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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Neuvième configuration

(The Ninth Configuration)

L'histoire

Le Dr Hudson Kane prend la direction du Centre 18, un hôpital psychiatrique militaire installé dans un château gothique sur la côte Ouest des Etats-Unis ; l’armée y accueille des soldats souffrant de désordres psychologiques afin de déterminer si ce sont des simulateurs. Il fait très vite la connaissance de Billy Cutshaw, un ancien astronaute souffrant de crises de panique, qui le met au défi de prouver l’existence de Dieu.

Analyse et critique

Etrange carrière que celle de William Peter Blatty. Auteur à ce jour de seulement deux films en tant que metteur en scène, cet ancien scénariste de Blake Edwards a débuté dans l’écriture humoristique, signant notamment les scripts de Quand l’Inspecteur S’emmêle et Qu’as-tu Fait à la Guerre Papa ? Cette partie de sa carrière de scénariste et de romancier sera totalement éludée à partir du triomphe mondial de L’Exorciste. De sa part, on n’attendra dès lors que des scripts d’horreur pure et dure. C’était sans compter sur un talent sans doute plus large, et surtout des obsessions bien plus profondes.

La Neuvième Configuration est l’adaptation de son propre roman, ‘Twinkle, Twinkle, ‘Killer’ Krane’, et Blatty le considère comme la deuxième partie de sa ‘Trilogie de la Foi’ ; il s’agit donc de la suite directe de L’Exorciste - le personnage de l’astronaute, Cutshaw, est bien celui auquel Regan prophétise sa mort prochaine. Ce cycle trouvera sa conclusion dans ‘Legion’, adapté à l’écran par Blatty sous le titre L’Exorciste III. La préparation du film connut de nombreuses difficultés. D’une part, le tournage dut être déplacé en Europe de l’Est pour des raisons de coût. D’autre part, l’équipe technique fut difficile à réunir - le chef opérateur Gerry Fisher remplaçant notamment Wilmos Zsigmond prévu à l’origine. Il en fut de même concernant le casting, Stacy Keach prenant la place de Nicol Williamson au dernier moment - Blatty lui-même repris au pied levé le rôle d’un des malades. Pourtant ce film fut très mal accueilli. Alors que le montage original avoisinait les trois heures, Blatty fut contraint de proposer plusieurs versions. Il commença par faire retirer le film de l’affiche, après avoir découvert que la Warner présentait La Neuvième Configuration comme un film d’horreur dans la droite lignée de L’Exorciste. Il ressortit quelques mois plus tard dans un nouveau montage de 130 mn, retitré Twinkle, Twinkle, ‘Killer’ Krane. Lors de cette reprise, il reçut le Golden Globe du meilleur scénario, alors que parmi ses concurrents se trouvaient des films tels que Elephant Man ou Raging Bull. Mais c’est par le bouche à oreille, en passant de copie VHS en festivals que La Neuvième Configuration obtiendra son statut d’objet culte. Si de nombreux films ont été qualifiés d’ovnis, La Neuvième Configuration n’usurpe pas cette appellation. Il paraît en effet difficile de le rattacher à un genre défini. Si le décor évoque le cinéma gothique, son atmosphère hésite entre le questionnement bergmanien et la comédie burlesque. C’est d’ailleurs cet aspect, le moins connu de l’œuvre de Blatty comme on l’a dit, qui a souvent été victime des coupes. Il s’agit pourtant de l’un des éléments les plus séduisants du film : Jason Miller est particulièrement étonnant en metteur en scène adaptant Shakespeare pour des chiens et discutant avec eux de la réalité de la folie d’Hamlet. De leur côté, les amateurs de comics apprécieront de constater que le malade se prenant pour Superman s’est installé une cabine téléphonique à côté de son lit pour se changer. Ces séquences contrastent avec celles impliquant le personnage de Stacy Keach, apparaissant pour une fois sans sa légendaire moustache - on peut d’ailleurs se demander si son bec de lièvre ainsi révélé n’est pas un indice sur la personnalité fractionnée ; le film est d’ailleurs jalonné d’indications allant dans ce sens, voir par exemple la sculpture représentant les deux frères. Le jeu sobre, austère de l’acteur contraste avec les élucubrations des malades internés, et de cette performance vient une grande partie de l’intérêt de La Neuvième Configuration : Stacy Keach réussit à traduire tous les démons intérieurs qui le tiraillent, sans débauche d’effets.

La Neuvième Configuration renoue en partie avec la thématique de L’Exorciste : la présence d’un Mal absolu implique l’existence d’un Bien absolu, disposé au sacrifice. Krane ne représente toutefois pas une figure christique comme on a pu l’écrire : son ultime action, le sauvetage de Cutshaw, n’est pas un acte de piété, mais bien un moyen de trouver la rédemption. En sauvant la vie de l’astronaute des Hell’s Angels - en l’occurrence, leur appellation doit être prise au pied de la lettre -, il se lave non seulement de ses péchés, mais de plus prouve l’existence de Dieu, qu’il confirmera en laissant la médaille sur le plancher de la voiture lors de la dernière séquence - médaille qui d’ailleurs rappelle fortement celle trouvée par le père Merrin lors des fouilles archéologiques au début de L’Exorciste. Et c’est lors de cette confrontation que Blatty se montre cinéaste : alors que pendant la majeure partie du film il se contente de mettre en image plus ou moins platement les divagations de ses personnages, il se montre capable de construire une montée de tension suivie d’une explosion de violence parfaitement convaincante. Qualité qu’il développera dans son opus suivant, L’Exorciste III. Sa relative rareté à permis à La Neuvième Configuration d’acquérir au fil du temps une véritable réputation de film culte, de ceux que l’on peut apercevoir au détour d’un festival. Fort heureusement, le DVD nous permet aujourd’hui d’évaluer sereinement ce film que le critique Mark Kermode compare àLa Maison du Docteur Edwardes pour l’intrigue, mais dont le traitement évoque Shock Corridor ou Twin Peaks - Fire Walk With Me. Force est pourtant de constater que le film de Blatty ne se situe pas exactement dans la même catégorie. Il n’en demeure pas moins un film intéressant, sorte de fourre-tout métaphysique où chaque spectateur ira puiser selon son goût, un exemple de cinéma totalement inclassable.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Frank Suzanne - le 3 novembre 2004