Les Cavaliers (The Horse Soldiers - 1959) de John Ford
UNITED ARTISTS
Avec John Wayne, William Holden, Constance Towers, Judson Pratt, Hoot Gibson, Ken Curtis
Scénario : John Lee Mahin & Martin Rackin
Musique : David Buttolph
Photographie : William H. Clothier (DeLuxe 1.66)
Un film produit par John Lee Mahin & Martin Rackin pour la United Artists
Sortie USA : 23 juin 1959
1863. La Guerre de Sécession fait rage et les Sudistes commencent à flancher. Sous le commandement du colonel John Marlowe (John Wayne), un détachement de cavalerie Nordiste est chargé de désorganiser davantage encore la partie adverse en coupant leurs lignes de ravitaillement. La troupe se lance donc dans un long périple en territoire ennemi, sabotant les voies ferrées, brûlant les dépôts de munition… Durant cette dangereuse excursion jusqu’à Newton Station (bourgade qui est en réalité un dépôt de vivres et d'armes indispensable aux troupes Sudistes), Marlowe s’oppose sans cesse au médecin militaire, le Major Kendall (William Holden), ce dernier ayant l'impression de donner de la chair à canons au premier en soignant les blessés. Ils atteignent bientôt le domaine de Glenbriar qui appartient à une aristocrate Sudiste, Hannah Hunter (Constance Towers). La jeune femme les reçoit avec tous les égards pour mieux pouvoir les espionner. Ayant été prise la main dans le sac, elle est contrainte de prendre part à l’expédition afin de ne pouvoir nuire au succès de la mission de Marlowe. Après une marche forcée semée d’embûches, la troupe arrive à destination ; mais les partisans Sudistes ayant été prévenus, ils ne tardent pas eux aussi à faire leur entrée afin de les en déloger ; au grand dam de Marlowe qui ne souhaitait pas de bain de sang, les confédérés sont massacrés en pleine ville. La cavalerie, après avoir brulé vivres et armements, continue son avancée encore plus au Sud, cette fois avec les troupes de Lee à leurs trousses…

Nous n’avions plus croisé John Ford dirigeant un western depuis
La Prisonnière du désert (The Searchers). Il est clair que si les fans du cinéaste s’attendaient à une œuvre de même qualité, ils ont dû vite déchanter. Cependant, même s’il s’agit d’un des films les plus mal aimés de la filmographie de John Ford,
Les Cavaliers ne méritait pas autant de sévérité de part et d’autre, car, même si esthétiquement et dans le domaine de l’écriture, il est évident que nous n’atteignons jamais les sommets fordiens, le scénario demeure assez captivant, jamais manichéen, dénonçant avec une belle puissance la folie meurtrière de cette guerre de Sécession qui se révèle être à plusieurs reprises une véritable boucherie. Outre le conflit Nord/Sud, il est aussi question ici de conflits humains entre le médecin désintéressé et soucieux de préserver les vies et l’officier envoyant ces mêmes vies sauvées au massacre, essayant cependant d'éviter cette extrémité dans la mesure du possible, tous deux efficacement interprétés par William Holden et un John Wayne en grande forme. Quant au personnage féminin assez ambigu interprété par Constance Towers, il vient mettre du sel supplémentaire dans les relations déjà conflictuelles entre les deux hommes. Tiraillé entre deux clans, le grand réalisateur ne tombe pas dans le piège de la simplicité et, tout en restant fidèle à l’Union, loue le panache et le courage des gens du Sud. Si la mise en scène peut sembler parfois paresseuse, Ford nous prouve une fois de plus qu’il n’avait pas son pareil pour les séquences d’action toutes aussi brillantes les unes que les autres. Sur une musique martiale et entraînante de David Buttolph, magnifiquement photographié par William Clothier, un Ford certes mineur mais trop injustement boudé.

Boudé aussi bien par les spectateurs, les admirateurs du cinéaste, les scénaristes-producteurs ainsi que par John Ford lui-même. Il faut dire que le tournage de ce film de commande fut mouvementé et n’aura pas laissé de bons souvenirs à la plupart de ses participants. Pas moins de six sociétés de production injectèrent de l'argent dans ce projet, avec toutes les exigences que cela impliquait et tous les tiraillements qui devaient en découler ; le budget qui avait besoin d’être conséquent fut dévoré pour un tiers par le salaire de ses deux comédiens principaux. Au vu de ces conditions de départ déjà difficiles, John Ford devint rapidement irascible, notamment avec Martin Rackin qu'il ne supportait pas. John Wayne, uniquement préoccupé par la superproduction qu'il s'apprêtait enfin à tourner (
Alamo), recommença à boire malgré la promesse contraire faite à son épouse Pilar qui eut alors une crise de démence et tenta de se suicider. William Holden, qui remplaça James Stewart initialement prévu pour tenir le rôle du médecin, ingurgita lui aussi pas mal de boissons sur le plateau et Patrick Ford se cassa la jambe alors qu'il effectuait des repérages. Au lieu de l'enthousiasme qui régnait souvent sur les tournages du célèbre borgne d'Hollywood, c'est l'agacement et la fatigue qui se firent très vite jour. Mais le plus gros drame eut lieu à la fin du tournage ; le cascadeur Fred Kennedy qui doublait alors William Holden, fit une mauvaise chute de cheval qui mit fin à ses jours. Un choc terrible pour le cinéaste qui avait tissé des liens très profonds avec cet homme avec qui il était ami de longue date. Il ne s'en remettra pas et abandonnera en grande partie le tournage : "
Duke m’a dit que Ford semblait incapable d’oublier l’accident. Il se rendait responsable de la mort de Kennedy. Il s’est remis à boire et a perdu tout intérêt pour le film." dira Pilar Wayne. L'échec sera également commercial et financier puisqu'il n'obtiendra pas un grand succès en salles, les producteurs n'ayant jamais réussi à rembourser leur mise de départ.

L’histoire du film s’inspire de celle authentique du Colonel Grierson qui, l’année 1863, alors que la Guerre de Sécession battait son plein, sur les ordres du Général Grant, accomplit un périple de quelques milles kilomètres du Tennessee à la Louisiane dans le but de détruire vivres et matériel devant servir aux confédérés, afin également de détourner leur attention de l'offensive qui se préparait du côté de Vicksburg. Sachant que ce conflit civil fratricide était la période de l’histoire de son pays qui intéressait le plus John Ford (il possédait d’innombrables ouvrages sur le sujet), il est étonnant de constater qu’il ne s'est cinématographiquement occupé du sujet qu’en toute fin de carrière alors même que le western fut son genre de prédilection et qu'il semblait pour tout le monde être l'homme de la situation. Il n'y eut que
The Valiant Virginians, projet qui capota, avant que John Lee Mahin et Martin Rackin lui proposent leur propre script. Peu de temps après le début du tournage, John Ford peu satisfait du script dit à John Lee Mahin "
Tu sais où nous devrions tourner ce film ? A Lourdes ; il faudra un vrai miracle pour le sauver !" Le résultat est néanmoins loin d'être catastrophique et surtout assez nouveau, encore très peu de films ayant abordés le conflit sur le terrain à l'exception d'un des chefs-d’œuvre de John Huston,
La Charge victorieuse (The Red Badge of Courage), les combats étant ici montrés du point de vue d'un simple soldat. Après un prologue mettant en scène la présentation de la mission que les personnages du film auront à accomplir, la première demi-heure pourrait s'apparenter à une comédie truculente, les conflits entre le médecin et le militaire reposant avant tout sur des punchlines bien cinglantes, la longue séquence dans la demeure sudiste étant surtout phagocytée par le cabotinage parfois un peu agaçant de Constance Towers, comédienne encore débutante et pas toujours convaincante, son manque d'expérience la conduisant à en faire souvent trop que ce soit dans la comédie ou le drame. Une scène néanmoins parfaitement bien rythmée et jamais ennuyeuse, permettant avec une certaine légèreté d'apprendre à connaître les principaux protagonistes.

Une fois découvert le pot aux roses, l'aristocrate ayant essayée de soutirer des informations à ses hôtes pour aller en avertir les sudistes haut placés, le film bifurque vers plus de noirceur et de drame puisque, en s'avançant plus avant derrière les lignes ennemies, le détachement va devoir faire face à de nombreuses embûches. Par petites touches successives, les auteurs nous font alors entrer de plein pied dans la situation dramatique dans laquelle se trouvait alors le pays. Nous assisterons à la description du dénuement et de la colère de la communauté noire avec la scène de l'accouchement, nous découvrirons des facettes très sympathiques du pourtant austère Colonel Marlowe, le voyant rabrouer et mépriser des Sudistes trahissant sans scrupules leur camp et leur cause, réconfortant des ennemis à l'agonie, refusant de tirer sur l'escadrille des cadets, préférant prendre la fuite plutôt que de les massacrer (splendide séquence, sachant que dans la réalité les officiers nordistes n'eurent pas tant de pitié, décimant jusqu'au dernier ces jeunes gens dont le plus âgé avait 16 ans !), nous assisterons au geste de bravoure désespéré des soldats confédérés lors de la bataille se déroulant dans la rue principale de Newton Station, ramassant à tour de rôle leur drapeau tombé à terre dès que celui qui le portait se fait tuer (autre séquence d'anthologie), nous serons témoin de la galanterie et du respect qui pouvait exister entre les officiers des deux camps pour mieux nous faire comprendre la folie meurtrière d'un conflit civil qui oppose des hommes ayant été 'frères' encore peu de temps auparavant... En évoquant tous ces fabuleux instants, on imagine aisément le niveau qu'aurait pu atteindre
The Horse Soldiers si John Ford s'était senti plus concerné par son film qui demeure bien inégal malgré tout, ne retrouvant presque jamais la puissance d'évocation, la générosité et la poésie de ses plus grandes réussites. Ceci est très certainement dû à tous les problèmes qui eurent lieu durant le tournage ; quasiment tout le monde s'accorde à le dire et je vais aussi dans ce sens.

Malgré tout, il serait vraiment dommage de s'en priver pour toutes les raisons déjà évoquées : un duo William Holden/John Wayne parfaitement bien rôdé même si un peu mécanique, une période de l'histoire rarement évoquée de la sorte, des morceaux de bravoure qui prouvent que le cinéaste était loin d'avoir abandonné toute velléité de bien faire, la présence de sa générosité et de sa tendresse habituelles envers ses personnages y compris les moins importants (voir la séquence au cours de laquelle la mère retient de force son tout jeune fils qu'elle ne veut pas voir partir à la guerre), une magnifique photographie et un David Buttolph qui, après
Westbound (Le courrier de l'or) de Budd Boetticher, nous faisait plaisir après nous avoir si souvent cassé les oreilles les années précédentes. Et puis les fans du Duke auront une nouvelle fois l'occasion de se régaler et d'admirer son talent dramatique, son Marlowe ne déméritant pas aux côtés de ses plus beaux rôles. Un personnage d'officier bien plus complexe qu'on aurait pu le penser d'emblée : un homme raide et bourru mais non dénué de générosité, un soldat déterminé à réussir sa mission en faisant le moins de casse possible parmi ses homme, respectueux envers ses ennemis, un officier issu de basse souche, traumatisé par la mort de sa femme ayant eu lieu suite au mauvais pronostic d'un docteur (ce qui expliquera sa haine envers le personnage de médecin insubordonné joué par William Holden, qui ira cependant en s'atténuant tout du long jusqu'à esquisser un début d'amitié). Un protagoniste tout sauf manichéen qui vivra une discrète romance, ce qui donnera l'opportunité à John Ford de nous faire une nouvelle démonstration de la tendresse et de la pudeur de ses scènes d'amour, terminant son film non pas sur le morceau de bravoure attendu (pour cause de budget déjà totalement dépensé) mais sur une succession de gestes et de regards qui en disent long sur les sentiments éprouvés entre le couple qui vient de se former en toute fin de film. Un pur moment de grâce comme John Ford en avait le secret que ces adieux des deux futurs amants, clôturant ce western de la plus belle des manières.

Je laisse la conclusion à Jean-Louis Rieupeyrout qui, dans son indispensable et indémodable ‘
La grand histoire du western’ écrivait ceci qui me convient assez bien
"Les cavaliers furent estimés bien en dessous de leur réel intérêt. Le schématisme habituel des sujets proposés par James Warner Bellah, laisse place ici à une étude plus poussée de l’homme sous l’uniforme, de son comportement et de ses pensées en raison de ses origines sociales, de l’estimation de son rôle de combattant dans le cruel exercice d’une guerre fratricide. Des hommes se rencontrent, vivent ou meurent côte à côte, s’opposent ou se rejoignent, s’évaluent pour se détester ou se comprendre à l’occasion d’un conflit qui engage leur existence et celle de leur nation… A travers l’anecdote s’esquisse un portrait du Sud, peint de touches brèves, souvent évanescentes, dont l’ensemble exprime l’opinion de Ford sur une manière de penser et de vivre concernant une société. Il porte sur elle une lucidité égale à celui porté sur les pionniers de la vallée du Mohawk, les occupants de la diligence, les fermiers du désert ou le monde clos des Buffalos Soldiers". Même s’il est donc loin selon moi d’atteindre des sommets, encore un western plein d'humanité à réévaluer, bien plus sombre, nuancé et mélancolique que l'on pouvait le penser au vue des premières séquences : une belle leçon sur l'absurdité et la violence de ce conflit meurtrier que fut la Guerre de Sécession. Pour finir, je vous invite instamment à aller lire le papier splendide et passionné que Julien Léonard a écrit pour le site.