(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Les bronzés font du ski
Peu de films sont susceptibles comme celui-ci de faire éprouver l’écart pouvant exister entre le culte populaire et la valeur artistique : il est de ces classiques du répertoire télévisuel que tout le monde a vu, devant lequel chacun se tord de rire, mais que même ses plus ardents défenseurs ne considéreront jamais comme une œuvre de création esthétique. Cantonné au rang de technicien rudimentaire, Leconte se contente de mettre en boîte et d’aligner bout à bout, sans aucune plus-value personnelle, les gags concoctés par la troupe du Splendid. C’est bien dans l’anecdote que l’ironie de la troupe fait mouche, lorsque l’acrimonie corrosive du portrait atteint à une réelle férocité et la cocasserie ubuesque des situations à une vigueur comique assez redoutable. Zéro cinéma donc, mais parfaitement hilarant. 4/6
Les spécialistes
Argument : un vrai flic (donc un faux truand) et un vrai gangster se donnent la main pour dépouiller la mafia et réaliser le casse du siècle au casino de Nice. Le film creuse le sillon bien identifié du récit d’aventures mi-comédie mi-polar, avec grands espaces naturels (les gorges du Verdon) et amitié virile, celui-là même qui valut à Delon et Belmondo quelques-unes des leurs heures de gloire, et qui permet ici à Lanvin et Giraudeau d’assurer dans le registre mauvais garçons sympathiques-beaux mecs-grandes gueules. Les péripéties sont agencées selon une mécanique efficacement huilée et les dialogues de Michel Blanc permettent de glisser entre les deux protagonistes une complicité rieuse et tonique, cernant en quelques paramètres les caractéristiques de l’un et de l’autre. Un divertissement solide, donc. 4/6
Tandem
C’est une comédie certes, mais au lieu de s’esclaffer et de danser on y grince, tant la noirceur du trait fige souvent le rire qui s’amorce. C’est aussi l’histoire d’une amitié, l’union de deux solitudes, la force d’un nain et d’un géant ne tenant debout que parce qu’ils sont ensemble. C’est encore une chronique douce-amère, un portrait de couple sans dames, une balade à la fois drôle et attachante qui capte avec la dérision grinçante des satires de mœurs italiennes la détresse des professionnels de la galère. À travers le portrait nostalgique d’un matamore usé, vedette radiophonique sur le déclin haïssant la France profonde et poujadiste qui est pourtant la seule à le faire encore roi, le cinéaste livre une fable dont la rosserie pourrait être insupportable, mais dont l’ironie voisine avec une chaleureuse tendresse. 4/6
Monsieur Hire
Hitchcock avait fait du voyeurisme la métaphore du spectacle cinématographique, Renoir l’évasion face au sordide de la vie. Chez Leconte il est impuissance, expression cachée d’un désespoir oppressant. Loin de la remarquable version de Duvivier, il s’approprie le roman de Simenon en cultivant sa dimension fantasmatique et en appuyant la stylisation austère et glacée d’une mise en images rigoureuse, épurée, dont la photographie uniformément cendreuse impose l’impression de cauchemar morne. La musique lancinante de Nyman, le climat d’étrangeté qui réduit l’environnement à une quasi-abstraction, les ambiguïtés psychologiques de l’étude de caractères confèrent à ce drame intimiste et cruel un cachet singulier. Masque blafard et costume de deuil, Michel Blanc y accomplit une prestation étonnante. 4/6
Le mari de la coiffeuse
Peut-on traduire un fantasme en images ? La raison dit non, le talent dit oui. Et Leconte de prouver son éclectisme en conjuguant la tendance comique-café théâtre (un salon de coiffure avec ses clients qui viennent tour à tour raconter leur histoire et confier leurs problèmes) et la tendance esthétique (bel espace reconstitué en studio, savant jeu de couleurs, ralentis à laisser rêveur). Sur une intrigue très ténue, il cherche à capter des instants fugaces, distille une poésie du quotidien rivée aux expériences et aux souvenirs de son héros – Jean Rochefort, savoureux en hédoniste aux pulsions de mousmé, tout en lubies adolescentes et coquetteries malicieuses. Si le ton est à la légèreté, voire à la sensualité, il ménage également une morale mélancolique, un peu désenchantée, quant à la volatilité du bonheur. 4/6
Ridicule
L’histoire d’un hobereau naïf et idéaliste qui, venu à la cour de Louis XVI, apprend à manier le verbe. C’est un western intellectuel où les mots d’esprit sont maniés comme des armes dans des duels à fleurets non mouchetés, où un abbé mondain connaît en un instant une disgrâce inattendue faute d’avoir trop voulu briller, où une jeune fille moderne invente l’avenir, et où une comtesse manipulatrice dépassée par ses sentiments se démasque soudain, des larmes plein les yeux. Très inspiré, Leconte épingle la vanité du genre humain en un conte moral cinglant et acéré, servi par des dialogues au cordeau : la satire de cette société du paraître, peuplée d’êtres serviles et mesquins, codifiée par des rites méticuleux où règnent l’esprit courtisan, l’égoïsme et l’hypocrisie, est un petit bijou d’élégance et de férocité. 5/6
La fille sur le pont
Deux êtres solitaires (une jeune femme malmenée par la vie, un lanceur de couteaux qui s’affirme comme son ange gardien) se rencontrent dans un Paris en noir et blanc, stylisé, post-fellinien. La chance qui avait manqué à l’un comme à l’autre leur sourit dès lors qu’ils sont ensemble. Au-delà du spectacle censé capter une certaine tristesse des gens du cirque, Leconte semble dire, un peu en contrebande, qu’il n’est pas vraiment dupe de l’économie trop lourde que doit assumer son entreprise. À l’image de son héros, il est lui-même un artiste de music-hall contraint de produire de la poudre aux yeux quand son désir serait de raconter une histoire plus intime. D’où le charme intermittent produit par le film, dont certaines scènes (les numéros forains envisagés comme rituels érotiques) frisent même le ridicule. 3/6
La veuve de Saint-Pierre
Dès le premier plan, lent et solennel travelling en profondeur vers une femme regardant à la fenêtre, le ton est donné : celui d’un certain académisme international du film en costumes, surdéterminé par un souci pictural censé l’ennoblir. Mais dès que les différents éléments (la guillotine, le gouverneur et les habitants de l’île, le capitaine et sa femme, le condamné) commencent à prendre entre eux, la mise en scène s’en défait en partie, exprime les sentiments qui brisent le masque glacé des convenances et des lois, passe des figures imposées aux figures libres. Fustigeant avec conviction la peine de mort, l’auteur trouve alors une respiration romanesque stimulante qui offre son assise à la réflexion sur la culpabilité, la rédemption et le pardon, et inscrit le récit dans une ligne tragique épurée. 4/6
Mon top :
1. Ridicule (1996)
2. Monsieur Hire (1989)
3. Le mari de la coiffeuse (1990)
4. Tandem (1987)
5. Les bronzés font du ski (1979)
Il fait partie de ces cinéastes français populaires qui semblent constamment courir après la respectabilité et ne cessent de vouloir convaincre de leur légitimité artistique. Souvent méprisé par l’intelligentsia, il a pourtant su faire preuve d’éclectisme, parfois d’ambition, et offrir une poignée de franches réussites.