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Critique de film
Le film
Affiche du film

Journal intime

(Napló gyermekeimnek)

L'histoire

Après le décès de ses parents, exilés en URSS puis victimes des purges staliniennes, Juli, une adolescente, revient en Hongrie en 194 accompagnée de ses grands-parents. Elle est placée chez une femme divorcée, bien intégrée dans l'appareil communiste. Mais la cohabitation se déroule mal et Juli ne se sent pas à sa place.

Analyse et critique

Ce que le résumé introductif et les textes au dos du boîtier DVD n'indiquent pas, c'est qu'il s'agit d'une œuvre ouvertement autobiographique. Comme Juli, Márta Mészáros se retrouva orpheline après l'arrestation de son père sculpteur et le décès de sa mère qui avait tout deux déjà fui vers la Russie pour échapper aux répressions de l'amiral Horthy. Comme elle, elle fut placée chez une femme autoritaire, ce qui décupla son envie de révolte.


Márta Mészáros n'opte pourtant pas pour un récit qui revendique cette dimension personnelle, refusant une approche traditionnelle de l'autobiographie. Son style est plutôt détaché et elliptique. En revanche, on sent bien que la mémoire est cœur de la narration. Elle ponctue régulièrement la progression narrative avec des flash-back assez brefs, parfois même fugaces, sans que les allers-retours du présent au passé soit clairement différenciés. Ce qui donne, au début, le sentiment d'être davantage devant des rêves ou des visions fantasmées. Il faut dire que ces flash-back ont quelque chose d'un paradis perdu. Si le quotidien actuel de Juli est englué dans un cadre citadin, avec une succession de lieux fermés (appartement, couloir d'école, rues sans ouvertures sur la nature, bureau, salles de cinéma etc...), le passé baigne dans une verdure composée de vallées chatoyantes, de forêts lumineuses et de collines caressées par de hautes herbes vibrant au gré des brises ; quant à la carrière où travaille son père, elle est filmée comme une cathédrale virginale. Même la projection de films se fait en plein air. C'est un Eden où ses parents sont encore vivants et forment un couple romantique et sensuel, s'embrassant dans les lacs ou se lovant à l'ombre d'arbres majestueux. Une atmosphère qui tranche avec la rigueur imposée à la maison de sa mère adoptive, rapidement engoncée dans une tenue militaire austère. La photographie du film accentue d'ailleurs cette opposition : quand les temporalités au présent sont noyées dans un faible niveau de contraste où seuls les échelles de gris existent, celles au passé sont pour leur part d'un blancheur sur-exposée, presque aveuglante.


Cette époque révolue est un véritable refuge pour l'héroïne, d'autant que l'évocation de ses parents paraît taboue au sein de sa nouvelle famille. Refusant donc ce nouvel ordre (dans tous les sens du terme), elle rejette toutes les institutions étatiques et préfère de loin les ateliers de sculpture et les salles obscures de cinéma, un moyen pour s'échapper, de côtoyer d'autres pays (États-Unis ou Suède) et de se rapprocher symboliquement de ses parents qui l'ont initiée à l'art. Cela donne l'occasion à la cinéaste de prolonger sa réflexion sur la fusion passé-présent avec un gros travail pour adapter son style visuel à la texture et aux grains des films d'actualités diffusés sur grand écran et permettant de représenter les années qui s'égrènent, l'histoire de Juli se déroulant de 1947 à 1953. Là encore, et malheureusement pour Juli, cet eldorado cinématographique sera de courte durée puisque les productions de propagande prendront bientôt le pas sur celles, étrangères, qui lui permettaient pourtant de se confronter à des émotions complexes et de se trouver de nouvelles références identitaires, à l'époque où elle prend conscience de son corps, avec une forte fascination pour Greta Garbo. Les nouvelles pellicules glorifiant la réussite communiste avec ses chants patriotiques et les sourires de rigueur sont bien loin de la réalité, autrement plus cauchemardesque pour les Hongrois. La juxtaposition des dernières séquences en devient dérangeante : d'un côté il y a la comédie musicale à la candeur édifiante, et de l'autre une visite en prison où les barreaux et grillages auront rarement été à ce point palpables.


Cette peinture de la société hongroise sous tutelle du communisme soviétique est l'une des grandes qualités de Journal intime, sa critique étant loin d'être frontale. Elle est plutôt indirecte, seulement évoquée par des détails épisodiques au centre de plusieurs séquences : un tableau de Staline dans l'école, des militaires fouillant les enfants invités à la fête d'anniversaire du fils d'un gradé, des conversations autour d'une table, une manifestation à laquelle assiste Juli sans réelle conviction, des adultes évoquant leurs parcours... On a l'impression que ces événements glissent et n'ont aucune emprise sur Márta Mészáros et son alter ego. Cela tient à sa réalisation et à son montage, en effet assez elliptique, qui se compose de séquences souvent courtes qui évitent à l'Histoire de s'inscrire dans le quotidien de sa protagoniste. Quant à la réalisation et le découpage, ils privilégient l'isolation de Juli face à ses contemporains, soit par l'usage de champs / contrechamps, soit en la cadrant de dos, sa chevelure bouclée dissimilant entièrement son visage, soit en ayant recours à des éléments du mobilier pour la séparer de ses interlocuteurs. Il faut également souligner que la réalisatrice a choisi un format de tournage carré qui privilégie les gros plans, divinement photographiés, plutôt que des plans larges. De plus, Mészáros adopte fréquemment de longues focales pour créer de nombreuses zones de flou où sont plongés de nombreux intervenants (et pas toujours nécessairement Juli).


Sans qu'il soit ainsi fondamentalement explicite, on ressent cet envahissement progressif de l'autoritarisme stalinien qui a déjà condamné ses parents. Il y a presque une dimension paranoïaque qui se distille, mais une paranoïa résignée et fataliste. Il va sans dire que, lorsque la fin apparaît à l'image, nous sommes impatients de découvrir les deux épisodes suivants du destin de Marta / Juli tournés respectivement en 1987 (Diary for My lovers) et en 1990 (Diary for My Father and Mother), augmentés en 2000 d'un quatrième volet (Kisvilma terre d'espérance). Malheureusement, ces opus ne sont pas annoncés pour le moment par Clavis (ou par d'autres éditeurs). A l'heure où la Cinémathèque française qui, face à une polémique sur le peu de rétrospectives consacrées à des femmes cinéastes, se justifiait maladroitement en prétextant un manque de réalisatrices « classiques », il serait intéressant de rendre hommage à Márta Mészáros (qui fut la première réalisatrice hongroise) et de manière plus générale aux nombreuses metteuses en scène de l'Europe de l'Est : Věra Chytilová, Agnieszka Holland, Wanda Jakukowska, Hermina Tyrlova...


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La fiche IMDb du film

Par Anthony Plu - le 14 mars 2017