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La Voie lactée (Luis Buñuel - 1969)

Publié : 21 janv. 04, 10:14
par christian
J'ai enfin pu visionner mon enregistrement de ce superbe film passé il y a peu dans le ciné-club de FR2.

Avec ce film qui raconte le pelerinage délirant de 2 mendiants cheminant vers St-Jacques de Compostelle, et en mélangeant allégremment passé et futur, Luis Bunuel retrouve exactement l'univers surréaliste de "L'Age d'or" : même obsession pour la religion (le scénariste J.C.Carrière aborde ici le problème des hérésies religieuses, surtout dans le catholicisme) et les symboles chrétiens (cadavres d'évéques déterrés et brulés par l'inquisition, discours philosophique pendant un duel : une séquence totalement loufoque d'ailleurs ;-), Jésus éduquant ses apotres, miracles et apparitions magiques de la vierge, etc...)

Le marquis de Sade (cher à Bunuel : cf la fin de "L'Age d'or") est lui aussi invoqué encore plus clairement par Michel Piccoli (en costume du 18ème) essayant de convaincre Thérèse enchainée (une héroine du divin marquis) que Dieu n'est qu'un mythe...

A noter qu'on retrouve J.C.Carrière en acteur (avant "L'alliance" de Christian De Chalonge où il interprete le role principal de cet excellent film inspiré par son propre roman) : il joue de façon sobre (et en latin !!!) une sorte d'évéque un peu libertin des débuts du christianisme, épatante apparition !!

Un film très étrange, à voir dès que possible...

Publié : 21 janv. 04, 10:15
par Joshua Baskin
Je l'avais enregistré en même temps que toi et j'avais été à l'époque très décu par ce film tournant quasi exclusivement autour de concepts religieux, étant totalement ignare en la matière.

Publié : 21 janv. 04, 11:02
par christian
Joshua Baskin a écrit :Je l'avais enregistré en même temps que toi et j'avais été à l'époque très décu par ce film tournant quasi exclusivement autour de concepts religieux, étant totalement ignare en la matière.
Oui, c'est vrai qu'il faut s'accrocher sur certains concepts (surtout le passage philo du duel : là j'ai vraiment rien compris, j'ai pas trop cherché, quoi...)...

il a fallu que je me rappelle de souvenirs (lointains) de catéchisme ;-)

Mais à part le duel (là, j'ai décroché completement... on aurait dit du Kant : l'horreur !! :-)), j'ai compris la plupart des propos (l'histoire du marquis de Sade-Piccoli, les 2 jeunes "hérétiques" qui nient la Sainte-Trinité, le discours des curés, etc...)

De toute manière, c'est un film a voir avec un peu de recul, tant pis si on ne comprend pas tout, le film joue surtout sur l'absurde et le charme poétique des "collages" comme Max Ernst le pratiquait dans des livres comme "Une semaine de bonté", le passage en latin (non sous-titré) recité par l'évéque incarné par J.C.Carrière n'a pas du être compris par beaucoup de personnes à l'époque (hormi quelques grenouilles de benitier et les latinistes confirmés)

Publié : 7 nov. 04, 19:26
par Stalker
La voie lactée, Luis Buñuel, 1969

Film drôle et intelligent sur la religion et le dogmatisme, même si j'avoue avoir loupé un certain nombre d'éléments, à cause d'une maigre connaissance de la bible et de l'histoire du christianisme. En suivant deux hommes dans leur pélerinage de Paris à Compostelle, Buñuel met en relation les différents aspects du christanisme : la foi des gens simples, les prêtres de campagne, la parole du Christ et le dogmatisme catholique dans l'histoire.
L'intelligence réside dans le fait que le film ne tombe jamais dans la satyre bête et méchante (même si on voit un prêtre emmené à l'hôpital psychiatrique et un pape fusillé en rêve). Il ne fait que mettre en regard la Bible, les faits historiques et des personnages actuels. Le tout dénonce le dogmatisme et la chasse aux hérétiques, sans pour autant aller à l'encontre de la foi et de la religion.
Si Dieu existe, il n'a probablement que faire des querelles théoriques de telle ou telle branche de l'église, il aide même les gens à s'en libérer (cf. le "miracle", conté par un prêtre, de la bonne soeur qui grâce à la sainte vierge peut se marier et avoir des enfants avant de revenir dans les ordres).
D'ailleurs Buñuel dit à propos du film : "Je voudrais qu'après avoir vu ce film sept athées trouvent la foi et que sept croyants la perdent"

Re: La voie lactée (1968) - Luis Bunuel

Publié : 18 avr. 08, 17:21
par Jipi
La voie Lactée est avant tout un cours de théologie de haut niveau sur l’absence la plus importante de tous les temps. Au cours d’un pèlerinage, les doctrines de Dieu sont expliquées, commentées, contestées, imposées à travers des temps porteurs d’analyses dans des parcelles de vérités menant certains protagonistes enflammés jusqu’au duel.

Sur le chemin de Compostelle, l’aumône est bizarrement offerte au nanti possédant quelques pièces. La fonction de l’hostie succède aux messages cryptés. Certains propos imposent un fantôme crée par l’homme afin de le dresser à vie contre ses congénères dans des luttes entretenant une sauvagerie.

« Le christ est né de sa mère sans rompre sa virginité ».

Il y a de quoi deviser éternellement sur de telles affirmations. Sur le pré, le champ de bataille, la taverne, le procès. L’immaculée conception est expliquée derrière une porte close représentant le dernier rempart d’une réticent.

Les envolées théologiennes pondérées ou musclées se succèdent alimentées par le cafetier, le gendarme, l’homme d’église, le paysan, et le mendiant. Chacun essaie de comprendre le message des écritures dans une diction différente mais concise commune gommant par sa rhétorique toutes les différences. La compréhension d’un tel concept à l’avantage de réunir tout le monde.

L’esprit se triture par la foi. L’acceptation ou la contestation envers des textes sont les seuls ingrédients entretenant la continuité ou le refus d’une croyance. La nature ayant horreur du vide, ses hotes alimentent un sujet extensible par des exposés contradictoires perpétuels sans arbitre.

« La voie Lactée est une sorte d’Agora, une tribune à l’air libre ou au fil de rencontres plus ou moins métaphysiques deux mendiants en route vers Compostelle emmagasinent des informations sur un silence céleste interminable. Chacun d’eux en fonction des exemples se débat entre affirmations,différences et athéismes.

Le regard et l’écoute s’adaptent à un cas par cas représentant toujours une évolution. La base de données du créateur s’alimente par l’accumulation des expériences d’esprits sur le terrain. L’affirmation et la contestation se livrent un combat sans fin à l’intérieur de procédures divines ambiguës.

Finalement c’est l’homme qui parle le mieux de Dieu.

Re: La voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 20 avr. 08, 14:46
par Watkinssien
Une réussite audacieuse de Buñuel, une preuve artistique que l'athéisme du cinéaste constitue un atout indéniable pour mettre en image une iconographie religieuse crédible tout en renforçant son propos anti-dogmatique.

Excellent !

Re: La voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 20 avr. 08, 15:46
par Kevin95
Un athéisme à double tranchant donc, car comme le dit justement Jean-Claude Carrière, Buñuel entretenait une relation répulsion / fascination avec la religion catholique.

Re:

Publié : 21 avr. 08, 22:16
par MJ
Joshua Baskin a écrit :Je l'avais enregistré en même temps que toi et j'avais été à l'époque très décu par ce film tournant quasi exclusivement autour de concepts religieux, étant totalement ignare en la matière.
J'avais montré ce film à un pote pas particulièrement porté sur le bénitier, mais il n'avait pas mis trop long à comprendre qu'on trouve difficilement plus anti-clérical. C'est justement une grande force du film qu'on n'ait pas besoin de saisir tous les tenants et aboutissants des théories évoquées pour en comprendre l'absurdité... quoiqu'on s'amuse encore plus en suivant attentivement.

Et puis tous ces dialogues cultes:

Jésus racontant une "blague".

"Je crois que je viens d'avoir une révélation... le Christ est dans l'ostie comme le lièvre est dans le pâté!"

"Vous en verrez des choses, mais le pape fusillé ça vous le verrez jamais."

"La barbe ça inspire confiance."

"-La preuve est dans la Bible.
-Ah bon?
-Psaumes 14 verset 1: Seul l'insensé dit en son coeur: Il n'y a pas de Dieu!
-Ah oui, c'est très convaincant.
"

Carrière/Bunuel rules. :lol:

Re: La voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 30 juil. 13, 13:21
par Federico
Documentaire de 22' sur le tournage de La voie lactée.
Seules les deux premières minutes sont visibles gratuitement mais on peut y entendre Jean-Claude Carrière assurer qu'il n'est absolument pas dans l'intention de don Luis et lui-même de choquer. Un poil de... mauvaise foi, peut-être ?... :P

Re: La voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 2 août 17, 06:56
par Jeremy Fox

Re: La voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 2 août 17, 10:16
par Demi-Lune
Souvenir très flou du film, si ce n'est sa construction en sketches... et cet inénarrable duel où deux gentilshommes croisent l'épée tout en soutenant un passionnant débat philosophique. :lol:

Re: La Voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 2 août 17, 12:37
par Amarcord
Nettement moins jubilatoire (mais tel n'est pas son propos) que Le Fantôme de la liberté ou le génial Le Charme discret de la bourgeoisie. Excellent film néanmoins.

Re: La Voie lactée (Luis Bunuel - 1968)

Publié : 2 août 17, 12:47
par Alexandre Angel
Amarcord a écrit :Nettement moins jubilatoire (mais tel n'est pas son propos) que Le Fantôme de la liberté ou le génial Le Charme discret de la bourgeoisie. Excellent film néanmoins.
Oui, de par ce que Jean-Gavril Sluka explique bien : le respect de la lettre par Buñuel l'oblige à une rigueur adaptatrice qui confine légèrement à une austérité impactant moins les autres films.

Re: La Voie lactée (Luis Buñuel - 1969)

Publié : 21 oct. 21, 13:18
par El Dadal
Quel étrange film que voilà, même à l'aune de la carrière de Buñuel.
Plutôt complexe à appréhender sur un plan purement théologique car particulièrement précis dans son discours, son cheminement et ses symboles, pour lesquels il me manque un certain nombre de connaissances et de clés de lecture, La voie lactée me semble bien de son temps de par sa nature libre et drôle, permettant à plusieurs catégories de spectateurs de suivre cette aventure en se raccrochant à diverses branches. Son réalisateur ne cède jamais à la provocation gratuite, à la facilité ou à la dénonciation. Son numéro d'équilibriste tient sans doute paradoxalement dans une sorte d'humilité envers le doute, l'insondable et le mystère, salvateurs, et rejetant dos à dos les réponses tranchées des extrémistes de tous bords.
Le film est également intemporel, que ce soit grâce aux astuces de contextualisation des divers récits ou l'intrusion et l’immixtion du présent dans le passé et vice versa. Son discours moderne est également parfaitement transposable à d'autres domaines de pensée et d'activité, artistiques, culturelles ou sociales. L'ultra dogmatisme de notre société actuelle, l'opinion personnelle hérissée en parole sacrée et la volonté de bannir tout courant de pensée contraire trouvent ici un écho bien savoureux.

Re: La Voie lactée (Luis Buñuel - 1969)

Publié : 21 oct. 21, 15:03
par Flol
El Dadal a écrit : 21 oct. 21, 13:18 L'ultra dogmatisme de notre société actuelle, l'opinion personnelle hérissée en parole sacrée et la volonté de bannir tout courant de pensée contraire trouvent ici un écho bien savoureux.
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