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Critique de film
Le film

La Femme du pionnier

(Dakota)

L'histoire

Le joueur John Devlin (John Wayne) arrive dans la demeure luxueuse de Marko Poli, un magnat du rail, pour y chercher Sandy (Vera Ralston), la fille de ce dernier qu’il vient d’épouser. Furieux de ne pas avoir été tenu au courant de ce mariage, le père chasse son gendre avec fracas. Sandy, après avoir récupéré 20 000 dollars sur la vente en cachette d’un tableau de son père, s’échappe de la villa pour suivre son mari. Lui veut se rendre en Californie ; elle, ayant entendu dire que le chemin de fer n’allait pas tarder à traverser le territoire du Dakota, souhaite se rendre sur place pour y acheter les terres avant que cela se sache pour en tirer ensuite un maximum de profit en les revendant... à son père ! John n’a pas le dernier mot et ils arrivent à Fargo par le bateau à aubes du Capitaine Bounce (Walter Brennan). Là, le propriétaire du saloon, John Bender (Ward Bond), qui a lui aussi eu vent de l’arrivée imminente du train dans la région, tente de son côté de s’accaparer les terres des cultivateurs du coin. Bizarrement, ceux qui refusent de vendre voient leurs champs de blé détruits par le feu, voire même se font mystérieusement cribler de balles ! John va faire semblant de se mettre du côté de Bender afin de mieux protéger les fermiers...

Analyse et critique

Les années du deuxième conflit mondial furent peu fructueuses pour le western, d’autant que certains des plus grands réalisateurs du genre s’étaient rendus sur le front. C’est ainsi que John Ford tourna l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, un film de guerre d’une grande sensibilité, Les Sacrifiés (They Were Expendables), sorti sur les écrans américains le 20 décembre 1945. Cinq jours plus tard, la Republic offrit au public son western "à gros budget" toujours avec John Wayne en tête d’affiche, Dakota de Joseph Kane. Ce n’est malheureusement pas encore grâce à ce cadeau de Noël que les aficionados furent rassurés sur l’avenir d’un genre bien moribond en dehors des innombrables films de série destinés aux premières partie de séances ; les plus optimistes pouvaient vraiment commencer à se poser des questions et à se lamenter à leur tour. Mais honnêtement, pouvait-on s’attendre à mieux de la part d’un réalisateur qui après plus de 60 films n’avait pas franchement progressé, au point de faire de ses deux plus gros budgets (Flame of Barbary Coast et Dakota) des œuvres d’une banalité confondante sans que les moyens supplémentaires mis à sa disposition ne se voient vraiment à l’écran. Heureusement, le scénario de Dakota fut néanmoins plus mouvementé et plus drôle que celui du précédent et le spectacle fut assez agréable, notamment dans sa première partie, à condition de ne s'attendre à rien de bien particulier.

Alors que depuis le début Dakota filait bon train sur un ton assez débonnaire, le scénario s’embourbe ensuite assez vite, ses rouages grincent et l’intrigue devient inutilement embrouillée ; la deuxième moitié du film finira par ennuyer le spectateur malgré ses innombrables rebondissements et ses séquences mouvementées. Le scénariste a alors du mal à rendre fluide ou passionnante cette histoire de Carl Foreman (le futur scénariste du Train sifflera 3 fois et du Pont de la Rivière Kwaï) qui au départ ne brillait déjà pas par son originalité ; les histoires de fermiers spoliés par des hommes d’affaires peu scrupuleux étaient déjà le point de départ de multiples westerns avant lui et Howard Estabrook ne rajoute aucun élément nouveau à ce thème redondant. Quant à son traitement par la mise en scène, vous aurez deviné qu’il se révèle d’une platitude absolue. Joseph Kane fut tout d'abord monteur pour Pathé, la RKO puis la Paramount. Réalisateur attitré de la Républic dès sa création en 1935, il devint un spécialiste du western ; il en tourna à la pelle et sans arrêt avec Gene Autry, George "Gabby" Hayes ou Roy Rogers. Avoir une vedette un peu plus conséquente telle que le Duke lui permit d’obtenir des moyens financiers plus conséquents en cette année 1945 ; le résultat nous laisse néanmoins largement sur notre faim, le réalisateur effectuant un travail plus que routinier : aucune séquence, aucune image précise ne nous laissent un souvenir marquant, pas même l’incendie des champs de blé autrement plus spectaculaire sous la caméra de William Wyler dans Le Cavalier du désert (The Westerner). Pour le reste, le cinéaste filme la plupart des scènes d’action de nuit ; peut-être pour cacher son incompétence ou voiler les insuffisances des effets spéciaux malgré l’honnête travail de seconde équipe de Yakima Canutt ?

Reste au bout du compte un film pas trop désagréable, grâce surtout à l’humour de ses dialogues et à son interprétation. Il n’a pourtant failli pas voir le jour car John Wayne refusait qu’on lui impose Vera Ralston pour partenaire - c’était une découverte d’Herbert J. Yates, le patron du studio, qui voulait en faire sa vedette numéro 1 et, à défaut d’y arriver, il l’épousera en 1952. C’est pourtant son personnage énergique et roublard qui apporte les éléments les plus intéressants de l’intrigue, et l’ex-patineuse tchécoslovaque ayant fui le nazisme se révèle plutôt plaisante à défaut de ne pas une seule seconde faire penser à une pionnière du Far West. Sandy est une femme de tête a priori un peu cruche mais en définitive sacrément manipulatrice, qui arrive à faire faire à son époux tout ce qu’elle veut. Ce caractère et ce tempérament, ses dialogues et ses "altercations" avec son époux font tout le sel de la première moitié du film, plus proche alors de la comédie américaine que du western. De plus, puisqu'ils sont mariés avant que le film ne débute, aucune romance ne vient s’ajouter à l’intrigue, pas le moindre baiser, pas même lors de l’image finale qui voit une querelle de couple en lieu et place de l'enlacement traditionnel. Les relations entre les personnages devaient être à peu près similaires à l’ambiance qui devait régner entre les deux comédiens. Mais, alors que John Wayne ne fait ici guère d’étincelles, sa partenaire s’en tire plutôt pas mal du tout, ainsi que Ward Bond, habitué de ce genre de rôle mais qui se révèle toujours aussi efficace.

Petite originalité, peut-être ici dans le western : la naissance du "couple picaresque du fleuve", celui qui voit rassemblés sur un bateau à aubes le vieux capitaine grincheux et son moussaillon, en général un jeune Noir fainéant et constamment hébété (clichés de l'époque oblige...) - dont le plus célèbre sera certainement celui de The Far Country (Je suis un aventurier) d’Anthony Mann. Dans la peau du capitaine, c’est Walter Brennan qui s’y colle dans Dakota ; un personnage amusant au départ mais, avouons-le, un peu lassant à la longue de le voir vitupérer à longueur de temps ! Si le film ne laissera pas, loin s’en faut, de grands souvenirs, entre la première séquence voyant John Wayne se faire littéralement jeter hors de la maison de son beau-père, celle du télégramme qu’envoie ce dernier à sa fille, la première séquence d’accostage du bateau de Walter Brennan, la scène du "bal costumé" au cours de laquelle John Wayne retrouve ses attaquants, ou le twist final montrant l’utilisation par Sandy de l’argent gardé par John pour se rendre en Californie, il y a néanmoins quelques jolies petites occasions de se réjouir. Cependant, pour inconditionnels seulement !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 5 mai 2018