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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Maraudeurs attaquent

(Merrill's Marauders)

L'histoire

La guerre fait rage en Birmanie. Les Japonais sont en position de force, car enchaînant les victoires militaires, et les Alliés se voient dans l’obligation de prendre des risques insensés pour prendre l’armée adverse à revers. Le 5 307ème régiment d’infanterie US commandé par le général Franck Merrill est chargé de s’infiltrer toujours plus loin dans le territoire birman afin d’attaquer la place forte de Myitkyina, un objectif essentiel pour reprendre l’avantage sur l’armée japonaise. Mais leur long parcours est semé d’embûches et les soldats doivent régulièrement engager l’ennemi. La mort est régulièrement au rendez-vous, et l’épuisement de ces hommes ne pouvant compter que sur eux-mêmes les condamne à une fin certaine au fur et à mesure que le régiment se réduit à peau de chagrin...

Analyse et critique

« Vous savez ce que le général Patton a dit du film ? "C’est formidable, mais il ne donnera à personne l’envie de rejoindre l’Armée". J’étais très heureux qu’il dise ça. En plus, il pensait que ce qui était montré valait pour n’importe quelle division. C’était un général intelligent. » (1) Le titre français de Merril’s Marauders peut donner l’impression aux spectateurs d’avoir affaire à l’un de ces films de guerre héroïques, à l’action échevelée et entièrement tournée vers la glorification de ses personnages. Il n’en est rien. Car Samuel Fuller est aux commandes, l’homme qui affirmait : « Je ne peins jamais de héros, je déteste ça. Il y a deux sortes de héros. Celui qui a fait quelque chose dans la panique, l’hystérie, la peur. Instinctivement. Sans le savoir. Et on l’appelle "héros" dans l’Histoire. L’autre sorte de héros, c’est celui qui, délibérément, fait quelque chose d’héroïque. En général, c’est pour sauver la vie de quelqu’un. C’est pour cela qu’on donne la Médaille d’Honneur. » (2) Le film raconte le périple harassant et terriblement coûteux en pertes humaines du 5 307ème régiment d’infanterie (composé de 3 000 hommes) au travers de l’épaisse jungle birmane. Ils agissent sous les ordres du général Merrill, un militaire d’expérience au caractère paternaliste, un homme aimé et jusqu’ici respecté de ses hommes, une forte tête qui aime profondément ses soldats et défendra leurs intérêts tant que ces derniers ne viendront pas contredire les ordres venus de la hiérarchie. Et qui n’hésitera donc pas à les envoyer en enfer si la mission l’exige. Frank D. Merrill a réellement existé et le scénario des Maraudeurs attaquent est adapté du livre qui conte ses aventures, écrit par Charlton Ogburn Jr. et intitulé The Marauders. Voilà un personnage qui fut fortement susceptible d’intéresser Fuller, cinéaste à la vie tumultueuse qui joignit l’infanterie lors de la Seconde Guerre mondiale et participa à plusieurs campagnes européennes, toutes particulièrement meurtrières, dont celle du Débarquement en Normandie.


Samuel Fuller n’a pourtant pas initié la mise en chantier de ce film de guerre, et ce pour la première fois dans sa carrière. Après quatre films dans les années 1950, dont J’ai vécu l’enfer de Corée (1950) et Baïonnette au canon (1951) qui ont révolutionné le genre à Hollywood, le réalisateur s’en été allé élargir sa palette en se confrontant à d’autres types de productions, comme le western (genre par lequel il avait débuté) et le film noir. Conscient d’avoir presque tout dit sur le sujet, il se réservait pour l’œuvre qui allait devoir retranscrire son expérience la plus personnelle et douloureuse, The Big Red One, film qu’il réalisera tardivement en 1980. Appelé par le producteur Milton Sperling, qui co-signera l’adaptation, Fuller est d’abord réticent à tourner le film, préférant habituellement être à l’origine du scénario. L’un des directeurs de studio, ancien colonel, finit par le convaincre. N’étant plus producteur, Fuller fut malheureusement victime de pressions - une séquence chère à son cœur, qui montrait les affrontements vus du ciel sans possibilité de faire la différence entre les combattants, subit les affres de la censure - et fut dépossédé de son œuvre quand il décida de quitter la production pour protester contre cette coupe. Fort heureusement, son remplaçant fut incapable de gérer de façon réaliste l’interprétation des comédiens et un seul de ses plans tournés fut conservé dans le montage final. La dernière des "agressions" commises contre le film de Fuller concerna la fin.

Le cinéaste rebelle souhaitait achever son film par une ligne de dialogue déclamée par Merrill (une phrase tirée des vrais propos tenus par son propre commandant en chef lors du dernier conflit mondial) au moment de sa crise cardiaque : « Quand j’y vais, vous y allez, quand je me bats, vous vous battez, quand je dors, vous dormez, quand je mange, vous mangez, quand je chie, vous chiez, et quand je meurs vous mourez ! » (3) Tout à fait dans l’esprit du film, cette sentence fut retirée et le réalisateur remplaçant termina la bobine par des images d’actualités montrant un défilé militaire commenté par une voix off qui fait l’éloge patriotique des soldats tombés sous le feu de l’ennemi... Cette ultime séquence ne peut donc que surprendre et décevoir le spectateur s’il ignore les raisons qui expliquent sa présence dans cette œuvre sans fausses notes jusqu’alors. Pour en terminer avec les anecdotes concernant Les Maraudeurs attaquent, il est utile de préciser que le projet fut initialement écrit pour Gary Cooper, malheureusement rattrapé par la maladie et la mort peu avant le début du tournage. La mort étant étrangement présente sur l’écran comme derrière les coulisses, un second drame endeuilla le film : l'acteur principal Jeff Chandler mourut sitôt les prises de vue achevées.


La mort, elle couvre de son manteau froid l’intégralité de ce film éreintant. Voilà certes une lapalissade car s’agissant d’un film de guerre. Sauf qu’elle n’est pas ici simplement liée à la violence des affrontements avec les Japonais. La mort imprègne le corps et l’esprit des soldats obnubilés par elle après avoir innocemment pensé à leur retour dans les foyers, récompense logique pour des hommes fourbus et victorieux dans les différentes batailles engagées. Le général Stilwell, relayé par Merrill qui échoua à le convaincre du contraire, pensait tout autrement. Et le film de raconter la longue agonie des combattants appelés à marcher éternellement vers les différents objectifs fixés. Jungle, marais, villages, montagne... Aucun terrain, aucune difficulté ne leur sont évités. Entre chaque marche, un combat âpre les attend et les survivants repartent de plus belle dans leur odyssée funèbre, toujours plus fatigués, toujours plus brisés sur le plan moral, toujours moins nombreux. Si héroïsme il y a dans Les Maraudeurs attaquent, c’est bien dans cette incroyable faculté à résister à ces terribles conditions de survie qu’on va la trouver. La survie est l’un des thèmes forts et récurrents de l’œuvre de Samuel Fuller et ce sont bien sûr ses films de guerre, relayant son expérience personnelle, qui en sont le meilleur vecteur. Fuller profite de chaque pause allouée pour transformer le récit en chronique de la guerre, détaillant les situations vécues successivement par ses personnages : réflexions sur leur action, (fausses) rivalités internes, solidarité de groupe, souffrances morales, mise en cause de la hiérarchie, comptage des morts (symbolisé par le nombre croissant des médailles récupérées par le lieutenant Stockton - dit Stock pour permettre plus de familiarité - qui a pour obligation et devoir de rédiger les lettres aux familles) et des blessés. L’humour est parfois de la partie comme une soupape de sécurité qui maintient la cohésion des unités. Un humour quelquefois un peu douteux pour le spectateur lorsque les soldats américains s’inquiètent de la santé de leur mule quand une section entière de Japonais vient d’être décimée (avec une cruauté encouragée par leur commandant d’unité). Un décalage que l’on pourra juger soit maladroit et empreint d’un sentimentalisme poussé jusqu’à la caricature, soit, plus conformément au cinéma de Fuller, tristement réaliste avec une pointe de cynisme qui en dit long sur la signification de la vie en pareilles circonstances.

Le réalisme de l’action et des événements, c’est bien ce qui guide Fuller dans son approche de la représentation guerrière. La première séquence des Maraudeurs attaquent en constitue à la fois le meilleur exemple sur le plan de la mise en scène et la meilleure introduction aux enjeux défendus par le film. Le réalisateur utilise des stock-shots en noir et blanc tirés de bandes d’actualités qu’il accompagne d’une voix off chargée de résumer le contexte historique, les lieux et l’importance stratégique de la mission. Subtilement, une transition s’opère entre les images : la réalité cède la place à la fiction quand le général Merrill joué par Jeff Chandler apparaît physiquement dans ces bandes pour nous emmener jusqu’au théâtre fictionnel des événements, à savoir le film proprement dit. Pour Fuller, il s’agit d’une continuité logique dans sa prise de position de cinéaste : le récit auquel nous allons assister n’est pas une approche romancée ou idéalisée de la guerre, mais une reconstitution qui se veut fidèle. L’utilisation de comédiens peu connus du grand écran (qui ont fait leur carrière principalement à la télévision), renforce le réalisme du projet. La présence de Gary Cooper, prévu à l’origine pour incarner Merrill, aurait sans doute modifié légèrement notre perception à ce sujet. Jeff Chandler, acteur relativement plus réputé grâce à quelques films d’aventures et westerns de série B, et quelques rôles remarqués chez Robert Aldrich, George Sidney, Douglas Sirk ou Delmer Daves (il interpréta Cochise dans le fameux La Flèche brisée en 1950), interprète un solide gaillard, proche de ses hommes et confronté à la douloureuse tâche de commander ses troupes quand les ordres transmis lui semblent foncièrement injustes. Néanmoins, son physique de bel homme aux dents blanches et serrées ne contredit jamais l’ambition de réalisme affichée par le cinéaste grâce à une direction d’acteurs qui permet de maintenir la cohésion de la section combattante.

Lors des scènes d’action, Samuel Fuller privilégie les mouvements et les gestes de ses personnages aux mouvements de la caméra (bien que cette dernière soit très souvent mobile de façon plutôt subtile). De même que l’attention aux petits détails du quotidien des militaires, comme l’enraiement d’un fusil. Plus étroitement liés à la topographie des lieux, qu’ils parcourent dans le cadre de leur infiltration, ces soldats gagnent en réalisme ce qu’ils perdent en spectaculaire outrancier. Les plans larges et les plans d’ensemble restent prioritaires. Les gros plans sont quasiment exclus, chose rare pour un film de Fuller. Une grande importance est accordée à la profondeur de champ. Un nombre réduit de panoramiques sert à donner de la lisibilité à l’action alors que les soldats des deux camps ennemis, captés dans des plans à grande échelle, ne sont pas toujours différenciés sur le plan visuel, et ainsi sur le plan moral (il n’y a pas ici de "bons" contre des "méchants" et l’on rappellera l’absence malheureuse du plan coupé par la production dont il est fait mention dans le deuxième paragraphe de cette critique). De leur côté, les nombreux travellings latéraux (dans la végétation particulièrement) unifient les différents groupes de personnages dans le cadre, tant dans leur solidarité dans l’épreuve que dans leur relation de proximité à l’environnement hostile (comme John Ford dans un contexte différent, Samuel Fuller a cette capacité de réunir une famille autour d’une communauté d’esprit et de corps sans nécessairement recourir à la facilité des dialogues, mais plutôt grâce aux cadrages et aux placements des personnages dans l’espace filmique).


La narration avance par paliers répétitifs et successifs qui sont autant de tranches de vie, accentuant encore l’aspect chronique guerrière du film et la sensation de lassitude ressentie par les troupes, cela au détriment d’une intensité croissante propre aux traditionnels films de guerre. Une approche qui pourra décevoir les attentes du spectateur en quête de divertissement nerveux. Il faudra aussi avouer que les deux premiers films de guerre de Samuel Fuller véhiculaient une toute autre intensité et contenaient bien plus de plans marquants et graphiquement impressionnants. Merrill's Marauders apparaît ainsi comme une répétition avant l’heure du dernier chef-d’œuvre guerrier de son auteur, à savoir le remarquable Big Red One (Au-delà de la gloire). Néanmoins, certaines images d’une grande puissance émotionnelle (le parachute servant de linceul blanc, le cimetière de cadavres à ciel ouvert qui s’étend à perte de vue, le long trajet d'un brancard au travers de ces corps inanimés) et quelques scènes fortes de combats comme celle prenant place près d’une gare ferroviaire au sein de blocs de béton formant un dédale à l’intérieur duquel les hommes tombent comme des mouches, les uns sur les autres. Rien que pour ces séquences d’une cruauté, d’une tristesse mais aussi d’une évidence absolues, Les Maraudeurs attaquent mérite une place particulière dans la liste des films offrant une vision crue, acerbe, juste et non cérémonieuse de la guerre.

(1) Il était une fois Samuel Fuller, Histoires d'Amérique racontées par Samuel Fuller à Jean Narboni et Noel Simsolo (Cahiers du Cinéma).
(2) Id.
(3) Id.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 28 avril 2006