La Vie privée d'un sénateur (
The Seduction of Joe Tynan, en VO) est un film qui ne paie pas de mine à priori, à l'instar de son titre français. Il me faut aussi reconnaître que les films, non pas politiques, mais sur la vie politique américaine, ne m'excitent pas trop tout comme ne m'attire guère naturellement la série
The West Wing.
Le film de Schatzberg, au moment de sa sortie, s'inscrivait en outre au confluent de plusieurs états de la cinégénie américaine du moment : l'avènement de Meryl Streep au premier plan en cette année 1979 (et le multi-oscarisé
Kramer Vs Kramer), le film de Capitole dont le
Being There de Hal Ashby constituera le parangon satirique talentueux et partagera avec
Joe Tynan l'honneur de voir briller Melvyn Douglas de ses derniers feux histrioniques et , d'une manière plus générale, le film d'intrigues politiciennes et/ou judiciaires où des messieurs en cravate discutent beaucoup dans des bureaux capitonnés photographiés dans des tons automnaux, façon Gordon Willis mais en plus fonctionnel.
Bons nombres de films américains de l'époque nous montraient donc des arbres dénudés, des manteaux tout beiges et des feuilles mortes balayer l'allée de parcs où l'on parlemente le nez un peu rougi par le froid (voir
Et justice pour tous! , de Norman Jewison).
Joe Tynan n'y déroge pas.
Ainsi, le générique au cours duquel des gamins noirs sont acheminés par bus vers le Capitole pour ce que l'on imagine être une visite scolaire et qui pose d'emblée ce qui sous-tendra le thème de campagne développé dans le film, à savoir la mixité raciale, ce générique, donc, nous achemine, spectateurs, vers les conventions filmiques que je viens d'évoquer (l'image est brunâtre et blafarde, limite terne) au son d'une musique enjouée de Bill Conti.
Cette musique est intéressante en ce qu'elle révèle quelque chose de la manière de Jerry Schatzberg.
A première ouïe, la ritournelle du fifre porteur de mélodie évoque, de par ses relents
dixie, l'embrigadement presque martial que suppose l'engagement dans une vie politique à l'américaine. A l'écouter de plus près et compte-tenu de ce qui émane de la filmographie schatzbergienne, d'autres effluves, plus enclines à la fanfare, surviennent comme elle survenaient chez le Fred Myrow de
Scarecrow avant d'émaner du Philippe Sarde de
L'Ami retrouvé.
Peut-on alors visionner
The Seduction of Joe Tynan "à l'aveugle" et identifier en direct la griffe de Jerry Schatzberg? Ce serait beaucoup s'avancer.
Mais pourtant, au fil tranquille de ce film remarquable, on finit par se rendre à l'évidence de ce qu'il faut bien appeler un style. Et ce style est tributaire de la vision exigeante d'un artiste qui possède tous les attributs de ces confrères les plus doués du Nouvel Hollywood (de Steven Spielberg à Michael Cimino, en passant par Coppola, Scorsese, Malick, quelques aînés qui ont pigé le truc comme Robert Altman et Bob Fosse ou un étranger tel que Milos Forman) mais les utilise de façon presque monastique, sans l'once d'une mégalomanie.
Schatzberg subvertit au rasoir la moindre strate de classicisme, lui conférant un lustre, une finition cristalline qui rend captivant un récit qui, de ce fait, ne ronronne jamais mais lance des pistes stimulantes sur la vie politique américaine en particulier et, plus généralement, la vie d'un politicien que son ambition (aussi démocrate soit-elle)et son âge (la quarantaine épanouie) condamne à la séduction (titre original du film). Angle original qui évite, au risque de la sécheresse et de la désaffection du public, coups de théâtre, morceaux de bravoure et suspense fabriqué.
The Seduction of Joe Tynan est une œuvre adulte, mature, traitant le spectateur en grande personne, ne lui prémâchant jamais quoique ce soit, ne trichant jamais sur la lucidité. Rarement film américain n'aura montré l'adultère comme une chose aussi parfaitement naturelle lorsqu'elle doit arriver. Rarement aura-t-on eu une telle impression de voir du sexe à l'écran alors que rien ne nous en est montré.
C'est que Schatzberg, brillant dans la direction d'acteurs et servi par le bon scénario (son premier) d'Alan Alda, la vedette du film, tire d'une histoire d'apparence classique des trésors de sophistication discrète et épurée, ménageant des "poches" impressionnistes de mise en scène plus ample, et dans le trivial (une scène de
blow job, très drôle, filmée comme dans un Scorsese contemporain)et dans le shakespearien comme pour cette prodigieuse séquence où Melvyn Douglas se met à réciter le premier paragraphe du
Rouge et le Noir, dans la langue de Stendhal, s'il vous plaît.
Cette maîtrise jamais ramenarde non seulement préserve l'œuvre du vieillissement mais nous gratifie de réminiscences inattendues (Joe Tynan évoquerait presque le Jean-Pierre Chevènement de la grande époque du CERES)ainsi que de résonnances modernes, américaines ou non, lorsqu'il s'agit de décrire la tension et le fusionnel de rigueur entre l'homme politique et sa première dame.