme ni le talent d’un Randolph Scott ou d’un Audie Murphy, il pourrait être vu comme une sorte de mélange des deux ; quoi qu’il en soit, c’est un comédien au visage lisse et poupin qui force la sympathie et porte à merveille les tenues vestimentaires de l’Ouest américain. Dans ce film tout du moins, il est habillé avec une très grande classe ; il faut dire que le travail sur les costumes est ici particulièrement délectable, accentuant le côté terreux et marron de la photographie et faisant ainsi ressortir les quelques autres couleurs plus clinquantes telle la robe dorée de Karin Booth, une comédienne également presque inconnue au bataillon mais dont la subjuguante beauté et un certain talent dramatique font regretter qu’elle n’ait pas été plus souvent sur le devant de la scène hollywoodienne et que son temps de présence au sein de ce western soit aussi restreint malgré l’importance de son personnage - dont je ne dévoilerai cependant rien, l’intrigue comportant son lot de surprises et de rebondissements.

Ray Nazarro a réalisé une multitude de westerns. Ce fut même probablement avec Lesley Selander et quelques autres artisans hollywoodiens l’un des plus prolifiques cinéastes à avoir œuvré dans le genre durant les années 40 et 50, capable de réaliser jusqu’à treize films dans la même année ! Il débuta sa carrière au cinéma à l’époque du muet, dirigeant alors de nombreux courts métrages. A partir de 1945, il travailla exclusivement pour la Columbia à qui il fournit de la matière pour ses premières parties de séance, presque exclusivement des westerns de séries B ou Z tournés principalement vers l’action non-stop, comme c’est effectivement le cas ici. Il lui arrivera même de réaliser d’excellents westerns tels Top Gun avec Sterling Hayden, l’un de ses derniers films daté de 1955, parfait exemple de dosage harmonieux entre mouvement et respiration élégiaque. Il aurait pu également être fier d’avoir écrit en collaboration avec Budd Boetticher l’un des films les plus mémorables de ce dernier - dont on attend toujours son apparition sur une quelconque galette numérique -, le sublime The Bullfighter and the Lady (La Dame et le toréador). Encore aujourd'hui, seule une infime partie de l’iceberg cinématographique de Nazarro nous est connue ; au sein de cette partie qui commence à émerger, Cripple Creek s'avère l'une de ses plaisantes réussites à condition bien évidemment de ne pas en attendre monts et merveilles.

Et effectivement, si l’on est dans de bonnes dispositions, on pourra aisément prendre plaisir aux multiples rebondissements de l’histoire écrite par le prolifique scénariste Richard Schayer, à la très belle photographie en Technicolor de William V. Skall, à la beauté assez sidérante de Karin Booth, aux tenues vestimentaires de George Montgomery qui ont dû rendre jaloux bien des petits garçons de l’époque, à l’humour amené par des dialogues parfois plein de verve ou à quelques situations cocasses comme ce croque-mort attentif aux coups de feu et qui fait des prix spéciaux pour les enterrements groupés du samedi, à cette scène assez tendue et pleine de suspense de la "roulette russe" à l’encontre d’un très bon Richard Egan, à des éléments assez insolites dans le genre comme cette China Connection ou la fonderie souterraine, à la traditionnelle mais efficace bagarre de saloon qui dure longtemps et qui détruit une bonne partie du décor, aux larmes de Jerome Courtland assez surprenantes dans le contexte d’un ensemble plutôt léger, aux sympathiques seconds rôles que sont John Dehner, George Cleveland, William Bishop et consorts... Si certains d’entre vous apprécient quelques-uns des thèmes musicaux - effectivement excellents, notamment celui du générique - sachez qu’ils proviennent pour la plupart de précédents westerns Columbia ; il s’agissait d’une pratique assez courante à l’époque s'agissant des films de série.

Un petit budget pour un western policier mineur et de facture plus que classique, bon enfant et sans grande tension dramatique mais assez enlevé et qui devrait pouvoir réussir à faire passer un agréable moment à de nombreux westernophiles. La bonne humeur des deux séduisants agents secrets devrait être assez communicative pour nous faire oublier les invraisemblances de l’intrigue et le manque de personnalité de la mise en scène. Certes pas mémorable, mais bougrement divertissant !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 18 mars 2017