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Critique de film
Le film

Californie terre promise

(California)

L'histoire

A la fin des années 1840. John Trumbo (Ray Milland), déserteur de l’armée américaine, a été embauché par Michael Fabian (Barry Fitzgerald) pour guider son convoi de pionniers, des fermiers venus de l’Est et souhaitant s’installer en Californie pour y faire pousser des pieds de vigne. En route, ils rencontrent Lily Bishop (Barbara Stanwyck), une joueuse et femme "de mauvaise vie" chassée de la ville par les bigotes du coin. Malgré lui, John Trumbo est obligé d'accepter celle-ci dans le convoi ; leurs relations seront très tendues durant le voyage. Peu après, au milieu de leur parcours, on leur annonce que de l’or a été découvert en Californie ; ce sera désormais chacun pour soi et la caravane se disloque pour ne plus laisser que John et Michael. Arrivé à destination, John retrouve Lily qui est devenu propriétaire d’un saloon dans une ville sous la coupe d’un ex-trafiquant d’esclave, le Capitaine Pharaoh Coffin (George Coulouris) : « Une pelle me rapporte désormais plus qu’un noir. » Ce dernier a pour ambition pas moins que de gouverner la Californie et pour ce faire en prendre la tête par la force, s’opposant pour cette raison à son intégration en tant que nouvel Etat américain. Ruinée par John lors d’une partie de cartes, Lily décide de se faire épouser par le richissime Pharaoh. Dans le même temps, Michael Fabian accepte de se présenter aux élections en tant que candidat à l’union de la Californie aux USA ; John qui va le soutenir, se trouve donc du coup dans le camp adverse de celui de Lily qu’il a toujours secrètement aimée...

Analyse et critique

Premier western du réalisateur d’origine australienne John Farrow, California est une grosse production de la Paramount, compagnie assez peu prolifique dans le domaine du western, qui n'en a effectivement produit qu’environ un seul par an depuis le début des années 40. Au vu de son budget et de ses ambitions, il est néanmoins étonnant que ce western ne soit pas plus connu dans nos contrées. Au vu de ce pitch, on devine aisément les ambitions de cette production de prestige de la Paramount : brasser dans un même film l’aventure épique et la romance sur un arrière-plan politique et historique. Le confortable budget alloué ne lui a pourtant pas permis de rester dans les annales. Et pour cause, si le film se suit assez agréablement, il ne s’agit pas d’une franche réussite. A force de courir plusieurs lièvres à la fois, le scénariste et le réalisateur ont eu du mal à maintenir l’intérêt tout au long du récit, les ambitions de départ se trouvant un peu anéanties par un trop grand dispersement de l’intrigue mais aussi par un choix moyennement judicieux quant au casting et à des options de mise en scène un chouia prétentieuses.

California débute par un hymne aux bienfaits et merveilles de l’Etat de Californie sous la forme d'un prologue musical d’une grandiloquence frisant parfois le ridicule. N’est pas King Vidor qui veut et malgré le lyrisme des images et l’originalité du traitement, ce prélude opératique manque un peu son but ; dès le départ, il donnera probablement à certains l’envie de stopper net la vision du film. John Farrow réitèrera ce ton volontairement emphatique lors de l’annonce de la découverte de filons d’or en Californie : de nouveau des chœurs célestes, des gros plans ampoulés et une voix off pompeuse pour nous signifier que l’argent transformait alors les gens les plus simples en monstres d’avidité et d’égoïsme. Les gros plans expressifs sur les visages de ces pionniers ont beau être magnifiquement photographiés, la lourdeur didactique du message vient en quelque sorte annihiler cette recherche plastique.

Car oui, les éclairages nocturnes de Ray Rennahan sont somptueux ; certains panoramiques dont celui voyant la file interminable des chariots au début sont splendides, rappelant des images de La Piste des géants de Raoul Walsh, notamment lorsque l’on voit les chariots descendre les falaises attachés à des cordes. Mais John Farrow, conscient de son talent, en fait parfois trop ; avant même Hitchcock et Welles, il nous concocte quelques longs plans séquences virtuoses dont un qui s’étire sur plus d’une dizaine de minutes lors de la scène du bal dans l’hacienda. Mais au lieu de nous émerveiller, ce plan semble faire s’éterniser la scène plus qu’elle ne le méritait et casse un peu le rythme qui, malgré les innombrables péripéties, ne nous semblait déjà plus trop nerveux. Bref, à trop vouloir en faire sans que cela ne serve à autre chose qu’à se regarder filmer, le cinéaste rate l’occasion qui lui était donnée - en restant modeste - de réaliser une ample fresque mémorable, surtout au vu des multiples possibilités offertes par le scénario.

Un scénario qui nous donne en cadeau l'un des "méchants" les plus intéressants que nous ait donné le western jusqu’à présent : le personnage de Pharaoh, homme politique que ses rêves de grandeur empirique détruiront. Ancien esclavagiste hanté par ses démons et les fantômes de Noirs brutalisés, il connut une enfance malheureuse sous la coupe d’un père alcoolique et violent. Tous ces aspects de sa personnalité rendent Pharaoh parfois foncièrement attachant ; sa maladresse et sa réelle tendresse envers Lily renforcent encore sa sympathie.

Malheureusement, une grosse erreur dans la distribution empêchera une plus grande empathie du spectateur à son égard. En effet, George Coulouris qui l’interprète est un acteur assez inconsistant. C’est d’autant plus dommage qu’Albert Dekker se trouve de la partie mais ne s’est vu attribuer qu’un second rôle sans conséquence alors qu’à l’époque il s’agissait probablement du comédien le plus à même de tenir ce rôle de Pharaoh. De même, Ray Milland a beau être un formidable comédien de films noirs, il se révèle ici assez terne surtout quand il se retrouve en face d’une Barbara Stanwyck en revanche éclatante de vigueur et de beauté, et dont la première apparition fait étrangement penser à celle de Claire Trevor dans Stagecoach de John Ford. Superbement mise en valeur dans la peau d’un protagoniste assez complexe, elle porte le film sur ses épaules aux côtés d’un Barry Fitzgerald (acteur fétiche de Ford, inoubliable dans Qu’elle était verte ma vallée) lui aussi plutôt inspiré en porte-parole de l'unification de la Californie aux USA.

Ainsi, même si ce film un peu statique ne tient pas toutes ses promesses, nous trouvons néanmoins pas mal d’occasions de nous réjouir à commencer par l’interprétation de Barbara Stanwyck, une photographie très recherchée, rehaussée par la beauté du Technicolor, des cadrages assez originaux, de très beaux plans (notamment celui suivant la débandade du convoi, la plaine étant jonchée de tous les objets délaissés par les pionniers), des paysages assez bien mis en valeur, des dialogues franchement bien écrits et une réflexion plutôt captivante sur les intérêts de la Californie à trouver son indépendance ou à entrer dans le giron de la grande Amérique. La première demi-heure rappelant les grands westerns des années 30 qui narrent l’avancée des chariots à travers les étendues sauvages du continent américain (La Piste des géants déjà cité en est l’exemple le plus mémorable) était même clairement excellente avec notamment la première confrontation dans l’intimité entre John et Lily : des punchlines qui fusaient et une verve assez nouvelle de la part de Barbara Stanwyck qui affirmait d’emblée l’originalité, la modernité et la nouveauté de son personnage. Il faut l’avoir entendu dire à Ray Milland après qu’il a cru qu’elle le faisait venir dans son chariot pour l’attirer dans ses bras : « Je vous jetterais à bas de votre cheval et vous enfoncerais la tête dans la boue » pour se rendre compte du caractère de la dame en question, qui ne se laissera jamais démonter pour notre plus grand plaisir. Dès l’arrivée en Californie, le film devenait tout de suite moins enthousiasmant mais comportait encore assez de bonnes séquences pour ne jamais nous ennuyer. Le final, très convenu montrait, également les limites de l'ambition épique et la volonté de sérieux de départ. California est l’exemple type du film comportant une multitude de bonnes choses qui ont du mal à s’harmoniser entre elles pour former un tout cohérent et entièrement satisfaisant. En l’état, il s'agit plutôt d'un western sympathique nous proposant une histoire encore assez neuve, ce qui n’est déjà pas si mal.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 février 2011