Nationalité : Français
Réalisateur : Katell Quillévéré
Acteurs : Sara Forestier, François Damiens, Adèle Haenel, Paul Hamy
Genre : Mélodrame
Durée : 1h27
Date de sortie : 18 décembre 2013
Année de production : 2013
L'histoire
Le récit d’un destin. Celui de Suzanne et des siens. Les liens qui les unissent, les retiennent et l'amour qu’elle poursuit jusqu'à tout abandonner derrière elle...
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Il est toujours réjouissant (enfin, je me rends compte en l'écrivant que ce n'est vraiment pas courant en fait!) de tomber sur un premier ou un deuxième film si maîtrisé : on se sait le témoin de l'émergence d'un(e) cinéaste qui comptera encore - et certainement davantage - dans un certain nombre d'années. Le pas que Katell Quillévéré franchit avec Suzanne est impressionnant : loin de la timidité d'un Poison violent (2010) inoffensif, elle s'offre une histoire d'une toute autre ampleur, le "biopic d'une inconnue", comme elle le dit, étalé sur pas moins de 25 ans. Et elle ose le mélodrame, l'émotion forte, les coups du destin. Elle trouve sa voie propre dans le courant "récit sentimental à la française" : dans la douceur, la fuite elliptique et le choc. Certains trouveront assurément des grossièretés d'écriture dans ce qui sont de grands tournants propres au genre mélodramatique. Accepter de se laisser porter par le film fait accepter cette écriture stylisée.
Quillévéré offre un très beau compromis entre une approche réaliste du quotidien de ses personnages et une exaltation romanesque de leurs sentiments, entre la sécheresse d'un récit troué d'ellipses béantes et la générosité qui a cours dans ces grands blocs d'émotion pure, jamais impudique et donc toujours bouleversante. Et ce aussi grâce à des acteurs admirables : Sara Forestier, qui a tant de détracteurs, devrait cette fois-ci mettre tout le monde d'accord...
J'ai eu la chance de m'entretenir longuement avec Katell Quillévéré. Si j'avais aimé le film dès sa découverte en juin à la Cinémathèque française (j'écrivais avec enthousiasme à son sujet), entendre cette jeune cinéaste n'a fait que me confirmer qu'elle avait tout d'une future grande. Il arrive, en interview, qu'on trouve le temps long au-delà de 25min : l'artiste semble avoir tout dit ou ne plus savoir comment le formuler. La parole de Quillévéré, elle, est précise, directe, pleine d'aplomb, de finesse et d'intelligence. La rencontre a duré 1h entière, et l'interview est plus dense qu'aucune autre qu'il m'ait été donné de réaliser. Vraiment impressionnante.
J'ai eu la chance de m'entretenir longuement avec Katell Quillévéré. Si j'avais aimé le film dès sa découverte en juin à la Cinémathèque française (j'écrivais avec enthousiasme à son sujet), entendre cette jeune cinéaste n'a fait que me confirmer qu'elle avait tout d'une future grande. Il arrive, en interview, qu'on trouve le temps long au-delà de 25min : l'artiste semble avoir tout dit ou ne plus savoir comment le formuler. La parole de Quillévéré, elle, est précise, directe, pleine d'aplomb, de finesse et d'intelligence. La rencontre a duré 1h entière, et l'interview est plus dense qu'aucune autre qu'il m'ait été donné de réaliser. Vraiment impressionnante.
Je te crois quand tu parles de "la chance" de l'avoir interviewée. Je l'avais découverte il y a quelques années lors d'entretiens donnés à la télévision pour la diffusion de ses premiers (et remarquables) courts-métrages et c'est exactement l'impression qu'elle donnait déjà. Une maturité et une intelligence exceptionnelles sous une apparence très juvénile qui m'avaient fait penser à Sarah Polley. Ajouté à ce détail accessoire mais charmant : elle est absolument ravissante.
Je découvre à l'instant qu'elle est la compagne d'un autre talentueux jeune réalisateur : Hélier Cisterne. Leurs univers sont par ailleurs très proches.
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Federico a écrit :Je découvre à l'instant qu'elle est la compagne d'un autre talentueux jeune réalisateur : Hélier Cisterne. Leurs univers sont par ailleurs très proches.
Intéressant ces couples de cinéma au sein desquels on sent les styles se rapprocher : Rebecca Zlotowski me paraît influencée par son Jacques Audiard sur Grand Central (au-delà du fait qu'il lui ait présenté Tahar Rahim) et, plus intéressant encore, Olivier Assayas et Mia Hansen-Løve semblent se faire évoluer l'un-l'autre (il expliquait dans une master-class à laquelle j'avais assisté qu'elle lui avait par exemple donné envie de travailler avec des enfants, etc.)...
Ratatouille a écrit :J'irai. Rien que pour François.
Il est incroyable, bouleversant, dans un contre-emploi impressionnant.
Tu as vu La Famille Wolberg ? Parce qu'il y jouait déjà un rôle de père de famille totalement à l'opposé de ce qu'il fait d'habitude. Et il le fait très très bien.
Gustave a écrit :
Il est incroyable, bouleversant, dans un contre-emploi impressionnant.
Tu as vu La Famille Wolberg ? Parce qu'il y jouait déjà un rôle de père de famille totalement à l'opposé de ce qu'il fait d'habitude. Et il le fait très très bien.
Non, pas vu, mais effectivement, j'en avais entendu parler pour ça !
Un immense film provinciale à la densité émotionnelle d'une pureté et d'une profondeur bouleversante. S'il n'y a pas grand chose à rajouter à l'avis de Gustave, j'ai en tout cas rarement vu dans un film ou les faits et gestes des personnages, aussi simple et humain soient ils, ne tombaient jamais dans le cliché car chaque scène s'articule autour d'ellipses subtilement amenées et bien pensés. Donc l'émotion véhiculée ne provient pas des scènes en soit, mais bel et bien de l'ensemble des scènes qui s'harmonise autour d'un regard profondément humaniste et d'une mise en scène aussi fluide qu'audacieuse. Et je trouve que cette stylisation transcende à merveille ce "récit à la française" justement, ou la vie semble plus puissante et plus grande que les personnages. Tout le monde essaye de vivre et survivre avec ses propres moyens et les sentiments sonnent justes car la cinéaste film d'abord des êtres, avec leur force et leur faiblesse, dans un quotidien qui nous semble aussi proche que familier. Chacun essaye d'affronter la vie avec ses propres outils. Ils essayent tous de vivre avec un passé extrêmement douloureux - la mort de la mère - et jamais on ne revient sur ce drame même si on peut ressentir à de nombreux instant la détresse des personnages et un manque maternelle (ou d'amour, tout simplement) inconscient de l'héroïne.
On suit donc le parcours de Suzanne sans jamais juger ses actes car l'oeil de Katell Quillévéré se préoccupe surtout des relations humaines avant toute chose, de la difficulté comme de la beauté de vivre 'ensemble', malgré les drames qui nous habitent et nous influencent dans nos actes. C'est un film qu'on regarde et qui nous regarde ! Personnellement je n'avais pas vu un aussi beau film sur la 'vie' et sa complexité depuis La merditude des choses de Felix Van Groeningen ! Et oui, François Damiens est incroyable dans ce rôle à contre emploi, sans parler des deux soeurs interprétées par Sara Forestier - qui, mine de rien, est en train de se construire une belle carrière plutôt cohérente dans ses choix de personnage - et Adèle Haenel (encore une Adèle, tiens !), dont on a pu apprécier le talent dans L'Apollonide de Jacquot, qui sont tout simplement parfaites en héroïnes ordinaires. Et puis la B.O. est elle aussi vraiment captivante et c'est particulièrement euphorisant d'entendre quelques titres d'Electrelane dans un film français, qui toutes, accompagnent à merveille l'émotion du film dans ses scènes sans dialogue. Bref, je vais laisser mûrir le film dans me tête quelques jours mais il est à parier qu'il sera en tête des plus beaux films vus cette année au cinéma !
C'est toujours une gageure que d'évoquer, au cinéma, des destinées en les accompagnant dans la durée, c'est-à-dire pendant plusieurs dizaines d'années. Pour son deuxième film (après "Un poison violent, film déjà très réussi), c'est ce défi qu'a choisi de relever la réalisatrice Katell Quillévéré, et elle y excelle de manière totale.
Ce sont les destinées d'un père et de ses deux filles que nous suivons tout au long de ce film, sur une période d'à peu près vingt-cinq ans. Le père, Nicolas (François Damiens), est un chauffeur routier dont on saura rapidement qu'il est veuf et qu'il élève seul ses deux filles: Maria (Adèle Haenel), son aînée, et Suzanne (Sara Forestier), la cadette.
La belle harmonie qui semble régner dans cette famille sera mise à mal, chahutée, voire brisée de manière temporaire, au fil des événements, et ce dès le moment où Suzanne révèle qu'elle est enceinte et qu'elle met au monde un fils prénommé Charlie. On ne saura pas qui est le père. Suzanne aura, par la suite, à faire des choix ou à se laisser emporter par les circonstances: dans tous les cas, il y aura, dans sa vie, des rencontres et des décisions qui seront lourdes de conséquences. La rencontre la plus déterminante sera celle de Julien, un jeune type dont elle tombe follement amoureuse et qui lui fera tout larguer pour mener avec lui une vie aventureuse et chaotique. Les délits, la prison, le deuil, mais aussi la naissance d'une fille: c'est une vie malmenée que celle de Suzanne, mais une vie qu'il faut construire encore et encore, malgré les coups du sort. Et c'est bien, en fin de compte, la vie qui est la plus forte!
Pour évoquer vingt-cinq années de la vie ou des vies de ses personnages en à peine une heure trente de film, Katell Quillévéré, la réalisatrice, a été conduite à faire des choix de scénario assez radicaux. Il a fallu, bien évidemment, procéder à de nombreuses ellipses, laisser hors caméra beaucoup d'événements, et y compris parmi les événements les plus lourds de conséquences. Ces choix, au lieu d'amoindrir le film, l'enrichissent et ravissent le spectateur exigeant. Je l'ai déjà dit et je le redis: je n'aime rien tant que ce cinéma-là, ce cinéma qui mise sur l'intelligence du spectateur et qui l'invite, en quelque sorte, à combler les manques! Je déteste les réalisateurs qui n'ont pas de meilleure idée de mise en scène que de tout nous mettre sous les yeux (y compris le pire, comme les abominables séances de torture dans "Prisoners"!). Pas besoin de montrer les actes délictueux commis par Suzanne: ce que choisit de montrer Katell Quillévéré, ce sont les conséquences des actes, plus que les actes eux-mêmes. Conséquences sur elle-même, sur son père, sur sa soeur. Et c'est passionnant, bien plus que si nous étaient montrés Suzanne et Julien cambriolant une maison, par exemple.
Servis par des comédiens de grand talent (car, malgré son titre, ce film ne se concentre pas uniquement sur le sort de Suzanne), ce long-métrage est sans aucun doute l'une des meilleures surprises de cette fin d'année 2013 (une année pourtant fertile en beaux événements cinématographiques). 8/10
poet77 a écrit :Ce sont les destinées d'un père et de ses deux filles que nous suivons tout au long de ce film, sur une période d'à peu près vingt-cinq ans. Le père, Nicolas (François Damiens), est un chauffeur routier dont on saura rapidement qu'il est veuf et qu'il élève seul ses deux filles: Maria (Adèle Haenel), son aînée, et Suzanne (Sara Forestier), la cadette.
Faux ! C'est justement un point assez troublant et symboliquement fort que Suzanne, l'aînée, soit plus grande en taille que Maria, la cadette.
poet77 a écrit :malgré son titre, ce film ne se concentre pas uniquement sur le sort de Suzanne
Oui, mais le choix du titre est important en ce qu'il désigne d'emblée au spectateur le personnage sur lequel focaliser son attention tandis que le père et les deux soeurs sont traités à égalité dans les premières minutes. De plus, il est cohérent en ce que la moindre scène dont Suzanne est absente demeure polarisée par elle : on voit que son père et sa soeur vivent "en conséquence de" son absence, de son mystère, toujours dans l'attente. Ce travail d'écriture d'un personnage non seulement en plein mais aussi en creux est magnifique !
poet77 a écrit :Ce sont les destinées d'un père et de ses deux filles que nous suivons tout au long de ce film, sur une période d'à peu près vingt-cinq ans. Le père, Nicolas (François Damiens), est un chauffeur routier dont on saura rapidement qu'il est veuf et qu'il élève seul ses deux filles: Maria (Adèle Haenel), son aînée, et Suzanne (Sara Forestier), la cadette.
Faux ! C'est justement un point assez troublant et symboliquement fort que Suzanne, l'aînée, soit plus grande en taille que Maria, la cadette.
Errare humanum est! Dans ce cas, je ne suis pas le seul à avoir fait l'erreur, car je l'ai lue sous la plume de plusieurs critiques... C'est toujours mieux de se tromper à plusieurs...
Quant au titre, je n'ai pas dit qu'il n'était pas important. Oui, il invite à se focaliser quelque peu sur le personnage joué par Sara Forestier. Mais ce que je voulais souligner, c'est que les autres personnages ne sont pas pour autant sacrifiés, ils ont une vraie importance, une vraie consistance, ils suscitent eux aussi un grand intérêt!
poet77 a écrit :Ce sont les destinées d'un père et de ses deux filles que nous suivons tout au long de ce film, sur une période d'à peu près vingt-cinq ans. Le père, Nicolas (François Damiens), est un chauffeur routier dont on saura rapidement qu'il est veuf et qu'il élève seul ses deux filles: Maria (Adèle Haenel), son aînée, et Suzanne (Sara Forestier), la cadette.
Faux ! C'est justement un point assez troublant et symboliquement fort que Suzanne, l'aînée, soit plus grande en taille que Maria, la cadette.
C'est effectivement Suzanne (Sara Forestier) qui est l'aînée, alors qu'elle est plus petite en taille et plus chétive que la cadette Maria (Adèle Haenel) ! C'est pourtant clairement la cadette qui fait figure d'aînée.
"Vouloir le bonheur, c’est déjà un peu le bonheur"
Gustave a écrit :
Faux ! C'est justement un point assez troublant et symboliquement fort que Suzanne, l'aînée, soit plus grande en taille que Maria, la cadette.
C'est effectivement Suzanne (Sara Forestier) qui est l'aînée, alors qu'elle est plus petite en taille et plus chétive que la cadette Maria (Adèle Haenel) ! C'est pourtant clairement la cadette qui fait figure d'aînée.
Ce qui bouleverse, c'est que la réalisatrice remet d'une certaine manière les choses "dans l'ordre" dans le dernier temps du film.
Oui, Maria est en apparence la plus forte, la plus stable, la plus robuste. Et pourtant, c'est elle qui succombe à la dureté de la vie. A partir de ce moment-là, c'est comme si Suzanne prenait conscience de sa propre capacité de résistance et pouvait ainsi adopter une nouvelle posture : se ranger, assumer. Je trouve ce processus "secret", qu'on ne déduit (ou pas) que des rapports entre les corps des personnages, magnifique.
Oui, Maria est en apparence la plus forte, la plus stable, la plus robuste. Et pourtant, c'est elle qui succombe à la dureté de la vie. A partir de ce moment-là, c'est comme si Suzanne prenait conscience de sa propre capacité de résistance et pouvait ainsi adopter une nouvelle posture : se ranger, assumer. Je trouve ce processus "secret", qu'on ne déduit (ou pas) que des rapports entre les corps des personnages, magnifique.
Oui, je suis d'accord avec toi ! Et c'est bien ce qui rend la fin du film aussi poignante.
"Vouloir le bonheur, c’est déjà un peu le bonheur"
Gustave a écrit :J'ai eu la chance de m'entretenir longuement avec Katell Quillévéré. Si j'avais aimé le film dès sa découverte en juin à la Cinémathèque française (j'écrivais avec enthousiasme à son sujet), entendre cette jeune cinéaste n'a fait que me confirmer qu'elle avait tout d'une future grande. Il arrive, en interview, qu'on trouve le temps long au-delà de 25min : l'artiste semble avoir tout dit ou ne plus savoir comment le formuler. La parole de Quillévéré, elle, est précise, directe, pleine d'aplomb, de finesse et d'intelligence. La rencontre a duré 1h entière, et l'interview est plus dense qu'aucune autre qu'il m'ait été donné de réaliser. Vraiment impressionnante.
Merci Gustave, d'avoir soulevé l'intérêt sur ce film, notamment avec ton excellente interview. Je crois que je ne l'aurai pas remarqué sans toi et c'était effectivement, non seulement un excellent moment de cinema, mais la découverte d'une réalisatrice qui devrait compter dans le futur. Elle a un sens de la construction particulièrement développé, tant sur le scenario que dans les calculs de mise en scène. Sa maîtrise des acteurs est remarquable pour son experience encore juvenile et, le film est tout simplement esthétiquement très beau. J'ai particulièrement apprécié le discret travail sur les lumières dans l'appartement marseillais de Maria, la soeur de Suzanne, ainsi que la dernière sequence du film (l'excellente esthétique rattrape très bien le côté peut-être un peu long et prévisible du mouvement).
Gustave a écrit :Ce qui bouleverse, c'est que la réalisatrice remet d'une certaine manière les choses "dans l'ordre" dans le dernier temps du film.
Oui, la fin est vraiment très bonne. D'abord, on ne la voit absolument pas venir (du moins jusqu'à la plaque, bien sûr). Ensuite, elle remet effectivement tout en perspective.